❝ Xena & Eve ❞Au diablePendant un très bref instant, Eve a l’impression que Slim va refuser d’ouvrir la porte. Or, elle n’est pas d’humeur à être contrariée dans ses désirs. A cet instant, il n’y a plus rien qui existe en dehors de la douleur qui lui écrase la poitrine et son désir de voir cette porte s’ouvrir pour obtenir une bouffée d’air frais et enfin sortir de ce bar qu’elle ne veut plus voir. Immobile, sa main n’est pas loin de sa baguette et si cette porte ne s’ouvre pas, la jeune femme ne sait pas exactement ce qu’elle est capable de faire, mais elle sait que même Slim ne pourra pas l’arrêter. L’échange n’aura duré qu’un bref instant et finalement, la porte s'ouvre, la laissant passer. La journaliste n’a aucune idée de ce qui a décidé le gros bras à s’écarter. Est-ce un signe de Rafa ou Finn dans son dos, son regard qui n’acceptait aucune concession ou peut-être de la pitié ? La jeune femme n’en a cure tant elle est heureuse de pouvoir tourner le dos à cet endroit maudit.
A l’extérieur, le temps est à l’inverse de son humeur. Il fait radieux et le temps est à la fête. Autour d’elle, se sont des travailleurs qui profitent de la fin d’après-midi, des couples qui se retrouvent après une journée de labeur. Il semble qu’aujourd’hui en particulier, comme pour la narguer, il n’y ait que des gens heureux autour d’elle. Les sourires et les rires l’irritent et sonnent comme une insulte à son propre malheur. Pourquoi d’autres pourraient être heureux quand je suis malheureuse ?
D’ailleurs, à son grand étonnement, elle est malheureuse. Furieuse également, mais la fureur passera pour faire place à la peine. Eve n’a jamais vraiment compris les émois amoureux de ses amis. La peine, la joie, l’enthousiasme, l’envie que l’on pouvait éprouver pour un autre l'ont toujours laissé perplexe et elle s’est souvent targuée d’être insensible à ce genre de transport. Une insensibilité qui semble l’avoir désertée si on en juge à sa réaction.
Quand les gouttes commencent à tomber, elle lève la tête se demandant quand il s’est mis à pleuvoir, mais le ciel est toujours aussi radieux. Il lui faut un moment pour qu’elle comprenne que ce sont en réalité ses larmes qui ont commencées à tomber sans que la jeune femme ne s’en rende compte. Prostrée dans son malheur, Eve n’a en réalité pas bougé depuis cinq bonnes minutes. Sagement, Finn a choisi de ne pas la suivre, mais si ça avait été le cas, il n’aurait pas eu vraiment de mal à la retrouver puisqu’elle a à peine bougé.
Pendant un bref instant, elle tente de se calmer. Les larmes coulent, mais en réalité les sanglots ne sont pas loin et la jeune femme a encore sa fierté, elle refuse de craquer en pleine rue. Celle-ci est d’ailleurs trop bondée pour qu’elle puisse transplaner. Bien décidée à bouger, elle se met en route et tant pis pour les larmes. Sans regarder, elle prend la direction inverse et repasse devant le Cohan où elle percute Xena qui en sort comme une furie. Le choc la fait tomber à terre et quand elle lève les yeux, il n’y a rien d’aimable dans le regard qu’elle jette à son interlocutrice.
- Toi !
Dans ce simple mot, il y a toute la jalousie et le mépris que la jeune femme ressent. La partie rationnelle de son esprit sait que c’est ridicule. Il n’a pas fallu plus de quelques minutes pour que Eve comprenne que la femme en face d’elle était une victime autant qu’elle dans cette histoire. Néanmoins, en cet instant précis, la compréhension de l’autre et l’empathie l’intéressent encore moins qu’en temps normal. Peu importe qui est le fautif, pour elle, le résultat est le même. Elle a l’impression qu’un gouffre vient de s’ouvrir sous ses pieds et qu’elle tombe sans pouvoir se raccrocher à quoique ce soit. Tout ce qu’elle veut, c’est partir et oublier jusqu’à l’existence même du mafieux.
