Walburga n'avait rien contre le fait de faire les boutiques. Elle aimait vraiment beaucoup cela, surtout quand ses parents lui laissaient un accès illimité à leurs comptes. Mais les courses comme elle était en train d'en faire, elle n'aimait vraiment pas cela. Il y avait encore du temps avant la rentrée scolaire, on était qu'au mois de juillet, après tout, mais le fait de déjà faire ses achats scolaires lui donnait l'impression que la rentrée était imminente, et ça l'attristait. Bon, elle aimait bien Poudlard, si elle tentait de revoir le plus possible de ses camarades de classe durant l'été, elle devait bien souvent attendre la rentrée scolaire pour les retrouver, et ça l'attristait un peu, mais de là à s'épargner ces deux mois de tranquillité, loin de ses professeurs et de ces journées de cours toutes similaires les unes aux autres, il ne fallait pas abuser non plus ! Elle s'y était collée quand même. Au moins, elle serait débarrassée, comme cela. Sa mère avait voulu l'accompagner pour la chaperonner, mais elle avait réussi quand même à échapper à l'autorité parentale pour faire les courses seule dans son coin. Ça ne les rendait pas particulièrement plus palpitantes. Mais au moins, elle n'avait pas sa mère dans le giron pour décider à sa place et faire tout ce qu'elle savait faire de plus agaçant. Elle avait rempli son sac extensible d'un bon paquet d'affaires, et elle avait visité toutes les boutiques obligatoires. Une bonne chose de faire. Maintenant, elle allait sûrement se rendre chez Gaichiffon, histoire de s'acheter une ou deux nouvelles tenues de luxe... Qui n'étaient pas sur sa liste, oui, bon, mais elle n'allait pas non plus se contenter de tenues de l'année passée. Elle était à ses divagations et à son léchage de vitrine quand elle aperçut une figure connue.

Elle hésita. Avant, elle n'aurait pas hésité une seule seconde, elle aurait directement interpelé Lexie et aurait tapé la causette avec elle. C'est vrai qu'elles n'étaient pas le meilleures amies au monde, mais elles s'entendaient normalement bien, bien assez pour faire un brin de conversation quand elles avaient l'occasion de se croiser par hasard. Mais quelque chose avait changé dans l'esprit de Walburga. Elle avait essayé de se convaincre que c'était normal, que ce n'était pas grave, que ça lui serait arrivé à elle aussi, et que quitte à se voir imposer une fiancée, Lexie était loin d'être le pire choix imaginable. Mais elle n'y arrivait pas vraiment. Parce que tout ce qui concernait Orion était délicat. Pourquoi ? La réponse à cela était bien sûr très simple, et c'était bien sûr pour ça que la jeune femme n'était pas capable de comprendre... Parce que c'était trop compliqué pour être acceptable, et suffisamment compliqué pour hésiter à aborder Lexie... mais elle décida de le faire quand même. Elle ne pouvait pas non plus faire comme si de rien n'était, surtout qu'il lui semblait que la jeune femme l'avait vue.

-Hey Lexie ! Comment tu vas ?

« Salut Walby. »

Ça y est, maintenant, l'évidence la frappait en plein visage, tout avait changé. Il n'y a même pas quelques mois, le large sourire de Lexie aurait donné envie à Walby d'y répondre par un autre, parce qu'elle appréciait la bonne humeur de son amie, avant, elle aurait apprécié de se faire nommer Walby, comme elle l'était par tous ceux qui étaient proches d'elle. Mais aujourd'hui, ça l'agaçait. Elle détestait que Lexie soit capable de sourire comme ça, comme si la vie était belle, lui souriait, alors que les dernières nouvelles la mortifiaient, elle, alors qu'elle n'était même pas concernée par ses histoires de fiançailles (enfin, elle n'était pas concernée sur le principe, mais elles les prenaient tellement à coeur qu'elle était finalement peut-être encore plus concernée que par les deux protagonistes de toute cette affaire). Elle détestait ces petits surnoms, comme si tout à coup leur amitié devenait vaine et fausse. C'était absurde. Elles avaient toujours été comme ça, toutes les deux, et Walby appréciait sincèrement Lexie. Mais... mais il y avait un mais, voilà le problème !

