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igel avait traîné des pieds au moment de se rendre à son bureau. De manière générale, il n'était pas très à cheval sur les horaires, dans tous les cas, il estimait que peu importe l'heure à laquelle il arrivait le matin ou repartait le soir, l'essentiel était que le travail soit bien fait et bien fait. Ce qui ne relevait absolument pas de la fénéantise chez lui, bien au contraire. Nigel aimait son travail et le faisait bien, mais il n'avait jamais estimé que se cantonner à un planning ou à des horaires stricts allait changer quoi que ce soit. Et en ce moment, c'est vrai, il avait plutôt tendance à rejoindre son bureau à reculons... Se réfugier dans son travail avait souvent été une stratégie payante, mais elle rencontrait ses limites, et dernièrement, même les heures qu'il pouvait passer à éplucher des manuscrits et à parlementer avec des auteurs ne pouvaient pas lui faire oublier son état d'esprit général.

Et son état d'esprit général n'était pas au meilleur fixe. Certes, il réussissait à donner le change du mieux qu'il le pouvait, il gardait ses airs de dandy sur le retour que rien ne pouvait atteindre, mais atteint, il l'était. Par le comportement de Trevor, qui l'avait déçu, par ses sentiments envers lui qu'il poursuivait de ne pas savoir nier, par la grossesse de sa soeur qui considérait la nouvelle comme une manne céleste, par l'état de Clarice, qui ne s'améliorait pas. Quant à ses fiançailles factices avec Cassiopeia, elles l'avaient amusé dans un premier temps, mais elles devenaient à présent plus encombrantes que tout le reste. Il était las d'écouter des félicitations qui n'avaient pas lieu d'être ou d'en entendre d'autre leur manifester leur surprise. Il avait besoin de quelque chose, d'un divertissement. Mais pour l'heure, eh bien... même le travail peinait à satisfaire cette attente.

Car le travail, parlons-en. Obscurus avait changé de direction, et ce n'était pas spécialement pour plaire à Nigel. Son ancien patron le laissait libre de ses mouvements, et Nigel aimait son travail en partie parce qu'il lui était donné de faire à peu près tout ce qu'il souhaitait, comme il le souhaitait. Mais il se doutait que, avec Acrturus Black, il ne faudrait pas s'attendre à la même chose.

Ils ne se connaissaient pas si bien que ça, tous les deux, même s'ils étaient déjà rencontrés quelques fois, au cours de l'un ou l'autre événement mondain, mais de ce qu'il savait de lui, l'homme était plus homme d'affaires et d'influences qu'amoureux des lettres, et devoir travailler sous sa coupe ne l'enchantait guère.

Alors oui, il n'était pas exactement à l'heure au moment de frapper à la porte du bureau de Mr Black, pour s'introduire auprès de lui en bonne et due forme. Sans grand enthousiasme, mais prêt à retrouver ses faux airs joviaux de rigueur, Nigel frappa à la porte du bureau et attendit qu'on lui ouvre.

-Monsieur Black. Nous n'avons pas encore eu l'occasion d'être présentés officiellement. Nigel Greengrass. Bienvenue chez vous, dit-il avec un semblant d'enthousiasme, en tendant sa main pour serrer celle de son supérieur.

Il ne servait à rien de faire grise mine. En tout cas pour l'instant.

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n disait parfois qu'il était possible de jauger la personnalité d'un homme à sa seule poignée de main - Nigel émettrait certainement quelques réserves à ce sujet, qui considérait que les circonstances, l'état d'esprit du moment et la personne en face étaient des facteurs bien trop essentiels pour ne pas peser dans la balance. Mais si vraiment il fallait se fier à sa poignée de main, ferme et volontaire, Nigel dirait qu'il avait affaire à un homme de poigne, et c'était sans doute ce dont Obscurus Book avait besoin, va savoir. La maison d'édition peut-être, mais Nigel certainement pas.

Lui aussi pouvait être dur en affaires, plus que ne le laissaient soupçonner ses atours tout à fait joviaux et son sens de l'humour à toute épreuve, mais il n'aimait pas les forts caractères, ou du moins il ne les aimait pas quand ces derniers prétendaient le diriger, le contrôler, et c'était bien de cela qu'il était question en l'occurrence, n'est-ce pas... ? Il s'était bien arrangé avec son ancien patron, il n'avait pas envie de s'imposer une nouvelle dynamique hiérarchique pour les beaux yeux de son interlocuteur. Cependant, il ressentait, en une poignée de mains seulement, que son interlocuteur n'aurait pas franchement envie de lui laisser le choix quoi qu'il en soit.

-Oh vraiment ? J'espère que la réputation qui me précède est à mon honneur, en ce cas, répondit poliment - mais avec l'esprit qui le caractérisait - Nigel au moment d'entendre son interlocuteur lui apprendre qu'il attendait "impatiemment" de le rencontrer (était-ce une pique à l'intention de ses quelques minutes de retard ? Peut-être bien, peut-être que non aussi, mais comme la réputation d'Arcturus Black le précédait aussi, Nigel préférait rester sur ses gardes vis-à-vis de lui.

Nigel s'installa à la demande de son interlocuteur. Avec le prédécesseur d'Arcturus, il avait eu tendance à mener la conversation, ce n'était pas son patron qui le convoquait, c'était lui qui s'invitait dans le bureau de son patron, l'esprit fourmillant d'idées et de suggestions, et qui les exposait une à une avec une salve d'arguments, jusqu'à ce que son interlocuteur finisse, nécessairement, par céder. Mais avec Black, c'était une autre ambiance, à l'évidence, et Arcturus ne s'attendait pas un seul instant à ce que cela fonctionne.

-Eh bien je vous écoute, que voulez-vous savoir exactement ?

Un point sur son travail, hein ? Devait-il avoir droit à un exposé sur une quelconque productivité à atteindre ? Devait-il faire état de tous ses succès, de ses ventes phares ? Ou de l'aspect controversé de ses publications. Certaines étaient infiniment politiques, d'un bord comme de l'autre, et Nigel ne s'en cachait pas le moins du monde. Deviner le bord politique de son interlocuteur lui semblait être un jeu d'enfant, en l'occurrence.

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