C’était sûrement idiot, mais Xena y avait cru. Finn avait déboulé dans sa vie comme ça, sans crier gare, et elle s’était surprise à croire que ça pouvait être l’éclair de changement qu’elle avait longtemps attendu. Ce basculement qui ferait qu’elle ne se sentirait plus si seule, le soir en rentrant chez elle ; qui ferait qu’elle saurait vers qui se tourner quand, la nuit, ses fantômes venaient la hanter. Naïfs restes d’une enfance brisée ; tout cela n’avait été que de la poudre aux yeux. Un mirage au milieu du désert, qui donne de l’espoir pour mieux terrasser par derrière.
Xena ne savait plus du tout où elle en était… Dans sa tête, tout remuait, tout explosait ; trop de choses se superposaient, s’entremêlaient et elle ne parvenait plus à penser correctement. Elle ne connaissait pas ce trop-plein, cette surabondance d’émotion, ou, du moins, elle connaissait plus tout ça. Sa vie était réglée comme du papier à musique, avant que Finn ne vienne réécrire la partition : son travail, l’Hydre, et le silence de sa maison, le silence de son cœur. La solitude avait cet avantage d’être une partenaire tranquille ; perfide, certes, et mauvaise, mais calme et douce, parfois, quand on savait s’y habituer.
Maintenant, il n’y avait plus que la douleur. Xena avait mal partout : à la main, à la tête, au cœur ; oui, surtout au cœur. Debout sur le trottoir, elle pleurait en silence, la tête basse. Elle avait envie de hurler sa peine et sa haine au monde, de déchirer tout ce qui se trouvait à sa portée, de tout, tout détruire, tout réduire en cendre. Une rage aveuglante lui enflammait les tripes, les veines, les pensées… Pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu que tout cela arrive ? Qu’est-ce qu’elle n’aurait pas donné pour tout oublier, pour tout effacer… Un claquement de doigt pour que tout redevienne comme avant ; elle était seule, oui, mais elle l’avait toujours été. C’était plus facile à accepter quand on n’avait pas goûté à l’empathie et la douceur d’une étreinte, même brève…
Si seulement…
Xena vacilla alors et se rattrapa à un petit muret de pierre, sur sa gauche. La jeune flic releva alors la tête : des cheveux d’un roux flamboyant, un joli visage, une silhouette élancée, gracieuse… Dans l’esprit de Xena, tout explosa. Elle… Cette femme… C’était elle qui l’avait effacé, comme on gomme un mauvais trait, comme on remplace un mauvais mot. Sa simple présence avait renvoyé Xena au néant le plus profond, comme si elle n’avait tout simplement jamais existé.
Pour qui se prenait-elle ?! Etait-elle si négligeable qu’on pouvait la balayer d’un battement de cil ?! N’était-elle véritablement rien de plus qu’une valeur superflue, qu’une distraction provisoire qu’on pouvait jeter quand on s’en lassait ?! Etait-ce vraiment tout ce qu’elle était à leurx yeux ?! Une simple passade ?! Poussée par une colère sombre, Xena s’avança vers la jeune femme au sol et l’attrapa par le col, la tira vers elle, la souleva presque du sol. Elle avait envie de détruire ce visage si lisse, si parfait, si… si différent du sien.
A un détail près, cependant.
Ses yeux.
La main de Xena resta figée en un mouvement avorté. Car dans les yeux de l’autre, elle voyait ce qui faisait exploser son esprit, ce qui incendiait son âme tout entière. Cette même sensation vorace qui la dévorait de l’intérieur, comme un feudeymon la consumant toute entière, l’entraînant dans des abysses sans fin… Elle voyait tout ça chez cette fille, aussi. C’était comme deux néants entrant en collision.
Xena s’effondra en face d’Eve, sa main valide toujours serrée sur le col de cette dernière. Elle tremblait. Effrayée de se retrouver confrontée à cette même douleur qui la consumait.
- Ça ne s’arrête jamais… murmura-t-elle alors. Ça ne disparaît pas, tu sais. Jamais…
Xena avait envie de hurler ; au lieu de ça, elle se releva, sa main blessée serrée contre sa poitrine.
- Lève-toi, souffla-t-elle alors. Quitte à être misérable, autant le faire debout.
La peine qui faisait rage en elle semblait assécher toute la violence qu'elle aurait pu déchaîner sur le monde. Et ça, c'était peut-être ce qui lui faisait le plus peur.
