J'avais beau savoir que ce cas de figure se présenterait, ce n'est pas pour autant que je suis heureuse d'être en plein dedans. Quand j'étais dans les rues de Londres, à métamorphoser les uns et les autres au gré de leurs déguisements, je m'amusais comme une folle. Je connaissais parfaitement les conséquences de mes actes, mais il n'avait pas la réalité, la tangibilité qu'ils ont aujourd'hui. Maintenant, il faut que j'assume et que je fasse face. Purement et simplement. Je suis démasquée, j'ai voulu l'être, j'ai voulu revendiquer mes actes, mains maintenant, je dois faire face aux conséquences de mes actes. Et là, maintenant, je suis tout de même rassurée d'avoir eu la glorieuse idée d'embaucher un avocat... même si je sais bien qu'il ne pas faire de miracles non plus.

Je n'ose imaginer la réaction de Kieran O'Connell quand je l'ai contacté. En même temps, je me doute qu'il devait s'y attendre, mais il ne devait pas être pressé de prendre en charge mon dossier. Mais je suis là, et il va devoir faire avec. Au moins, je pense que je lui offre de quoi pimenter son quotidien, c'est déjà ça, au final... Après, je n'attends pas de lui qu'il m'évite la prison, j'espère seulement qu'il réussira à minimiser ma peine, ne serait-ce qu'un peu. Je n'ai pas envie de passer toute ma vie à Azkaban non plus.

Je lui ai proposé de me rejoindre hors de son bureau. J'aime mieux que la conversation soit un peu informelle, pour tout dire. Déjà que ça ne va pas être une partie de plaisir dans tous les cas, j'essaie de limiter la casse comme je le peux, on va dire... J'ai choisi la boulangerie Kowalski, pas juste parce que j'adore leurs boissons et patisseries et parce que je suis l'amie et surtout la supportrice numéro un du couple de boulangers, mais parce que c'est un peu symbolique, au fond. La preuve que l'intégration des moldus parmi les sorciers est tout à fait possible. Quand Kieran arrive enfin, j'ai la boule au ventre mais je réussis à garder contenance, malgré tout, et je lui adresse un sourire avant de lui serrer la main.

-Bonjour, monsieur O'Connell, merci d'être venu.

Comme toujours, ou en tout cas comme à chacune de mes entrevues, Kieran se montre franc et direct à mon adresse, et j'apprécie. Je n'aime pas forcément être vue comme une gamine prise en faute, mais ce n'est pas le regard qu'il pose sur moi, je ne le pense pas. Il me met devant le fait accompli parce qu'il ne veut pas que je me fasse de fausses idées, de faux espoirs, et je suis d'accord avec ça.

Je ne lui demande pas d'accomplir des miracles, juste de plaider ma cause, d'une façon ou d'une autre, en essayant de lui fournir tous les éléments que je possède. J'ai déjà réfléchi à tout ça. Je veux que son plaidoyer en ma faveur soit un plaidoyer en faveur de ma cause, l'occasion de la faire entendre au plus grand nombre, à travers une autre voix que la mienne, et qui a l'habitude de s'exprimer comme il se doit, devant un pannel d'individus distingués, sans se laisser distraire ou impressionner. Donc oui, je me suis mise dans un sacré pétrin, je ne vais absolument pas prétendre le contraire. Mais je l'ai cherché, et je vais bien évidemment l'assumer.

-Je vous l'annonce tout de suite, je n'attends pas de miracle de votre part. Je sais que vous pourrez difficilement m'éviter la prison.

A cette pensée, je frissonne. Je n'ai vraiment pas la moindre envie de me retrouver de nouveau à Azkaban. A la seule pensée des détraqueurs et de ce froid immense, de cette sensation de ne plus jamais éprouver le moindre bonheur... j'en éprouve comme une sorte de vertige terrible. Non, je n'ai pas envie d'y retourner, mais je sais que c'est ce qui m'attend, et je sais que c'est la condition. Si je veux aller au bout de mes convictions, alors il faut aussi que j'assume cette situation de bout en bout.

-Je ne vous demande que de limiter la casse dans la limite du possible. Et de faire entendre mon message. Vous pensez que c'est possible ?

Je me doute qu'il va s'arracher les cheveux avec moi. Mais je pense que s'il a accepté de me représenter, c'est qu'il est prêt à assumer cette situation. Il aime les défis, et je sais que j'en suis un, et sérieux pour moi.

