Serya n’était sans doute pas la personne que le commun des mortels choisirait pour les représenter publiquement et faire l’article à son sujet. Il suffisait de connaître la réputation (particulièrement injuste, de l’avis de l’ex professeur de botanique) pour savoir que ce n’était pas forcément le choix du siècle, le plus avisé de la terre. Un agent artistique, ça devait se traîner dans les pattes une aura de respectabilité, ça devait savoir charmer son monde, au point que tout le monde s’y laisse prendre. Si aux yeux d’Herbert, Serya était une femme charmante, il doutait fort que la plupart sachent lui reconnaître ces qualités pourtant primordiales quand on voulait exercer la fonction que le jeune premier voulait attribuer à son ami. Était-il fou ? Complètement cinglé ? C’était bien probable, oui. Il allait peut-être droit dans le mur, avec cette décision... Mais en même temps, étant donné qu’il considérait s’y trouver déjà, à plat contre le mur, il se disait qu’il n’avait pas grand chose à perdre. Même rien du tout. Il savait qu’un agent était indispensable, pour oser croire percer dans le milieu, et il ne voulait pas faire appel à un agent professionnel. Pour les quelques-uns qu’il avait pu croiser lors de ses études à l’AADS, il n’avait aucune envie de colaborer avec eux, il aurait eu l’impression de leur vendre son âme, c’était totalement hors de question. Il préférait se fier à une personne en laquelle il avait confiance à cent pour cent. Serya ne le trahirait jamais, et elle le connaissait suffisamment pour savoir le représenter sans en faire trop, ni pas assez. Et puis, être présenté par quelqu’un d’original, dans le milieu artistique, ça pouvait le faire. Elle attiserait la curiosité, c’était déjà mieux que la haine et le mépris.

-Oui, bien sûr, ça serait amusant!

“Amusant”. C’était bien le terme qu’elle avait utilisé. Et si Herbert avait eu des doute, ils auraient disparu en entendant cet adjectif. Parce que ce n’était pas comme ça qu’un agent lambda aurait qualifié son boulot, mais c’était exactement ce qu’il voulait : il ne voulait pas qu’elle considère ça comme une corvée. D’ailleurs, si ça venait à arriver, il lui demanderait immédiatement d’arrêter. Il voulait que ce soit un jeu, rien qui soit prise de tête. Il était heureux qu’elle accepte, mais il réalisa vite que sa décision était hâtive, elle ne connaissait pas grand chose, si ce n’est rien, au boulot d’agent. C’était logique. Il partait du principe que ce métierétait bien connu de tous, mais tout le monde n’avait pas évolué dans la sphère du spectacle comme lui.

-En gros, tu serais chargée de me représenter, de gérer ma carrière, de négocier mes contrats... et surtout, tu pourrais me conseiller dans mes choix de carrière. Il marqua une pause. T’es pas obligée de dire oui, et je comprendrais que tu n’ai pas le temps, entre la ferme, les cours, et tout... mais j’ai confiance qu’en toi.

Si ça, c’était pas lui forcer la main...

En général, lorsque l'on parlait de Serya, c'était pour parler d'une femme active, drôle, un brin folle, et parfois agaçante à un point peu commun. Mais c'était tout simplement parce qu'elle était passionnée pas ce qu'elle faisait. Et que ce qu'elle faisait ne passionnait pas tout le monde. Loin de là. Il faut reconnaître qu'un crabe de feu n'avait pas la petite tête attendrissante d'un chiot... même Serya le savait bien. Mais elle restait très attachée à ses animaux, et pas juste aux plus gros. Chantal était sa préférée, c'est certain, mais elle restait la plus porche possible des autres. Mais tout cela ne voulait pas dire qu'elle n'accordait jamais d'attention à de vraies personnes, bien au contraire. Elle restait d'ailleurs professeur, ce qui impliquait qu'elle devait être avec de jeunes gens pour leur parler toute la journée. Cela ne la dérangeait pas le moins du monde. Et recevoir son ami Herbert chez elle pendant les vacances était un vrai plaisir.

Ils avaient commencé par parler un peu de n'importe quoi... surtout des animaux de Serya quand même, puis de la passion du jeune homme. Un point important. Serya sentait qu'il avait besoin d'en parler avec elle. Tout simplement parce qu'elle l'encourageait. Et que ce n'était visiblement pas toujours le cas. Le pauvre Herbert n'était pas vraiment aidé dans cette voie. Mais tant pis. Serya voulait bien le faire, même toute seule. Herbert lui avait fait une proposition pour le moins surprenante, mais qui lui montrait à quel point il lui faisait confiance. Même si pour le moment elle ne faisait pas vraiment le lien entre le mot et le travail. Elle ne savait pas bien ce que c'était...