❝ Xena & Eve ❞Au diableTrop. Trop d’émotions. Trop de tristesse. Trop de colère. Trop de confusion. Trop de tout si bien qu’en sortant du Cohan, Eve sait à peine ce qu’elle ressent. Prise dans un tourbillon de sentiments qu’elle peine à démêler, la jeune femme veut surtout fuir et ne plus penser. Soudain, c’est comme si tous ses sens étaient exacerbés. Les sons lui semblent amplifiés, la sensation de ses vêtements sur sa peau irrite, la lumière du soleil semble trop forte. Perdue, il lui faut un moment pour comprendre qu’elle ne va pas dans le bon sens et elle ne peut que retourner en arrière pour tenter de fuir encore une fois.
Preuve, s’il en fallait une, que la jeune femme est perdue, c’est qu’elle ne comprend pas tout de suite ce qu’il se passe quand elle percute Xena. la main de la jeune femme l’agrippe et Eve ne fait aucun geste pour se défendre. Elle pourrait, en réalité, elle devrait, mais en cet instant, elle n’en a pas la force. Autour d’eux, les gens regardent les deux femmes, mais sans oser intervenir. C’est qu’on est dans un quartier où chacun s’occupe de ses propres affaires. Il est dangereux de se mêler de celles d’autrui, même d’une femme parce qu’on ne sait jamais qui on pourrait offencer dans la foulée.
De son côté, c’est à peine si la journaliste prête attention aux gens autour d’elle. Elle entend d’ailleurs à peine Xena. Frappe-moi, songe-t-elle puisque que c’est ce qu’elle semblait vouloir faire. Qu’on en finisse. La douleur aidera peut-être. En réalité, peu importe ce que c’est, elle voudrait juste quelque chose pour la distraire de ce grand vide qu’elle ressent. Finalement, c’est quand la jeune femme en face d’elle lui intime de se lever qu’elle finit par lever les yeux.
En face d’elle, elle ne voit que le reflet de sa propre douleur. La colère aussi, mais difficile de ne pas comprendre. La rage brûlante que sa rivale ressent, Eve la partage également. Finalement, après ce qui semble être un long moment, la jeune femme se relève et d’un geste inconscient frotte ses vêtements comme si ça avait de l’importance.
- Je ne suis pas misérable, s’entend-elle répondre machinalement. De toute façon, à terre ou debout, qu'est-ce que ça change ?
La voix est monocorde, un peu comme si toute velléité avait disparu chez la jeune femme. En attendant, elle prend le temps de regarder Xena, chose qu’elle n’avait pas vraiment fait la première fois. Les deux femmes sont aussi différentes que possible. Là où Eve fait une taille standard, la jeune femme en face d’elle est très petite. Toute en muscle et en nerf. Là où la journaliste fait dans la finesse, elle ne sent que de la force brute chez son adversaire. Est-ce seulement son adversaire ? Cela vaut-il la peine de s’affronter alors qu’elles ont toutes les deux été trompées ? La jeune femme n’en sait rien et dans le fond, ça n’a plus d’importance.
- Dis ce que tu as à dire, elle n’a même pas la force de mettre de l’agressivité dans sa voix. Qu’on en finisse.
Eve ne tente pas de se chercher des excuses, ni de se justifier. Il n’y a rien à dire si ce n’est qu’elle ne savait pas, mais qu’importe pour Xena. Pour elle, en tout cas, ça n’a aucune importance. Ça ne change pas les faits, ni ce que Finn semblait ressentir pour une autre qu’elle. Quand bien même elle est en colère, elle reste assez lucide pour savoir que la diriger contre Xena ne changera rien.
C’était la deuxième fois que la main de Xena était retenue, aujourd’hui. Comme si la haine qui l’alimentait lui faisait soudain défaut, comme si la peine qui la submergeait l’engourdissait, l’affaiblissait. Elle détestait ça, mais elle n’avait pas la force de frapper. Pas en voyant ces yeux, pas en voyant ce trouble si fort, si présent qu’il faisait écho au sien. Et, surtout, Xena ne pouvait pas frapper cette poupée de chiffon qui s’étiolait entre ses mains. Eve ne réagissait pas face à la menace et cet abandon effraya la jeune flic, qui la lâcha aussitôt, presque comme brûlée par son contact. Devant ses yeux, les fantômes de ses souvenirs se battaient pour s’imposer à son esprit et elle se revoyait soudain, allongée sur le sol de la cuisine, étrangère à elle-même et presque indifférentes aux coups tant elle ne ressentait plus rien.
