Une bonne histoire commence par le commencement, en toute logique ; c’est après la naissance que les choses dérivent, de toute façon. Concernant Hari Shafiq, on pourrait qualifier son enfance de privilégiée et sans réels soucis. Né en 1910, et un moment petit dernier, il reste aussi un temps le favori de sa mère, Sélène, qui apprécie ce fils paisible et admiratif des livres. De fait, le petit Hari est plutôt observateur Le genre à être fasciné par les réceptions que donnent ses parents à l’occasion, observant avec une curiosité enfantine la mécanique qui se joue entre les sangs purs, mais avec le même intérêt que les fourmis qu’il observe monter une colonie lorsque sa mère le laisse à ses explorations. A la naissance de son cadet, Riyadh, et de sa petite sœur, Reha, il est un peu jaloux de ces deux là, parce qu’il n’est plus le petit dernier, celui dont ses parents s’occupent en permanence, loin d’être le préféré de Sarang – dont l’unique fille est clairement la favorite – ou de Sélène, qui préfère tout de même se concentrer sur son ainé, qui un jour succédera à son père. En grandissant un peu, Hari ne tarde pas à réaliser qu’il n’y a pas de quoi se plaindre de ne pas être celui duquel on s’occupe le plus. Ça laisse une certaine marge de manœuvre pour faire ce qu’on veut, comme partir explorer le chemin de Traverse ou passer des heures à observer des animaux, puisque personne n’attend rien de vous. C’est que très vite, le petit garçon qu’il est alors développe tout un tas de centres d’intérêts un peu étranges, comme les vieilles pierres, la botanique, ou l’observation des animaux magiques – le point étant de partir à l’aventure, en exploration, dehors, loin de la maison. Autre avantage d’être le cadet, et non le premier ou la benjamine, personne ne s’interroge trop sur vos occupations et vos plans pour plus tard.

Ça, Hari le comprend en grandissant, et surtout à Poudlard. Ce gout de l’indépendance le suit depuis toujours, si bien qu’il apprécie l’espace que lui laissent ses parents, finalement. Toujours aussi observateur, il mesure de quel avantage il bénéficie en entendant les remarques de sa mère à Reha ou les exigences qui pèsent sur Chandra et Keylan. Paradoxalement, cela le rapproche de ses frères et sœurs. Mieux vaut qu’ils s’entendent avec eux de toute façon, ils se suivent à Poudlard, mais il a de la compassion pour eux quand il voit la liberté dont il bénéficie, et tentera parfois, de glisser un mot à ses parents, surtout à sa mère, pour les attendrir un peu.

A Poudlard, d’ailleurs, il est plutôt heureux. Sans que ça n’étonne personne, le voilà qui se retrouve à Serdaigle, quand il y entre en 1921. Mais Hari n’aime pas trop l’étiquette d’intello : le voilà à mettre le bordel et à faire l’intéressant en cours pour se faire des potes. Ce qui est interdit l’attire : pas spécialement pour transgresser la règle mais par curiosité, pour voir, vraiment ce qu’il y a derrière l’interdiction et comprendre ce qu’il se passe. Explorer, en somme. Car les matières un peu trop littéraires l’ennuient : Hari Shafiq rêve plutôt d’explorations et d’expéditions que d’études et de recherches. Il a la bougeote, comme beaucoup de gamins de son âge, mais lui, ça ne quittera pas. Et s’il abandonne le quidditch alors qu’il fait pourtant un attrapeur tout à fait correct, le duel, les sorts, les matières pratiques, restent ses préférées – comme celles où il faut inventer, modifier : découvrir, encore.

Lorsqu'il sort de Poudlard en 1928, cette envie de découvrir ne lui est pas passée. En fait, le problème de Hari, c'est qu'il a peut-être trop de choses à découvrir, justement. Le voilà donc qui entame son entrée dans l'âge adulte par une période un peu indécise de quelques années, où il se cherche et où il sait pas trop ce qu'il veut faire. Par son éducation et ses facilités, comme il peut faire un peu de tout, il fait ce qu'il veut : des affaires, parfois un peu illégales, par gout pour le profit et l'aventure ; de la recherche pure, quand il a besoin de calme, et surtout beaucoup de voyages. Ses parents ayant accepté avec une certaine facilité de laisser leur fils faire un tour du monde, il visite divers sites historiques, et peu à peu, se prend d'une passion pour les fouilles, les tombes, et l'archéologie. A force, il s'en fait un métier, d'abord plus ou moins antiquaire et pilleur de tombe, avant de rentrer dans le rang à la suite de quelques mésaventures et de découvertes qu'il aimerait partager avec une communauté ayant une mentalité un peu plus scientifiques que des pillards - "sa place est dans un musée" devient un slogan qu'il répète encore aujourd'hui à l'envie.