« Je me porte assez bien. »

C'était toujours mieux qu'un "Je vais très bien", mais pour Walby, ça avait déjà tendance à être trop, beaucoup trop. Elle aurait voulu, plutôt, que son interlocutrice lui affirme qu'elle broyait du noir, que les choses n'allaient pas, elle aurait voulu l'entendre dire que les derniers événements qui avaient bouleversé sa vie la mortifiaient... Parce que, si en plus, elle était contente de devenir la future femme d'Orion, Walby n'allait bientôt plus savoir répondre d'elle-même. Elle n'arrivait pas à se raisonner et ça l'agaçait d'être comme ça, mais elle n'y pouvait rien. Dorénavant, le bonheur de Lexie aurait sans doute toujours tendance à l'énerver, même si elle essayait de faire bonne figure, gardant un sourire aux lèvres histoire de donner le change.

« Et toi ? Tu fais tes achats pour l’année prochaine ? »

Allez, parler d'un sujet banal, ça allait peut-être la calmer et lui remettre les pieds sur terre. Il fallait qu'elle se calme, qu'elle respire, et qu'elle redevienne elle-même. Mais non, elle n'y arrivait pas. Ça l'insupportait, voilà, de s'obliger de parler de tout et de rien avec la future épouse de son cousin et accessoirement meilleur ami (et accessoirement plus, en vérité, encore faudrait-il qu'elle reconnaisse les signes les plus évidents).

-Eh oui ! Et j'en profite pour dépenser allègrement les gallions de mes parents. dit-elle avec un ton amusé, même si le constat était loin d'être faux. Elle marqua une pause. Et je vais bien. Faux. Bon, suite logique des choses, lui retourner la question, lui demander ce qu'elle faisait là. On m'a dit, pour tes fiançailles avec Orion. Ça te fais pas trop bizarre ?

Ah bah non, au final.

« C’est un vrai honneur de pouvoir entrer dans la grande famille Black. »

Pitié qu'elle ne soit pas sérieuse ! Elle avait l'impressions d'entendre ses parents, quand Lexie s'exprimait comme ça ! Mais quelque chose disait quand même à Walburga que la jeune femme ne croyait pas vraiment en ce qu'elle disait, ne serait-ce que parce que son sourire s'était un peu effacé, mais l'élève de serpentard avait tendance à voir dans cette situation ce qu'elle voulait bien y voir, à décrypter ce qu'elle avait envie de décrypter, juste parce que l'idée qu'Orion se marie la rendait complètement dingue, c'était aussi simple que ça, au final. De toute façon, elle n'imaginait pas Walburga faire usage d'un discours qui soit à ce point protocolaire de son plein gré, ça devait être le genre de propos qu'on lui martelait depuis l'annonce de ses fiançailles, et elle suivait le mouvement pour la peine. En même temps, c'était vrai, appartenir à la famille Black, c'était une excellente chose, c'était un véritable honneur, ce n'était pas Walby qui allait dire le contraire, elle était la première à se vanter de son sang et de son nom, mais là, les conditions étaient quand même très extrêmes. À leurs âges, elles n'étaient pas forcément prêtes pour ce genre de choses.

« Franchement, je trouve ça vraiment bizarre. »

Cette fois, ce n'était pas l'imagination de Walburga, qui lui jouait des tours, le sourire de Lexie avait bel et bien disparu, et elle, elle évitait de se réjouir. Ce n'est pas comme si le fait qu'elle trouvait la situation bizarre change quelque chose à quoi que ce soit. D'ailleurs, personne ne pouvait changer quoi que ce soit. Ils étaient tributaires de leurs parents. Ils devaient respecter leurs codes, leurs règles, leurs directives. Ils devaient leur faire honneur, quoi qu'il puisse bien arriver. Elle trouvait ça bizarre, Orion trouvait ça bizarre, Walby trouvait ça bizarre. Une floppée d'adolescents confrontés à la bizarrerie de leurs existences, voilà ce qu'ils étaient, et pourtant, ils pouvaient rien y changer. Lexie épouserait Orion, et Walby allait en crever de jalousie. C'était injuste. La vie était vraiment une bâtarde sans nom, et elle mettait Walby en colère, au point que cette colère la dépassait, lui donnait envie de se montrer horrible et désagréable envers son interlocutrice alors que celle-ci ne lui avait rien fait du tout. C'était irrationnel. C'était plus fort qu'elle, et elle avait du mal à contrôler son attitude.