Et ça lui faisait peur de voir ça chez quelqu’un d’autre.
Alors elle se releva d’un bon, tentant de contrôler le flot qui se déversait en elle et que rien ne semblait pouvoir endiguer. Et elle essaya d’inciter l’autre à en faire de même.
Allez, lève-toi. Mets-toi debout, quitte ce sol, arrête d’attendre, efface ce vide qui te ronge. Secoue-toi, ressens un truc. Réveille-toi, reprends-toi.
- Ça change que tu as la volonté ou pas, répondit alors sèchement Xena. Ça change que tu le laisses gagner, ou pas. Mais je m’en moque, si tu veux rester à terre, fais comme tu veux.
Le ton était dur, sans compassion, sans tendresse, alors même que le cœur et l’esprit de la jeune femme débordait d’un millier de chose, prêt à imploser. Il fallait que l’autre se secoue, qu’elle comprenne que, oui, ça avait son importance.
Maintenant, les deux se faisaient face, se toisant mutuellement. Xena avait la gorge serrée en regardant cette femme si différente d’elle. La jalousie et la rancœur l’étouffaient. Tant de paradoxes secouaient Xena qu’elle en avait la nausée : la rage puis le vide qu’elle avait vu chez l’autre avaient résonné en elle, et pourtant elle avait envie de l’enfoncer, de la détruire bien davantage, tout autant qu’elle avait envie de la relever, de la pousser en avant, allez, bouge-toi un peu, t’as vraiment pas que ça à faire. Elle avait envie de frapper et de tendre la main, d’aider et de repousser.
Prise d’un léger vertige, Xena ferma les yeux et porta une main à sa tempe, se sentant faible et détestant de tout son être cette sensation. Elle avait envie de s’effondrer, elle aussi, de se laisser aller au même état catatonique que celui dans lequel se trouvait son interlocutrice, mais elle refusait en même temps de tout son être de ployer une nouvelle fois face à cette détresse qu’elle ressentait. Et c’était si dur. La force brute qui la caractérisait habituellement semblait l’avoir quittée.
- Que je te dise quoi ? Je n’ai rien à te dire. Ce n’est certainement pas avec toi que je vais m’expliquer, ni avec cet enfoiré, répliqua sèchement Xena, fatiguée mais incapable d’avoir son mordant habituel. C’est déjà fini. J’ai juste envie… d’oublier. Ou de lui exploser la tête contre un mur. Mais j’ai pas la force, de toute façon, ajouta-t-elle dans un long soupir.
Elle tremblait. Tout en elle semblait lâcher l’affaire, comme si le coup était trop important pour que l’organisme puisse repartir, recommencer à fonctionner normalement. Ce salaud avait tapé fort, il avait frappé juste. Les larmes emplissaient ses yeux, sans tomber pour autant.
Elle n’en pouvait plus. Elle voulait juste que tout s’arrête.
- Tu te sens comme une merde, hein ? souffla-t-elle alors, si bas qu’elle ne fut pas certaine que l’autre l’entende. T’as l’impression qu’on t’a vidé de tout ce que tu étais, et t’arrive plus à repartir, j’me trompe ?
Un vide semblable la prenait aux tripes.
- Rentre chez toi. La journée de demain sera la même qu’aujourd’hui, au détail près qu’elle ne te mettra pas au sol. Ou peut-être que si, j’en sais rien, mais, perdu pour perdu, autant continuer sur la lancée.
Xena aurait dû suivre ses propre conseil. Pourtant, tout ce qu'elle voulait, c'était se perdre quelque part, se noyer dans la foule et ne plus ressentir son être, s'effacer et ne plus être elle-même, ne plus exister.
❝ Xena & Eve ❞Au diableDifficile de dire si c’est rassurant ou non, mais Eve a encore assez de lucidité pour savoir que rien de tout ça n’est la faute de la femme en face d’elle. Très bien. C’est un constat intéressant. Et alors, songe-t-elle, ça n’a pas d’importance. En cet instant, la justice ne l’intéresse pas et en dehors d’elle-même, il n’y a rien d’autre qui compte. Pourtant, il ne faut pas être devin pour voir que la personne en face d’elle souffre tout autant. En cet instant, la jeune femme n’est pas âpte à gérer d’autres émotions que les siennes. Non, si on est honnête, elle est même incapable de gérer les siennes. Ce n’est pas pour rien que, alors que Xena s’est relevée, Eve gît toujours au sol, sans la moindre énergie.
