S

'il y avait une chose que l'on pouvait dire sans craindre la moindre de seconde de se tromper, c'était que Clyde Hornby était tout sauf un frère modèle. Ses sœurs en témoigneraient sans le moindre mal. Et Olive encore plus. Leurs conversations tenaient toujours plus d'une sorte du joute verbale dont on ne savait trop s'il s'agissait de taquineries ou d'un véritable échange de remarques acerbes et désagréables. L'ancien jaune et noir, en avéré partisan du moindre effort, n'en fournissait jamais le moindre pour témoigner à sa sœur affection ou simple sympathie. Aussi, son attitude du moment avait tous les droits de sembler parfaitement étrange. Non seulement il abandonnait les invités de son propre mariage sans la moindre cérémonie (enfin ça, ce n'était pas si surprenant que cela, en vérité), mais en plus, il le faisait pour venir prêter une oreille attentive aux tracas d'Olive, et lui offrir une épaule sur laquelle se poser si besoin était. Ou du moins, c'était plus ou moins son attention. À vrai dire, alors que le jeune homme montait quatre à quatre les marches qui menaient à la chambre de sa sœur, il n'avait pas la moindre idée quant à ce qu'il allait lui dire ou quant à ce qu'il allait faire. Clyde n'était pas de ces personnes qui savaient consoler les gens, c'était même tout l'inverse. Et d'ordinaire, il s'en tirait à la perfection afin d'éviter des situations où il serait supposé se montrer compatissant.

Qu'il daigne, de son plein gré, venir tendre une main secourable à sa sœur l'étonnait lui-même. Clyde avait agi d'instinct, sans réfléchir. Il s'était senti touché par le profond malaise d'Olive (preuve qu'il était capable d'avoir des sentiments qui ne soient pas égoïstes – à de rares moments tout de même), et avait eu envie de faire quelque chose pour elle, c'était tout, ça ne s'expliquait pas. Ça devait être un truc inné, quelque chose qu'on avait dans le sang quand on partageait celui de quelqu'un d'autre, et qui faisait que même lorsqu'on voulait ignorer jusqu'à la notion d'empathie, celle-ci s'imposait d'elle-même. Il ne pouvait pas laisser Olive dans cet état. On aurait facilement tendance à l'oublier, mais en vérité, l'aîné de la fratrie Hornby aimait sa sœur.

Il aurait pu forcer sa sœur à le faire entrer, pénétrer dans la chambre en transplanant ou quoi que ce soit d'autre qui viendrait violer l'intimité d'Olive (ce qu'il ne s'était pas privé de faire par le passé), mais non, il toqua à la porte. Il ne la forcerait pas à parler si elle ne le voulait pas. Une aussi grande que lâche part de lui espérait qu'elle ne le voudrait pas. Il ne savait vraiment, mais alors vraiment pas ce qu'il pourrait bien dire. Finalement, la porte s'entrouvrit. Elle était adossée contre le mur le plus proche, bien qu'elle fuyait à présent son regard, Clyde eut le temps de voir une expression de total étonnement trôner sur son visage. Et pour cause, il devait vraiment être la dernière personne qu'elle s'attendait à voir.

« Me regarde pas comme ça, on dirait que tu as vu un fantôme. »

évidemment, la blague était de mauvais goût, mais ayant parlé sans réfléchir, Clyde n'avait pas franchement songé aux mots qui venaient de sortir de sa bouche.

« Aller t'isoler le jour du mariage de ton propre frère, tu n'as pas honte ? » ajouta-t-il dans un sourire, imitant à peu de choses près la voix de Mrs Hornby. « Ceci dit, j'te comprends, qu'est-ce qu'on s'emmerde là en bas... et la tronche des mariés ! Elle on dirait qu'on vient de la mener à l'abatoire, et lui... » Clyde adressa à Olive un léger sourire. Il n'arriverait sûrement pas à la rassurer ou consoler... mais il arriverait peut-être à lui décocher un sourire. « J'ai entendi une vieille me traiter de loque. »

Il n'était plus très sûr du terme. Ce pouvait être « loque » ou « limande »... en tous cas, c'était véridique.

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A

h bah voilà! Pour une fois que Clyde arrivait à faire quelque chose de bien! Il n'était pas peu fier de lui. Il avait apparemment réussi à apaiser sa soeur, au moins pour quelques instants, au moins temporairement. ça le tuait de l'admettre... mais qu'est-ce qu'il pouvait détester la voir en larmes, comme ça! Dans ce genre de moments, une espèce d'instinct primaire l'invitait à entendre le nom de celui ou de ceux qui la mettaient dans un tel état et de leur casser la figure. Bon, seule la volonté y était, ceci dit... parce que concrètement, Clyde Hornby était bien incapable de démonter le portrait de qui que ce soit. Elle essuya ses larmes d'un revers de manche et le jeune homme, l'espace de quelques secondes, crut deviner quelque chose d'étrange sur son poignet. Vision trop furtive pour qu'il en soit sûr. Il voulut l'interroger à ce sujet, mais elle fut plus rapide à prendre la parole.