En 1931, Hari revient en Angleterre, un peu installé et s'étant taillé une réputation qui commence à se faire de spécialiste de l'antiquité et du haut Moyen-Age sorcier. Les premières manigances de Grindelwald l'inquiètent, parce qu'elles touchent aussi les moldus et qu'elles menacent aussi ses propres aventures. Il aime bien s'évader de l'autre côté de la barrière. On ne l'y connait pas, on n'y attend rien de lui, et il y est anonyme. Il a aussi la sensation curieuse de voir en direct, quand se promène sur Portobello Road ou dans les rues bondées du Caire, de voir de façon présente une autre civilisation évoluer - ce qui est le cas - comme celles qui ont disparues et qu'il étudie pourtant. L'invasion et la domination sorcière de ce monde, un projet pour lequel certains de ses amis prennent parti sans qu'il ne comprenne pourquoi (personne ne s'intéresse à ça dans sa famille directe), risquerait de compromettre cet espace de liberté. Et puis il ne veut pas jouer les va-t-en-guerre ou se battre pour une cause inutile. Alors Hari se cherche un refuge et quelque chose d'un peu plus stable. On lui offre un poste à Poudlard en Histoire de la Magie, mais il a l'impression d'être trop jeu mais ça l'ennuie : la stabilité, oui, la stagnation non.  Comme il  préfère le terrain, il débarque au département des Mystères comme archéologue.

En parallèle, peu concerné par les manœuvres familiales diverses, qu'il décrypte avec l'acidité d'un sociologue ou d'un comportementaliste - au grand désespoir de sa mère, qui voudrait bien le voir se marier - il entame une vie de bohème, allant de fête en fête sans chercher à se fixer : après tout la descendance est assurée, ses frères sont pour la plupart fiancés, Reha aussi, pourquoi devrait-il se presser ? Peut-être, justement, pour sauver la mise de sa soeur. S'il sait qu'elle apprécie leur cousin, Tibérius, l'idée des fiançailles le laisse un peu sceptique, et puis tout ça s'est fait avec un tel empressement...mais puisque sa mère ne l'écoute pas, même s'il essaye de défendre sa cadette, c'est peine perdue.

Avec la guerre chez les moldus, sa méfiance se dirige vers ces nouveaux belliqueux. Le seul ilot de tranquillité, si on peut dire, de Hari, à cette période, c'est Marianne.  Au début, il la trouve agaçante autant qu'elle l'attire. Elle est forte tête, plus intelligente que lui, ça lui donne envie de la contredire quand elle se moque un peu de ses travers et de ceux de sa famille, elle dont la mère est moldue et le père est sorcier. Rencontrée par Reha, avec qui elle était à Gryffondor, elle a fini dans la police magique, Hari a au départ à son encontre plus de curiosité que d'attachement. Ils ne se mettent donc pas immédiatement en couple. Toute une partie de chats et de souris se joue d'abord entre eux, suscitant l'amusement et l'incompréhension de leurs amis. Il faut dire que eux mêmes ne savent pas trop s'ils s'aiment ou s'ils se détestent.