De la volonté ? Ça la ferait rire si elle en trouvait la force. Qu’est-ce que sa volonté change à la situation ? De la volonté, la jeune femme n’en a jamais manqué. Après tout, il en faut pour survivre à la guerre comme elle en fait, mais la situation ici lui semble tellement éloignée de tout ce qu’elle a pu vivre qu’elle est complètement désemparée.
Finalement, dans un soupir, la jeune femme se décide enfin à se lever. Après tout, elle ne peut pas rester éternellement au sol. Un peu incertaine, elle regarde autour d’elle et finalement revient sur Xena, n’arrivant pas à se décider si elle doit partir ou non. D’une voix presque douce, elle répond :
- Ça n'a jamais été une question de gagner ou perdre. Ça n'existe pas en amour.
Si Eve pouvait se voir, elle comprendrait rapidement qu’elle est sous le choc. Peu importe à quel point elle était pessimiste sur sa relation avec Callahan, peu importe à quel point elle a tenté de se convaincre que ce n’en était pas une, elle n’aurait jamais imaginé ce qui vient de se passer. Confusément, elle se rend compte qu’elle lui faisait confiance. Or Eve accorde très peu celle-ci. Finalement, c’est l’affection qu’elle éprouvait pour le mafieux qui a eu raison de ses doutes et c’est elle qui la met au trente-sixième dessous. Confusément, il a fallu Xena pour admettre à voix haute qu’elle l’aime et ce constat, encore plus que le reste, lui fait l’effet d’une gifle. Le souffle coupé, elle regarde dans le vide un moment, son cerveau ne sachant pas quoi faire de cette information.
Tournée vers elle-même, la jeune femme ne comprend pas que, à sa manière étrange, Xena lui tendrait presque une main. C’est qu’elle non plus n’a aucune raison de rester là et si elle était dans son état normal, Eve se demanderait pourquoi sa compagne prend la peine d’essayer de la secouer.
- Pourquoi es-tu es là si tu n’as rien à dire ? Pas d’agressivité, seulement de la surprise dans la voix de la jeune femme. Je n’ai pas besoin d’explication. Tu ne savais pas. Moi non plus.
Eve hausse les épaules avec indifférence. A présent, ça ne change rien. Ils ont lancé les dés et le jeu était pipé dès le départ. Qu’importe le résultat. Elles ont perdu et c’est tout. Devant les propos de la jeune femme, Eve reste silencieuse. Comment se sent elle ? Vide ? Oui, probablement. Vidée de toute substance. Finalement, elle hoche la tête comme une enfant. et reprend la parole avec ce qui pourrait passer pour un sourire amer.
- Pour perdre, il faut avoir quelque chose. Maintenant, je n’ai plus rien, donc je ne peux rien perdre.
Parce qu’elle est seule. Elle l’est depuis des années et finalement, n’est-ce pas mieux comme ça ?
Xena se sentait trahie. Pas par la scène presque comique qui avait eu lieu quand ils étaient entrés dans le bar, au fond : après tout, Xena se fichait bien que Finn côtoie d’autres femmes, ils n’avaient pas ce genre de relation, et elle n’aurait pas été jalouse outre-mesure de savoir Finn en couple. Non. Ce qui lui avait déchiré le cœur, c’était les propos du mafieux. Les mots tournaient encore dans sa tête, et ce regard, le regard de Finn, comme si, soudainement, elle était devenue indésirable, un poids, un fardeau, un secret honteux qu’on se doit de justifier. « C’est pas ce que tu crois… ». Non, il avait raison, ce n’était certainement pas ce à quoi avait pu penser la femme qui lui faisait face. Mais l’entendre dire de cette façon, sur ce ton, avec cette justification dans la voix…
Et puis, il l’avait juste oublié, obnubilé qu’il était par cette fille. Il avait essayé de la rattraper, de la retenir. Il n’avait rien fait de tout ça pour elle. Certes, selon ses propres mots, « ce n’était pas la même chose ». Oui, et alors ? Elle devenait donc une valeur négligeable ? Xena en avait mal au cœur rien que d’y repenser. Cette sensation de rejet, si brusque, arrivée sans prévenir… Un basculement du tout au tout en l’espace de quelques secondes. Et elle qui avait cru que ça comptait, qu’elle comptait pour lui… Elle avait cru avoir trouvé… un écho, un miroir, quelqu’un qui comprenait et qui, de fait, pouvait arriver à tenir un peu à elle, malgré sa violence, malgré son caractère, malgré le fait qu’elle ne soit pas bien jolie, aussi… Elle n’avait rien pour être aimé, et elle avait pourtant bêtement cru qu’on pouvait avoir un peu d’affection pour elle.