Olive fit remarquer, à juste titre, à son frère que leur adorable génitrice n'allait guère apprécier qu'il ait quitté le pot d'honneur pompeux organisé en l'honneur de son propre mariage. A cette pensée, un sourire vint s'inviter sur le visage de l'ancien jaune et noir. Elle avait raison, bien sûr, mais Clyde s'en fichait royalement. Au contraire, s'il pouvait mettre sa mère en rogne, alors cela lui faisait extrêmement plaisir. Il n'avait pas voulu de ce mariage, encore moins de ce qui venait de se passer. S'il était le seul de la famille à ressentir un élan de compassion pour un membre de sa famille, cela signifiait bien que cette famille était pourrie jusqu'à l'os. Même lui n'était pas un exemple, loin de là.

Il haussa donc les épaules. Ce n'était pas la première fois qu'il contestait l'autorité parentale, et il était évident que ce n'était pas la dernière... Il avait déjà concédé trop de choses en acceptant sans se défendre de se faire passer la corde au cou, il ne fallait pas s'attendre, par dessus le marché, à ce qu'il fasse preuve de plus de respect et d'égard que celui que les géniteurs Hornby méritaient.

"Bah, elle s'en remettra... Et au pire, ça lui évitera de passer ses nerfs sur toi."

Oui, il venait de dire quelque chose de gentil, et il l'avait dit presque directement. Et effectivement, c'était vrai. A choisir, il préférait que ce soit lui qui paye les pots cassés, plutôt que sa soeur, qui en subissait visiblement assez comme ça... même si Clyde ne savait pas trop de quoi il retournait, exactement... Bien sûr, il aurait pu mettre ça sur le compte des élucubrations dont lui avait déjà fait part Pomona il y a quelques mois de cela. Mais à l'instant, il fallait bien admettre qu'il n'y pensait pas une seule seconde. A vrai dire, les suppositions les plus folles avaient défilé dans son esprit... l'une d'elle étant l'une des plus crédibles, mais aussi la plus terrible. Et si cela avait un rapport avec sa maladie? Si le mal s'était développé?

Il hésitait à demander de quoi il retournait exactement, mais il ne voyait pas comment aborder le sujet avec ce détachement qui lui était caractéristique, et qu'il ne voulait pas abandonner. A la place, il préféra aborder le premier sujet qui lui passait par la tête, espérant avant tout détendre l'atmosphère et apaiser Olive... évidemment, la première question qui lui vint en tête fut celle à ne pas poser. Mais ça, il était à mille lieux de l'imaginer.

"Qu'est-ce que tu as, sur l'avant-bras?"

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"T'

as raison! C'est rien du tout et moi je suis un troll des cavernes."

Contrairement aux apparences, non, Clyde n'était pas un troll des cavernes, et de fait, il était convaincu que sa chère petite soeur lui cachait quelque chose. Bientôt, le sentiment de compassion fraternelle (que Clyde était parvenu à ressentir par on ne sait absolument pas quel miracle) laissa place à une curiosité tout sauf saine. Olive lui cachait très clairement quelque chose, et le jaune et noir comptait bien savoir quoi, quitte à se montrer particulièrement lourd et empiéter sur l'espace personnel et privé de sa frangine (espace personnel et prouvé? ça veut dire quoi, ça?).

Non, sérieusement, il avait envie d'insister sur le sujet afin d'embêter sa soeur le plus possible (ça avait beau être tout sauf le bon moment, les vieilles habitudes avaient la vie dure), mais il y avait quand même quelque chose derrière tout cela (je vous jure), quelque chose que l'on pouvait assimiler à un soupçon d'inquiétude. Clyde avait voulu faire la sourde oreille face aux ennuis que pouvait potentiellement rencontrer sa soeur (par là, j'entends les ennuis qui n'avaient pas de rapport avec sa maladie, qui en constituait déjà un gros), même quand Pomona Fitz avait essayé de le mettre en garde. Mais certains signes ne trompaient pas. Cela avait-il un rapport avec ce qu'Olive avait sur l'avant-bras et cherchait à lui cacher? Peut-être pas, ce pouvait être tout et n'importe quoi, après tout. ça pouvait être grave ou ne pas l'être. Mais il n'y avait pas de mal à vérifier, non?