J'esquisse un sourire en entendant la réponse de Kieran. Son humour pince-sans-rire (à moins qu'il ne soit complètement sérieux ? Le pire, c'est que ce serait bien possible, et quelque part il vaut mieux qu'il le soit) ne me déplaît pas. Au contraire, j'apprécie l'angle sous lequel il aborde nos entretiens. Et je suppose que ça vaut mieux pour lui aussi. C'est qu'avec un cas corsé comme le mien, s'il ne veut pas péter un câble, il a plutôt intérêt à prendre la chose avec philosophie. Ce que j'essaie de faire aussi. Même si j'ai un peu peur. Je ne le montre surtout pas, mais j'ai peur, oui.

Azkaban m'ouvre grand ses portes, j'en ai bien conscience... Et je n'ai pas vraiment envie de retourner là-bas. Un jour, à force de séjours plus ou moins prolongé, cet endroit me rendra folle, plus folle que je ne le suis déjà, et peut-être que je ne serais plus jamais heureuse ? Et si je ne ressortais pas ? Si je prenais perpétuité ? Si je perdais Ignatius ? Oh, la ferme, Carlotta ! Je dois me concentrer sur le moment présent, et les possibilités qui s'offrent à moi. Je crois dans les compétences de Kieran.

Il me dit qu'il va faire l'impossible, puisque c'est son engagement auprès de moi, et je le crois. Il va faire l'impossible. Et il est bon dans son domaine, et j'aurais un talentueux orateur pour plaider en faveur de ma cause. De quoi est-ce que je me plains, exactement ? C'est tout ce que je demandais, après tout. Je n'ai aucune raison de me plaindre, non. Et je ne vais surtout pas commencer à paniquer alors que s'il y a bien un moment où nous devons garder la tête froide, c'est maintenant. Donc je me lance, et je lui expose les faits, sans mentir ou prétendre.

-J'attendais un grand événement, publique, suffisamment vaste pour qu'il soit presque impossible aux oubliators d'effacer toutes les mémoires des personnes présentes. Quand j'ai entendu parler de ce défilé dans une grande rue passante de Londres, je me suis dit que je tenais mon occasion. Je me suis préparée des semaines à l'avance. Le sortilège de métamorphose ne pouvait affecter personne physiquement, et ses effets prenaient fin après quelques minutes seulement. Le but n'était pas de provoquer la panique, juste d'éveiller quelques consciences.

Kieran demande à clarifier les choses, et dans son discours, je comprends qu’il ne fait que demander la confirmation de ce qu’il sait déjà pertinemment, en réalité. Pour les quelques fois où nous nous sommes rencontrés, je pense qu’il a cerné ma personnalité, qu’il a compris mes objectifs, également. Il sait, à coup sûr, que même si c’est suicidaire, je plaiderai ma cause au mépris de ma personne, de ma sécurité. Au mépris de tout. Ce n’est pas raisonnable, et mon combat sera difficile à mener depuis une cellule austère d’Azkaban, mon âme et ma personnalité ternies par la compagnie des détraqueurs, mais mon emprisonnement pourra aussi servir de message.

Bien sûr, je pense à mes proches, je pense à Will, qui certes se débrouille bien seule, mais que je ne veux pas abandonner malgré tout, à April, qui a tant besoin de soutien et d’une amitié quotidienne que je ne serais plus à même de lui offrir si j’atterris en prison… à Ignatius, avant tout et surtout. Le pauvre… il ne mérite vraiment pas ça, et je l’aime plus qu’il ne doit se l’imaginer. Qui sait combien de temps je resterais derrière les barreaux ? Ce qui est certain, c’est que je ne peux pas avoir l’égoïsme de lui demander de m’attendre ou de me comprendre. Et que dire de mes élèves ? de ma place à Poudlard ? C’est que maintenant que j’y suis, je ne veux plus partir… Mais si c’est le prix à payer pour faire date dans l’histoire de la magie, est-ce un mal ? Je ne pense pas. Là encore, mes considérations sont égoïstes, mais Kieran a bien compris. Je dois faire passer un message fort, et pour ça, je ne dois pas mentir.

-Nous sommes d’accord, je réponds avec un hochement de tête et une assurance qui faiblira progressivement, au moment de payer pour ce que d’autres estimeront être un crime. Je veux que mon procès fasse date dans l’histoire de la magie, je veux que votre plaidoyer ébranle jusqu’aux convictions profondes des hautes autorités sorcières, je veux créer un tournant, qui peut-être encouragera une révision des législations actuelles. Je marque une pause. Je sais quel prix je dois payer en contrepartie.