Alors, quand elle entendit Eve avouer, à demi-mots et du bout des lèvres, qu’elle aimait Finn… Ce qu’il lui restait de cœur tomba en poussière. Le vide l’emporta sur tout le reste et, un instant, Xena eut juste envie de s’en aller. Mais il fallait qu’elle se reprenne. Elle avait toujours survécu à tout, ce n’était quand même pas ça qui allait la mettre à terre, si ?!
- Des conneries, tout ça. Reprends-toi, idiote, siffla la jeune flic.
Mais aucune réaction. La femme qui lui faisait face fixait le vide, ses yeux voilés, l’air absente. Xena fronça les sourcils, perplexe. De longues secondes passèrent, toujours sans réaction, et, finalement, un peu apeurée, Xena finit par attraper Eve par le bras, la secouant plus doucement qu’elle ne l’aurait voulu.
- Hé ! Réveille-toi ! Allez, dis un truc !
Xena n’avait pas le cœur sur la main. Elle n’aidait pas les autres gratuitement. Pourtant, à cet instant, elle savait qu’elle n’aurait jamais pu partir en laissant la rouquine dans cet état. Et quoi ? Laisser Finn gagner comme ça, le laisser détruire une vie aussi simplement ? Et puis quoi encore ? Xena connaissait la violence, les coups, la haine et tout ce qui allait avec ; c’était terrible, oui, et ça faisait mal, mais c’était toujours préférable au vide. Elle-même était en train de, peu à peu, reformer la carapace de haine qui enveloppait son cœur.
- Bordel, réagis ! s’exclama la flic.
Elle leva la main pour lui asséner une gifle, mais la douleur la stoppa dans son geste et elle recula, les dents serrées, son autre main crispée sur son poignet, étouffant un gémissement de douleur. Elle entendit à peine la question d’Eve.
- J’en sais rien ! répondit alors agressivement Xena. Ça me fout juste la haine de te voir t’effondrer pour un connard pareil ! Regarde-toi, merde ! Tu crois qu’il en vaut la peine ? Tu crois vraiment que toute cette situation vaut ce que tu lui accordes d’attention ? Réveille-toi ! La vie, c’est comme ça, ça fait pas de cadeaux, alors bouge-toi et avance ! T’as que ça à faire de toute façon !
La haine commençait à lui gonfler le cœur, et Xena préférait ça à tout ce vide, et toute cette absence qu’elle voyait dans les yeux de Eve. Elle avait envie de la gifler à lui en décrocher la mâchoire.
- Ta gueule, claqua-t-elle, les yeux lançant des éclairs quand Eve lui dit qu’elle n’avait plus rien à perdre. Tes airs de victimes, sincèrement, ça me donne envie que tu t’étouffes avec. Si tu penses vraiment ce que tu dis, mais que t’es encore là, c’est que t’es pas vraiment blessée, cracha-t-elle avec hargne. C’est juste que t’as trop peur d’avancer.
Ça la rendait malade, d’être ainsi témoin des conséquences de toute cette affaire. Elle avait juste envie d’attraper cette femme par le cou et de la forcer à avancer, à enchaîner avec ce qui viendrait ensuite et qu’il faudrait qu’elle encaisse. Mais elle n’était pas là pour ça, ce n’était pas son rôle, et puis, au fond, qu’est-ce qu’elle en avait à faire de cette fille ? Dans sa tête, deux camps se livraient batailles et, incapable de trancher, Xena préféra prendre la fuite. Elle secoua la tête puis tourna les talons, disparaissant dans la foule au bout de quelques pas.
Elle avait envie de tout détruire. De tout casser.