-En gros, tu serais chargée de me représenter, de gérer ma carrière, de négocier mes contrats... et surtout, tu pourrais me conseiller dans mes choix de carrière.

Ah oui, quand même. Bon, après réflexion, elle avait peut-être parlé un tout petit peu vite. Pas pour son choix, parce qu'elle voulait toujours faire tout ça pour lui. Mais plus simplement parce qu'elle aurait été moins vite dans son intérêt de la chose. Mais bon, elle voulait bien essayer ça pour lui, et puis, effectivement, peut-être qu'elle trouverait cela amusant tout de même au final. Elle ne connaissait pas du tout alors peut-être que cela lui plairait. Serya ne savait vraiment pas à quoi s'attendre mais c'était pour aider son ami alors elle ferait l'effort de le faire au moins un temps.

-T’es pas obligée de dire oui, et je comprendrais que tu n’ai pas le temps, entre la ferme, les cours, et tout... mais j’ai confiance qu’en toi.

C'était pas mignon ça alors? Serya était vraiment touchée qu'il lui dise ça. Il est certain qu'elle manquait peut-être un peu de temps, mais le temps, elle pouvait s'en trouver quand même. Si en plus il lui disait être avec elle, autant y aller carrément. Et puis Serya était sûre qu'elle pourrait trouver des choses bien à faire dans le domaine. Herbert allait être content d'elle, Serya s'y engageait.

-Mais non mais non, je vais le faire. Tu vas voir, je vais t'en trouver moi des occasions! Tu vas être content.

Serya était motivée là, elle se sentait prête à devenir cet agent pour Herbert. Pas forcément la meilleure. Pas forcément une bonne tout court non plus d'ailleurs. Mais bon, elle voulait essayer.

-Et puis, si jamais j'ai plus le temps, tu viendras m'aider à la ferme, hein?

Oui, qu'il se rassure, elle plaisantait. Et puis comme pour le reste des émotions, cela se voyait vite avec elle. La blonde n'était pas une très grande actrice elle, même si elle aimait ça...

-Mais non mais non, je vais le faire. Tu vas voir, je vais t'en trouver moi des occasions! Tu vas être content.

Content, il l'était déjà. Elle parvenait à rendre ses problèmes insignifiants, et ça lui faisait énormément de bien, il avait vraiment le sentiment de pouvoir aller de l'avant, il fallait juste qu'il prenne son courage à deux mains, qu'il mette un pied devant l'autre, et qu'il oublie jusqu'à l'idée de se morfondre. Avoir Serya pour agent, c'était peut-être une idée complètement saugrenue, mais en même temps, c'était le genre d'idée qui l'incitait à progresser, à allait courir les castings, et à essuyer les refus qui l'attendaient sans doute avec le sourire. Tant pis si Serya était une piètre agent, au final, après tout, il ne pourrait pas l'en blâmer alors que c'était quand même tout un métier, normal qu'elle ne le maîtrise pas complètement, ce qu'il voulait avant tout, c'était quelqu'un pour l'accompagner dans l'épreuve et pour le soutenir. Dans ce rôle-là, elle était juste parfaite. Et puis, il avait le sentiment qu'elle pourrait bien le surprendre, au final. Qui sait, il allait peut-être faire naître une vocation en elle, on ne sait jamais !

-Et puis, si jamais j'ai plus le temps, tu viendras m'aider à la ferme, hein?

Herbert afficha immédiatement un sourire amusé. Et puis quoi encore ? Bien sûr, il savait qu'elle plaisantait. Même si la jeune femme était un peu folle, elle ne l'était quand même pas à ce point, il osait le croire, d'ailleurs. En même temps, si elle avait été sérieuse, ce serait franchement inquiétant. Herbert avait à peine eu la main verte alors qu'il était professeur de botanique, alors ne parlons même pas de son rapport avec les animaux ! Ces pauvres bestioles l'auraient amèrement regretté, c'est sûr et certain.

-Ce serait vraiment un très mauvais deal, dit-il en souriant. Je suis incapable de m'occuper d'un animal correctement. Le seul que j'ai jamais eu, c'était un poisson rouge, et tu ne voudrais pas savoir comment il a fini. Non, elle ne voudrait pas. La pauvre... Et pauvre Hugo (c'était le nom de son poisson), personne ne méritait un destin si cruel. T'en fais pas, je veillerai quand même à récompenser ton dur labeur.

Évidemment, il ne comptait pas faire travailler Serya gratuitement, il la rémunèrerait. Mais quelque chose lui disait que s'il parlait trop franchement d'argent, ça la rebuterait, alors il évitait.