Il fallait qu'elle s'isole, à tout prix. Son crâne la faisait terriblement souffrir. c'était comme si des milliers d'aiguilles fines lui transperçaient le cerveau. Elle avait la nausée, le coeur au bord des lèvres, l'impression de perdre pied. Une sensation de vertige... Elle se sentait proche de l'évanouissement.

Elle avait tenté de quitter sa salle de classe aussi dignement que possible, un "je ne me sens pas très bien" adressé à son professeur pour toute explication. Ce dernier n'avait pas insisté. La pâleur de son teint ou les tremblements dans sa voix avaient dû achever de le convaincre. A ses camarades, plus tard, elle vanterait ses talents d'actrice et prétendrait avoir voulu sécher.

Si elle pouvait se servir de sa maladie pour attirer l'attention et la compassion de ceux qui en avaient connaissance, elle n'avait jamais voulu s'en servir comme d'un argument auprès de ses camarades. Elle n'acceptait de jouer les faibles que si c'était calculé... Et là, elle ne contrôlait rien. Elle avait mal, terriblement mal... elle était vulnérable. Et c'était un spectacle auquel elle ne voulait voir aucun de ses "amis" assister.

Chancelante, tremblante, elle parcourait les couloirs, le regard vitreux. Elle avait refusé qu'un de ses camarades la conduisent à l'infirmerie. Elle en venait presque à regretter. Elle se sentait incapable de franchir les plusieurs mètres qui la séparaient encore de l'infirmerie en question.

Non, elle n'y arriverait pas. Elle avait juste besoin... de s'asseoir... ou mieux, de s'allonger. Si elle s'écoutait, elle s'étalerait, là, au beau milieu du couloir, la tête contre la pierre froide en espérant y trouver un certain réconfort, mais ce n'était pas une bonne idée du tout. L'humiliation serait totale.

Passée à côté d'une porte, elle se souvint avoir entendu qu'elle dissimulait une salle qui n'était plus occupée depuis un moment déjà. Disons que ça se tentait. Ave hésitation, elle entrouvrit la porte, constata que la pièce était effectivement vide.

Elle n'hésita pas plus longtemps et entra dans la salle, ferma la porte derrière elle et s'allongea sur le bureau autrefois professoral... recouvert de poussière, tant pis. Elle avait trop mal, elle était épuisée, elle n'arrivait plus à réfléchir.

Combien de temps passa-t-elle ainsi, allongée là, étourdie, vaseuse, alourdie de douleur ? Elle n'en savait rien... Mais la porte de la salle finit par s'ouvrir. Clarice se redressa brusquement et la tête lui tourna de plus belle... Eh merde...

"Dégage, Whisp.", dit-elle d'une voix pas aussi autoritaire qu'elle le voudrait.

Comme si ça ne suffisait pas que son crâne soit littéralement au bord de l'implosion et qu'elle se sente à deux doigts de la crise de larmes de douleur, il fallait qu'elle tombe sur l'un des pires témoins qu'il puisse y avoir à ce spectacle. Bon, peut-être pas le pire, elle préférait perdre la face en sa présence qu'en celle de Yaxley, par exemple, mais s'il lui venait à l'idée de répéter cette scène à qui que ce soit.. C'en était fini de sa réputation.

Elle n'avait rien contre le fait de susciter l'empathie tant que c'était quelque chose qu'elle contrôlait, parce qu'elle ne faisait que prétendre être faible, parce qu'elle restait maîtresse du jeu. Mais là, sa santé en vrac ne la laissait plus maîtresse de rien du tout. Elle devenait dépendante des circonstances, et dépendante de sa douleur, aussi, et bon sang ce qu'elle se sentait mal. Et il n'y avait évidemment aucune chance pour que ça passe inaperçu.

”Ça ne va pas Carrow ?”

"A ton avis...", répliqua sèchement Clarice tout en quittant le bureau sur lequel elle était allongé pour essayer de tenir debout.

Dans sa tentative de se donner une contenance, elle échouait lamentablement. Ses jambes tremblaient atrocement tandis qu'elle s'agrippait au bureau de toutes ses forces pour se stabiliser. Quel spectacle pathétique elle devait donner d'elle-même.

En cette seconde précise, elle se détestait profondément, presque viscéralement. Et pourtant, Clarice s'aimait vraiment beaucoup. Mais il fallait être stupide pour se donner en spectacle de la sorte, sans le moindre contrôle d'elle-même. Et toujours ces fichus marteaux qui semblaient changer son cerveau en bouillie...

Elle ne savait pas comment elle allait se tirer de là. Le plus simple serait peut-être de quitter la pièce dignement et de faire comme si de rien n'était, en faisant mine que cette situation était très naturelle, nier en bloc si le bleu et bronze devait répéter ce qui venait de se passer à qui que ce soit.