Ça ne m’enchante pas mais il le faut. Et il est trop tard pour reculer. J’ai fait tout ça en sachant ce qui m’attendrait. La prison, je l’ai déjà vécue, je l’ai déjà subie. Je suis prête. Enfin, je crois que je le suis.

La réaction de Kieran est assez difficile à décrypter, je ne saurais trop dire s’il est sidéré, dépité, résigné, convaincu, amusé… peut-être qu’il ne le sait pas lui-même. Je ne serais pas étonnée que ce soit un mélange de tout à la fois, honnêtement. Et c’est compréhensible. Je veux bien croire qu’il ait eu affaire à quelques cas particuliers au cours de sa carrière, mais à mon avis, il atteint un nouveau seuil avec moi. Si la situation n’était pas si critique, j’en retirerais certainement un petit sentiment d’orgueil, je dois bien le dire.

Mais l’heure est grave. Je sais ce qui m’attend, et même si je l’accepte, ce serait un peu rapide et un peu facile de s’imaginer que j’en suis heureuse. Ce n’est pas le cas du tout. Mais je serai heureuse si cela peut changer la vision du commun des sorciers sur la situation politique actuelle. Alors j’aurais le sentiment d’avoir gagné… Qu’un avocat spécialisé, qui dispose d’armes que je n’ai pas, soit présent pour plaider ma cause, c’est un honneur immense, c’est ainsi que je le conçois. Et je l’accepte avec une vraie gratitude. Il va peut-être se mettre la communauté sorcière, le Magenmagot et le ministère à dos en acceptant de m’aider, mais il le fait, il ne recule pas. Il n’imagine pas combien je lui en suis reconnaissante. J’espère qu’il le comprend, qu’il le devine, parce que c’est important à mes yeux. Le voilà en procès contre toutes les autorités magiques en vigueur et… ça a l’air de l’amuser. Je crois qu’il est sérieux quand il me dit que c’est ce dont il a besoin.

-J’ai déjà rassemblé un certain nombre d’éléments, de précédents, de documents… du temps où j’envisageais d’assurer ma défense seule. Je lui adresse un sourire. Je vous remercie vraiment de faire ça pour moi. J’ignore si cette cause vous tient à cœur ou si vous aimez seulement relever des défis qui ont l’air impossible mais… j’ai vraiment l’impression de faire cent pas en avant grâce à vous.

Je ne veux pas donner le sentiment de verser dans la flatterie inutile, ce n’est pas ce que je fais. Je crois dans nos compétences, je crois dans nos possibilités de victoire. L’essentiel est de faire date. Pas tant de réussir que d’avancer. Et le progrès est en marche.

Je comprends la réponse de Kieran, mais pour tout dire, je préfère tout de même le remercier maintenant plutôt que d'attendre l'issue du procès. Et la raison en est évidemment très simple : je pense qu'après le procès, et même si Kieran aura fait du mieux qu'il le pouvait, j'en sortirais tout de même sérieusement démoralisée, comme je le suis déjà à l'idée de retourner à Azkaban. Je le montre le moins possible, mais c'est tout de même ce que je ressens en cet instant, je ne vais pas vous mentir, même si j'essaie de mentir à tous les autres. Alors je préfère le remercier maintenant, et ça n'a rien de prématuré ou d'hypocrite. Je vois bien de quoi il veut se rendre capable pour moi, je vois bien qu'il mobilise tous les efforts pour plaider ma cause, au sens propre comme au figuré, et c'est cela qui importe, c'est cela qui mérite toute ma gratitude quoi qu'il puisse advenir.

Je hausse un sourcil intrigué en entendant la suite des propos de Kieran qui me fait comprendre qu'il ne déploierait pas tant d'énergie à plaider ma cause s'il voulait simplement se contenter de traiter une affaire compliquée. Il a un autre intérêt dans l'affaire. Je ne peux m'empêcher de me demander laquelle, je le reconnais. J'avais deviné que ma cause lui tenait à coeur, mais je crois qu'il y a quelque chose dans son histoire qui m'échappe, quelque chose qui justifie qu'il se comporte de la sorte auprès de moi, et qui me laisse à penser que je n'aurais définitivement pas pu trouver meilleur avocat vers qui me tourner.

-Vous les aurez dès ce soir, je confirme quand Kieran confirme que les documents que j'ai pu rassembler l'intéressent et qu'il veut y jeter un oeil. Je comprends bien qu'il ne veut passer à côté d'aucune information, et j'apprécie, une fois de plus, son professionnalisme, même si c'est éventuellement le mieux, de "professionnalisme", qu'il pourra blâmer, puisque je ne peux m'empêcher de lui poser la question indiscrète qui me taraudait jusqu'alors. J'ai l'impression que vous prenez cette situation en partie personnellement, je me trompe ?