Peu à peu, cependant, les parents de Hari deviennent insistants quant à un potentiel mariage.  Sélène, surtout, devient suspcieuse, devinant que son cadet lui cache des choses. Son discours moralisateur devient habituel et répétitif - ses frères sont pères/fiancés/mariés, c'est à son tour, et il ne peut rien dire pour Reha, justement, est-ce qu'il veut finir comme elle ? et puis de toute façon ça ne compte pas : Riyadh s'est fiancé en compensation. Et si Hari essaye de protester, tant pour son compte que pour sa soeur - maman, enfin, ta propre fille - cela devient instantanément d'éléments à charge contre lui et de prétexte à poser des questions auxquelles il ne veut surtout pas répondre. Un peu par dépit et peur du jugement éventuel, il fuit la maison familiale. C'est qu'il est pris dans ses propres problèmes. A se voir avec Marianne, ils se tournent enfin autour, mais l'archéologue a peur : au fond, ça ne peut déboucher sur rien. Et il passe, pris dans sa déprime et ses incertitudes, totalement à côté du traumatisme et du basculement de sa soeur préférée, ce qu'il regrettera a posteriori...

Peu à peu, sa relation avec Marianne s'officialise, peu aidée par les rumeurs, journalistes, et autre cousins. C'est moins par choix que de fait, ce qui le rend encore plus méfiant à l'idée de parler de lui ou de sa vie privée : Hari est le premier partisan du dicton "pour vivre heureux, vivons cachés". Ces rumeurs qui le cernent, de plus en plus précises et persistantes, finissent par provoquer de vraies tensions dans sa fratrie et contribuent à son éloignement.

De fait, lorsque Marianne tombe enceinte fin 1944, la rupture est presque déjà consommée et la famille Shafiq coupée en deux : il y a ceux qui le soutiennent lorsqu'il annonce vouloir se marier avec elle. Au mariage, début 1945, seuls sont présents son père et ceux de ses frères qui n'ont pas épousé la cause des mangemorts. Attristé de la situation, Hari essaye bien de reprendre contact et de dialoguer. Du côté de sa mère, il se heurte à un mur de déception ; du côté de Reha et Riyadh à l'incompréhension totale, qui est parfaitement réciproque. Est-ce qu'il n'est pas quand même leur frère ? Est-ce qu'ils préférent ces fichues convictions et principes à leur famille, pour la survie de laquelle ils se battent soit-disant ? A quoi ça sert de perdurer si c'est pour vivre malheureux ? Et puis de toute façon, qu'est-ce qu'il fallait qu'il fasse ? Evidemment, le ton monte, s'envenime, il devient cassant à son tour, persuadé d'avoir aussi de bons arguments.

Alors, à force de ne pas être entendu, il finit par abandonner la lutte, sachant que la conversation ne trouvera pas d'issue positive. Hari se renferme donc peu à peu sur sa vie avec Marianne. Tout ira bien, se persuade-t-il. Ils vont avoir un bébé. Ils seront heureux. Pas besoin de leur approbation, de Sainte-Mangouste, de l'avis de Reha, il y a son père, il y a les parents de Marianne, et puis ses ainés qui le soutiennent. Tant pis pour le reste.

Mal lui en prend : l'accouchement se passe mal. Très mal. Au point, justement, qu'il en vienne à appeler Reha à l'aide, la suppliant de sauver Marianne et leur enfant. Peine perdue. Quand il finit par convaincre sa soeur, il est trop tard, et le monde de Hari s'écroule sur lui même comme un chateau de cartes. Anéanti, il s'effondre.

Le deuil le ramène à sa famille, et instille chez lui un doute qui s'installe et dure. Depuis cet événement tragique, il se reconstruit peu à peu. Il a changé de métier pour prendre un nouveau départ et a donc atterri chez Gringotts. Il fait des choses, il vit. Surveille avec inquiétude les attentats. Se perd de plus en plus dans le monde moldu qui l'apaise, au prétexte du travail. Et s'il a un peu renoué avec la partie de la famille qui jugeait son mariage, il n'est pas très sûr de leur projet pour lui. De retour au bercail, il l'est peut-être, mais est-ce qu'il a vraiment la vie devant lui, comme ils le disent tous, et du temps pour retomber amoureux, la possibilité d'avoir des enfants ? Rien n'est moins sûr, de son point de vue.  A vrai dire, Hari se sent un peu vide, comme épuisé, puisque tout ce qu'il avait a été balayé comme un chateau de cartes. Alors il cherche aussi un peu de sens à ce qu'il fait et à sa vie. Il n'est plus trop sûr, alors qu'il ne s'était jamais posé la question auparavant, qu'il y en ait un, d'ailleurs. Ni ça a vraiment une importance, non plus.