"J'adore m'étaler à même des meubles poussiéreux dans des salles de classe vides, c'est ma grande passion", ajouta-t-elle.

Faute d'arguments et faute d'excuses à se donner, elle n'avait rien trouvé de mieux à rétorquer à son interlocuteur, même si c'était plutôt pathétique, comme parade.

"Qu'est-ce que tu fais ici, toi ?"

« Je cherchais un coin tranquille pour écrire. »

Bien qu'en position de faiblesse évidente, Clarice ne sut s'empêcher de lever les yeux au ciel en entendant son interlocuteur lui apprendre qu'il était parti chercher une pièce isolée pour pouvoir y écrire tranquillement.

Elle ne savait pas grand-chose de Kennilworthy - il ne l'intéressait définitivement pas assez pour qu'elle fasse l'effort d'en apprendre plus à son sujet -, mais elle en savait tout de même assez pour avoir entendu parler de son projet d'écrire un bouquin... sur quoi, par contre. Un truc en rapport avec le Quidditch... mais ça pourrait bien parler de la reproduction des botrucs, impossible pour elle de le savoir.

Dans tous les cas, elle le trouvait naïf de penser qu'il allait devenir un grand écrivain du haut de ses dix-sept ans. Il allait forcément se manger un mur monumental, ce n'était pas possible autrement... mais ça pourrait être assez drôle à observer, ceci dit. Nigel lui avait suffisamment parlé de son métier et de combien les éditeurs étaient exigeants pour qu'elle soit convaincue du fait que Kennil avait de beaux rêves, mais qu'ils passeraient tous à la trappe... Evidemment, elle se trompait lourdement, mais c'est comme ça qu'elle le voyait.

« Est-ce que tu veux que j’aille chercher l’infirmière ? »

"Non", répondit-elle, catégorique.

Il ne manquerait plus que ça. Bon, l'infirmière était parfaitement au courant de sa condition, de sa situation, mais il était hors de question d'attirer l'attention sur elle, et elle préférait donner l'impression d'être capable de reprendre ses esprits sans l'aide de personne, même si c'était certainement une très, très mauvaise idée.

"C'est pas la peine, je vais bien", prétendit-elle en faisant de son mieux pour se mettre debout, agrippant fermement les rebords de la table pour ne pas céder sous les tremblements incessants de ses jambes.

Penser à autre chose, parler d'autre chose... Il fallait ça pour se distraire de la douleur et pour éventuellement distraire Whisp de son état. Elle voudrait lui faire oublier combien il l'a vue fragile, vulnérable. La meilleure protection pour elle avait toujours été l'attaque, elle allait le prouver une fois de plus.

"T'as toujours pas abandonné ton projet débile ? Tu crois vraiment que qui que ce soit en a quelque chose à faire de ton stupide bouquin ?"

« On ne sait jamais, il y a bien des gens qui en ont quelque chose à faire de toi. »

Clarice afficha un sourire qui ressemblait bien davantage à une grimace à la remarque de son interlocuteur, pas parce qu'elle se sentait particulièrement touchée par cette dernière (sa haute estime d'elle-même induisait qu'il n'était pas facile de la faire se sentir vexée ou humiliée, même si elle n'était pas à l'abri que ce soit le cas malgré tout, l'ego démesuré à ses limites), mais elle se sentait clairement trop mal pour trop en exiger de ses zigomatiques.

En attendant, il était vrai que de nombreuses personnes en avaient quelque chose à faire, d'elle, et bien plus qu'elle ne le méritait, au demeurant, compte tenu de son caractère et du regard qu'elle posait sur la plupart de ces personnes. Diablement narcissique, elle ne s'entourait que dans l'intention d'être admirée, pas dans celle de partager de grandes et belles histoires d'amitié. Non, ça, elle s'en passait plutôt bien, à vrai dire.

Mais oui, des gens se souciaient d'elle, et elle considérait que c'était normal, parce que ses qualités naturelles méritaient  d'être observées, considérées et admirées (rien que ça, tout à fait, oui oui.

"En effet, et pour autant de qualités et de distinctions qui sont à des années-lumière de ce à quoi tu pourras jamais accéder. Il suffirait que je décide de publier ton bouquin pour qu'il paraisse à mon nom, toi, tu n'as que ton vague talent d'écrivaillon et beaucoup trop d'ambition en vertu de la médiocrité de ton nom", décréta-t-elle sans trop savoir comment elle était parvenue à enchaîner autant de paroles d'affilé alors qu'elle sentait bien que son état ne s'arrangeait pas.

Plutôt que de fanfaronner, elle aurait tout intérêt à se rendre à l'infirmerie, mais non, elle n'en avait évidemment pas fini avec son interlocuteur, loin très, loin de là, d'autant moins que les propos qu'elle venait de tenir venaient de faire affleurer à son esprit un pensée qu'elle avait très envie d'exprimer, à présent.