D'accord, je prends quelques risques à le formuler ainsi. Mais ça a été plus fort que moi.

Je sais bien que, au fond, c'est une bonne chose que je n'en sache pas tant que cela sur Kieran, car après tout, notre relation est professionnelle, et c'est sans doute en la maintenant ainsi que nous parviendrons à assurer une défense parfaite. Mais à force de travailler ensemble à ma défense, à force de parler et d'échanger, je ne peux pas prétendre considérer Kieran uniquement comme mon "avocat" et pas comme un allié. Et mes alliés, c'est comme ça, je ressens le souhait de les comprendre et de les connaître. Et dans le cas de Kieran, je sens bien que son comportement renferme quelque chose, peut-être pas un secret mais du moins une vérité qu'il ne dit pas à grand-monde, et qui justifie à titre personnel qu'il prenne ma cause très à coeur.

Et en effet, c'est le cas, je le comprends quand il reprend la parole. Je ne m'attendais honnêtement pas à ce qu'il me parle à coeur ouvert, je suppose qu'il se sent suffisamment investi et en confiance pou faire cet effort. Qui n'est peut-être pas vraiment un effort au bout du compte. Il m'apprend qu'il a grandi au milieu d'une famille de sangs purs. Oui, je m'en suis douté la première fois que j'ai entendu son nom, tout en étant honnêtement surprise de découvrir en lui un tempérament que l'on retrouve rarement chez ceux de son sang (même s'il s'agirait de ne pas faire de généralités non plus). Il est le fils d'une union illégitime, son père est un moldu. Et je comprends qu'il a été renié des siens au moment où la nouvelle a éclaté. Il a vu les deux côtés de la barrière, goûté à la cruauté qu'induit les différences condamnées par une société mal instruite. Ensemble, nous avons l'occasion de faire une différence. Nous ne devons surtout pas passer à côté.

-Je comprends mieux, dis-je en adressant un sourire encourageant à mon interlocuteur. Merci de m'en avoir parlé.

Pour moi, c'est un gage de confiance, et j'estime d'autant plus que je n'aurais pas pu trouver meilleur avocat que lui. Il a définitivement toute mon estime. Ce n'est pas pour rien si nous nous retrouvons sur le chemin l'un de l'autre, ma certitude en est d'autant plus grande.

-Comment ça se passe, maintenant, avec votre famille ?

Je ne devrais pas poser la question, sans doute, mais il m'a rendue curieuse.

Je regrette sincèrement d'entendre que Kieran n'a plus aucun contact avec sa famille. Je comprends bien que ses proches ne lui apportaient rien de positif, mais je pense qu'au fond de nous, l'on est toujours terriblement attaché aux liens du sang, presque malgré nous, et il est dur de ses détacher de nos racines. Moi, j'y ai été obligée par les circonstances, et je sais que sans cette blessure, je ne me serait pas à ce point investie dans le combat que je mène. Notre famille nous construit, qu'on le veuille ou non.

Je pense que c'est une chose plus ou moins inévitable, dans le fond. C'est à nous d'en tirer les conclusions qui s'imposent. Nos racines ont construit nos parcours et ont fait que nos chemins se sont croisés. Quelque part, c'est vraiment une excellente chose, je ne vais pas le cacher. Je n'aurais pas pu tomber sur meilleur avocat. En revanche, je ne vais pas prétendre qu'il n'aurait pas pu tomber sur meilleure cliente. C'est pas beau de mentir.

En tout cas, même s'il a rompu tout contact avec sa famille (ou réciproquement), il ne donne pas l'impression d'en souffrir. C'est peut-être une illusion, juste. Après tout, on n'est pas proches non plus au point de tout se confier non plus (même si je ne suis pas certaine d'avoir encore beaucoup à lui cacher, mais il le fallait bien pour être défendue comme il le fallait). Mais il donne l'impression d'être honnête en affirmant qu'il considère que c'est une bonne chose. Et tant mieux. S'appesantir sur le passé ne servirait à rien.

-Vous avez raison. Le passé sert à nous construire et à rien d'autre, je reconnais en hochant la tête. Je préfère que vous ne soyez pas d'un naturel à regretter, sinon vous pourriez finir par regretter de m'avoir pour cliente, j'ajoute avec un sourire.

Je pense pouvoir affirmer, à ce stade, que la question ne se pose pas vraiment.