"Allez, tu ne peux rien cacher à ton frère chéri, quand même?" Il lui adressa un sourire taquin. "Tu as fait tatouer le nom de ton amoureux sur ton bras, c'est ça? C'est un peu stupide, effectivement, mais t'as pas besoin de te mettre dans cet état."

Bien sûr, Clyde ne croyait pas en sa suggestion (d'autant que les tatouages se faisaient bien moins courramment et facilement à l'époque que maintenant), ce n'était vraiment pas le genre d'Olive, mais charriait la demoiselle demeurait plus fort que lui. Notons, tout de même, qu'il aurait mieux fait de se taire, une fois n'est pas coutume, car il venait à nouveau, et dans la plus insolente des innocences, de faire preuve de la pire des indélicatesse, parler du pseudo amoureux d'Olive alors qu'elle venait de perdre Morgan était du pire mauvais goût qui soit. Mais en même temps, il ignorait tout du lien qui avait uni le bleu et bronze parti trop tôt et celle qui partageait son sang.

Il aurait pu aller plus avant dans les suggestions, il y en avait tant d'autres qui lui effleuraient l'esprit, mais l'une après l'autre, de préférence, histoire que chacune puisse faire son petit effet. Oui, je sais, il n'avait pas fallu grand chose pour que Clyde oublie de consoler sa soeur. Mais en même temps, si elle finissait par s'énerver contre lui, ça lui permettrait au moins de penser à autre chose. Et l'ancien jaune et noir, lui, se fichait pas mal de s'attirer les foudres de sa frangine. Il avait l'habitude, il faut dire.

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E

ffectivement, il y avait tout à parier que toute cette affaire, et la marque sur l'avant-bras de sa soeur ne le regardait pas, et c'était bien pour cela que cette affaire piquait autant la curiosité du jeune homme. Il se serait certainement bien plus rapidement désintéressé de l'affaire si elle l'avait directement concerné... Il aimait mieux, c'est vrai, se mêler de ce qui ne le regardait pas que de ce qui le concernait directement. De toute façon, l'un comme l'autre n'avaient jamais rien à partager qui concernait directement l'autre, rien de ce que disait ou faisait Clyde ne semblait concerner Olive, et inversement. À se demander, parfois, s'ils étaient vraiment frère et soeur tant ils différaient par leurs caractères, et avaient choisi d'emprunter des chemins différents. C'était d'ailleurs ce qui rendait difficile ce genre d'échanges, que leur lien de parenté aurait pourtant dû rendre naturel. S'ils n'étaient pas liés par le sang, ils ne s'intéresseraient certainement pas au sort de l'autre. Déjà là, il semblait qu'ils devaient forcer leurs natures pour parvenir à partager un semblant de lien fraternel. Ceci dit, sous ses airs de s'en moquer, Clyde se surprenait à se soucier vraiment de ce qui arrivait à sa soeur. Malheureusement, sa manière très maladroite de vouloir le lui prouver, et son incapacité à se montrer un brin normal dans sa façon d'appréhender les relations humaines n'aidait en rien...

La conversation en était donc au point mort. Tout ce que Clyde pouvait faire, c'était insister, pour que sa frangine puisse mieux le rembarrer... Ils n'iraient nulle part. Voilà au moins un point qu'ils avaient en commun : ils étaient bien trop fiers, l'un comme l'autre. Clyde hésita un instant à ne pas lâcher l'affaire, et à obliger de force Olive à lui révéler son étrange secret... Mais il sentait bien que c'était inutile... et qu'elle avait besoin de solitude (oui, parfois, il acceptait de prêter attention à autrui et d'agir en fonction de leurs besoins). D'accord, il était donc temps pour lui de s'en aller et de la laisser tranquille, même si il avait l'impression de céder une certaine victoire à sa soeur en abandonnant si rapidement.

-C'est bon, j'y vais. dit-il en fourrant ses mains dans ses poches. Ma femme doit m'attendre, de toute manière. ajouta-t-il avec une conviction qui n'avait, en fait, aucune raison d'être, puisque Bonnie devait en fait considérer que plus loin de lui se trouvait-elle, mieux c'était pour eux deux.

Il songea à ajouter quelque chose, il ne savait pas quoi exactement... un mot rassurant... Mais rien ne lui vint, finalement. Il n'était vraiment pas fait pour ça. Il se contenta donc de refermer la porte derrière lui.
De retour dans la fosse aux lions... il était temps de se mêler à nouveau à la masse des invités.


FIN

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