Jeudi 15 décembre 1947, début de soirée

Cela faisait à peu près deux mois qu’une infirmière se rendait une fois par semaine chez les Hopkins. La mère d’Elizabeth, Ellen, avait subi une opération qui l’avait quelque peu fragilisée, et son état nécessitait un suivi régulier à domicile, puisqu’elle ne pouvait se déplacer. Elizabeth n’était pas présente à chaque visite de Sasha Colloway, l’infirmière en charge du suivi d’Ellen, mais elle l’avait vue à plusieurs reprises. Parfois, quand celle-ci n’était pas trop pressée, les parents Hopkins lui offraient à boire et elle s’attardait quelques minutes pour bavarder avec la petite famille. Enfin, pour être tout à fait honnêtes, l’infirmière ne parlait essentiellement qu’à Ellen et sa fille, quand celle-ci était présente.

Cependant, à la fin de la dernière visite, l’infirmière n’avait pas pu rester comme d’habitude. Elizabeth, il fallait l’avouer, était quelque peu déçue : la jeune femme avait apprécié ces quelques moments où elles avaient discuté, même si les paroles qu’elles échangeaient étaient relativement basiques. Elle s’était demandé si l’infirmière était ainsi avec chacun de ses patients. Mais ce genre de relation n’était pas faite pour durer : c’était professionnel, voilà tout. C’était sans compter sur la proposition de l’infirmière, qui lui avait suggéré qu’elles pouvaient peut-être aller boire un verre ou manger quelque chose ensemble, à l’occasion, pourquoi pas avant Noël ?

Elizabeth accepta l’invitation de Sasha par hibou dans les jours qui suivirent sa dernière visite. Elle se faisait une joie d’avoir l’occasion de la rencontrer dans un cadre un peu plus réjouissant que celui des soins qu’elle allait apporter à sa mère. Elles s’étaient donné rendez-vous en début de soirée : c’était parfait, puisqu’Elizabeth allait vraisemblablement passer une bonne partie de la journée, si ce n’était la journée complète, à la boutique Ollivander.

Sur les coups de dix-huit heures, elle quitta la boutique, passablement fatiguée. La journée avait été plus longue que prévue : on lui avait montré plusieurs choses dans la matinée, et elle avait passé l’après-midi dans l’arrière-boutique à plancher sur des vieux livres qu’Archibald lui avait intimé de lire, comprendre et assimiler. Elle avait l’habitude, d’être plongée dans des livres parfois obscurs qu’elle ne comprenait pas toujours et finissait par décortiquer. Mais là, la quantité de travail qu’elle allait devoir abattre la laissait perplexe, et ce n’était que le deuxième jour. Elle avait emporté un des livres avec elle, afin de s’avancer un petit peu quand elle aurait le temps chez ses parents.

Elles s’étaient donné rendez-vous devant chez Naomi’s cakes :  la gourmandise est un vilain défaut, parait-il, mais ce n’est pas important. Il faut bien se nourrir, une collation est toujours bienvenue ! Elizabeth se posta devant la petite boutique. La nuit était déjà tombée, et il faisait un peu plus froid que ce matin, mais qu’importe : elle ne voulait pas entrer seule. Quelques minutes à peine après qu’elle s’est postée devant la vitrine, en balayant du regard les environs, elle aperçut Sasha. Lorsque celle-ci arriva à sa hauteur, Elizabeth lui sourit – elle était un petit peu mal à l’aise, mais quoi de plus normal? Après tout, elles ne se connaissaient pas vraiment, pour le moment.

- Bonsoir, comment vas-tu ?

Elle lui sourit légèrement, et jeta un coup d’œil vers la porte. Il allait falloir rentrer, sinon, ses doigts allaient sûrement geler.

- Je vais bien aussi, merci, dit-elle en entrant dans la boutique avec Sasha.

La différence de température et d’éclairage entre la rue et la boutique emplirent Elizabeth d’un sentiment rassurant. Elle se tourna vers une table pour deux, contre le mur à quelques pas seulement, et commença à retirer son écharpe, en souriant à Sasha, pour cacher son malaise du mieux qu’elle le pouvait. Après avoir déposé son manteau sur le dossier de la chaise, elle s’assit et attendit que Sasha fasse de même.

Il ne fallait pas croire : elle avait beau être malaise, elle était heureuse – et un peu honorée – que Sasha lui ait proposé de se revoir. Il fallait croire que leurs discussions, quoique brèves, avaient été suffisamment intéressantes pour donner à la Médicomage l’envie de la revoir. Elizabeth se sentait pleinement adulte à ce moment-là, et c’est aussi ça qui contribuait à la rendre mal à l’aise. Sasha constituait l’une de ses premières vraies relations d’adulte à adulte depuis sa sortie de Poudlard, si l’on exceptait évidemment les Ollivander, et les clients qu’elle servait.

Elle attrapa au vol la carte qui leur avait été envoyée par la serveuse, et plongea les yeux dedans – alors qu’elle savait pertinemment ce qu’elle allait prendre, puisqu’elle prenait toujours la même chose depuis qu’elle avait découvert le fameux cake aux citrouilles et aux Chocogrenouilles. Le mélange était audacieux, à n’en pas douter, mais il ravissait les papilles et les pupilles des petits et des grands. Elle lança, plus pour se détendre elle-même que pour détendre une atmosphère qui n’avait pas besoin de l’être :

- On pourrait en douter mais le Chococitrouilles est très bon, si tu ne l’as jamais goûté.

Elle sourit à Sasha et jeta un œil au reste de la carte par acquis de conscience – rien ne surpasserait le Chococitrouilles à ses yeux. Elle se demandait si Sasha avait l’habitude de venir ici, et attendait avec impatience sa réponse quant à sa commande. Quelles conditions pourraient être mieux que le fait de goûter avec une personne pour apprendre à la connaître ?