-J'imagine. Je sais pas du tout comment je réagirai, quand mes parents me trouveront un fiancé.

Pas si mais quand, oui, parce que ça arriverait un jour ou l'autre. Les cas de Lexie et Orion lui laissaient comprendre que ça arriverait même plus tôt que prévu. D'ici quelques mois, peut-être. En tous cas, avant la fin de sa scolarité, elle en était sûre, l'affaire serait entièrement réglée. Oh joie. Franchement, elle n'avait pas hâte du tout.

-Mais bon, Orion est un type bien, hein ?

Et là, elle s'enfonçait toute seule.

« Tu vas t’en rendre compte rapidement. »

Walby approuva les propos de son interlocutrice dans un hochement de tête résigné. Plus l'échéance approchait, plus elle appréhendait. Elle avait longtemps pensé que ce n'était pas grave, que la vie était ainsi faite, que ça lui était totalement égal, que de toute façon, les mariages d'amour étaient voués au fiasco et que ceux arrangés, ceux de raison, étaient les plus sûrs car ils ne pouvaient que durer et prospérer, mais elle changeait un peu son fusil d'épaule depuis quelque temps. Depuis les fiançailles d'Orion avec la personne en face d'elle, en fait... Orion et Lexie avaient le même âge qu'elle, son tour viendrait bientôt. Et il faudrait bien qu'elle l'accepte, résignée... En même temps, elle en avait de moins en moins envie. Elle prenait de plus en plus conscience de ce qu'elle s'apprêtait à perdre, et elle en était déjà malheureuse. Malheureuse au point de se sentir vraiment jalouse. Entendre Lexie parler d'Orion, ça exacerbait encore et encore sa jalousie.

« Oui, c’est quelqu’un de bien. C’est sur que j’aurais pu tomber sur bien pire que lui. J’ai pas mal de chance quand même. »

Elle ne disait que la vérité, en même temps. Orion était quelqu'un de bien, c'était incontestable, et Walby était la première à le penser (et d'ailleurs, elle n'était pas forcément trop objective au sujet du jeune homme). Lexie aurait pu tomber sur pire, sans l'ombre d'un doute. Orion était un excellent parti, de nombreuses filles rêveraient d'être à sa place... une en particulier, en fait, qui rongeait son frein autant que possible en cet instant pour ne pas avoir l'air trop amère et acerbe en cet instant précis. Ce que ça faisait mal, n'empêche, d'entendre la jeune femme affirmer qu'elle avait de la chance ! Oui, c'est vrai, elle en avait. Une sacrée chance, vraiment... et ça la rendait complètement dingue. Elle devait serrer les dents, là, pour ne pas sauter à la gorge (injustement) de la jeune femme.

-Alors... Ça ne te dérange... pas du tout ?

Elle ne devrait pas poser une telle question. Mais elle n'avait pas pu s'en empêcher. Tant pis. Au pire, elle pourrait toujours se rattraper plus tard. Elle avait juste envie de connaître le point de vue de Lexie, avec peut-être l'espoir absurde de la dégoûter de ces noces auxquelles elle n'avait pourtant aucune raison de renoncer (ou en tout cas, c'était ce qu'elle pensait).

« Eh bien… »

Oh... de l'hésitation, vraiment ? Il n'en fallait pas davantage pour que naisse de l'espoir dans les prunelles de Walburga, qui faisait de son mieux pour contenir son enthousiasme à l'idée qu'il y ait peut-être une issue à la situation qui la rongeait, même si elle devrait réellement l'accepter au même titre que tous les autres. Après, peut-être que Lexie cherchait juste ses mots et que ça n'avait pas de rapports. Walby savait bien qu'il ne fallait pas qu'elle mette la charrue avant les hyppogriffes. Et même si les deux fiancés n'étaient pas emballés, ce ne serait pas pour autant que les noces seraient annulées.. Ce n'était pas si simple que ça, et elle n'était pas en droit d'espérer la disgrâce ni pour Orion, ni pour Lexie.

« Ça reste entre nous d’accord ? »

Walby hocha vigoureusement la tête. Elle ne pouvait peut-être pas garantir de tenir totalement sa langue en fonction de ce qu'elle pourrait dire. Mais elle avait très envie de recueillir ses confidences, surtout parce qu'elle avait l'espoir qu'elles abondent dans son sens, d'une manière ou d'une autre.

« J’aime beaucoup ton cousin, mais j’avoue que… je ne pensais pas que ça me gênerait à ce point à l’idée de l’épouser. »

La vert et argent sentit son cœur se serrer quand elle entendit Lexie affirmer qu'elle aime beaucoup Orion. Elle n'aimait pas entendre ça, elle avait plutôt envie d'entendre qu'il la révulsait, qu'elle le détestait, n'importe quoi qui n'ait pas de sens puisque la jeune femme était la personne la plus adorable du monde. Mais Lexie se rattrapa bien vite. Elle le disait, l'épouser la gênait. Et voilà, l'espoir était bel et bien de retour.

« J’ai toujours su que ça allait se passer comme ça, mais maintenant que je suis en plein dedans… je crois que j’ai pas trop envie de l’épouser. Mais bon, j’ai pas le choix de toute façon. »

-C'est drôle... c'est un peu ce qu'Orion m'a dit, lui aussi.

Bon, en soi c'était pas faux, mais si Walby disait cela, ce n'était pas sans la moindre raison, bien sûr, elle voulait que Lexie entende qu'Orion n'était pas si emballée que ça par leur mariage pour creuser un fossé entre eux. Orion lui en voudrait peut-être d'agir de cette manière, mais tant pis, elle s'en fichait. Elle tentait le tout pour le tout. Elle n'avait rien à perdre. C'était en ne tentant rien qu'elle perdrait bel et bien quelque chose.

« Ah bon ? »

Walby ne savait pas trop si elle avait raison ou pas, mais elle avait l'impression d'entendre un peu de vexation dans le ton qu'avait employé Lexie. Elle se trompait peut-être totalement, mais c'était l'impression que ça lui avait donné, et elle ne savait pas trop comment le prendre. Jusqu'ici, elle s'était dit que les choses allaient bien, pour elle. Lexie lui disait qu'elle se sentait quand même dérangée à l'idée d'épouser Orion, alors même si ça ne changerait pas forcément grand chose, ça avait fait du bien au moral de la jeune femme. Sauf que là, elle avait le sentiment que ce qui la dérangeait, c'était qu'Orion ne puisse pas être intéressé par elle. Et si c'était le cas ? Si elle faisait tout son possible pour inverser la tendance ? La jeune femme sentait de la pure jalousie lui ronger les veines. Mais de toute façon, qu'est-ce que ça changeait... dans l'idéal, il valait mieux que les deux futurs époux se plaisent... oui, mais tant que le mariage n'était pas prononcé, Walby arrivait à se convaincre qu'il pouvait être annulé, ou que n'importe quoi pouvait se passer qui l'empêcherait. C'était plus fort qu'elle. C'était dingue comme cette histoire lui donnait l'impression de devenir une autre personne. Ça avait été comme un coup de fouet qu'on lui avait claqué en plein visage. Et Bam, tous les sentiments inconscients étaient devenus conscients. Un vrai bordel.

« Bon, tant mieux alors, ça veut dire qu’on est sur la même longueur d’onde. »

Si elle ne lui mentait pas, si Orion avait été totalement honnête avec elle, alors oui. Mais peut-être que non. Et peut-être que ça ne changeait rien. La jeune femme poussa un soupir. Elle n'était pas sûr de bien cache le fait de se sentir bien trop concernée par toute cette histoire, où elle était supposée ne jouer qu'un rôle minime, pourtant.

-Pour ce que ça change, répliqua, un peu amère. Avant de comprendre qu'il fallait qu'elle se rattrape un peu si elle ne voulait pas se faire griller pour rien et si elle voulait s'éviter des situations déplaisantes. Même si elle n'était pas spécialement douée pour cela. Enfin, si ça se trouve, puisque vous êtes sur la même longueur d'onde là-dessus, vous finirez par l'être sur le reste aussi. Orion est quelqu'un de bien.

Si Lexie était vexée à l'idée qu'Orion puisse ne pas vouloir l'épouser, elle trouvait qu'Orion pouvait l'être tout autant. N'importe quelle fille serait chanceuse de l'épouser. Mais ça...