"Tu sais que si tu espères voir ton manuscrit inutile atteindre le seuil d'une librairie un jour, ce n'est pas sur ton talent que tu devras compter, mais sur tes relations." Elle marqua une pause et le jaugea un instant avant de reprendre. "Mon oncle travaille pour l'une des maisons d'édition sorcières les plus influentes, tu sais..."

« Et alors ? Tu crois mieux valoir que moi à cause de ton nom ? C’est ton droit. Mais tu m’inspires juste de la pitié. Si ta seule fierté, c’est le nom que t’a transmis ton père, alors je préfère vraiment ne rien avoir en commun avec toi. Moi au moins, je réussirais grâce à mon travail, et je pourrai en être fier. »

La réflexion de Kennil, que Clarice trouvait particulièrement naïve, amusa au plus haut point la vert et argent, même si elle n'était clairement pas en état de rire à gorge déployée à l'heure actuelle, il faut quand même le dire.

Elle ne voulait pas croire que Kennil puisse vraiment être naïf au point de s'imaginer que ceux qui avaient un nom, une réputation, une situation, ne valaient pas naturellement mieux. C'était ce nom qui leur garantissait que toutes les portes leur soient ouvertes, et au final, inspirer de la pitié aux moins que rien ne devait pas l'atteindre (elle avait de toute façon une trop grande estime d'elle-même pour être touchée par ce genre de remarques)...

Ceux qui les prenaient en pitié plutôt que de les jalouser étaient ceux-là même qui ne se tireraient jamais de leur situation au combien lamentable, et s'ils n'avaient pas le bon sens de chercher à s'en sortir, eh bien, il n'y avait rien à faire pour eux. Ils n'en valaient à l'évidence pas la peine.

"Ou tu ne réussiras pas parce que la réussite ne repose pas sur le mérite et qu'il faut être absolument stupide pour ne pas en avoir conscience."

« Je suis content pour toi. »

Qu'il ajouta quand elle lui parla de son oncle. Donc il ne voulait vraiment pas lui faire comprendre. Son excès de vertu allait lui coûter cher, à la longue ou ne rien lui coûter du tout, mais en tout cas, sa vie ne changerait pas.

"C'est maintenant que tu devrais me convaincre de te pistonner, tu sais ? Si tu crois que tu vas percer dans le milieu par la seule force de ta volonté plutôt qu'en te constituant un réseau, c'est vraiment que tu es d'une naïveté sans pareille."

Mais en réalité, elle ne pensait pas que Kennil soit quelqu'un d'idiot ou de naïf. Elle pensait par contre qu'il aurait tort de ne pas saisir les opportunités quand elles se présentaient. Même si toute opportunité a un prix.

« Je ne compte pas te convaincre de quoique ce soit. Peu importe ce qui te motives à me dire ça, tu ferais mieux de te trouver quelqu’un d’autre. Je sais bien que seule le mérite n’est pas forcément suffisant, et que c’est une voie difficile, mais je préfèrerai m’entourer de personnes en qui j’ai confiance, et tu n’en fais clairement pas partie. »

"Si tu attends d'avoir confiance pour intervenir, tu n'es pas sorti de l'auberge", répliqua Clarice avec un léger sourire cynique.

Elle le pensait. Elle estimait d'ailleurs que la confiance était un don rare, et que au plus tôt on se rendait compte qu'au final, on ne pouvait faire confiance à personne, mieux on se portait.

Bien sûr, Clarice avait eu envie de faire confiance à certaines personnes, et elle pensait, par exemple, avoir raison d'accorder sa confiance à son père, à sa mère ou à son oncle, mais c'est de cela seulement qu'il était question. Et parce que c'était sa famille proche, son sang... Et parce qu'ils lui avaient prouvé leur dévotion en protégeant son secret. Mais ça s'arrêtait clairement là. Non, ça ne pouvait pas aller au-delà.

Et donc oui, elle estimait qu'il avait tort de ne pas saisir les opportunités quand il en trouvait. Ceci dit, elle n'avait pasl 'intention d'insister... elle n'aurait rien de particulier à y gagner, et Clarice était quelqu'un d'intéressé, elle ne faisait jamais rien sans espérer obtenir quelque chose, peu importe quoi, en retour.

"Mais j'insiste pas, j'éviterai de faire perdre du temps à mon oncle, comme ça. Tu apprendras l'opportunisme par toi-même quand tu galèreras tout seul dans ton coin, j'imagine", fit-elle.

La jeune femme n'avait pas envie de débattre, elle n'avait même pas envie de vraiment faire un monde de tout cela : ça ne l'intéressait absolument pas, en vérité. Si elle disait ce genre de choses, c'était plus pour détourner l'attention de son état et tenter de se le faire oublier à elle-même.

Ceci dit, elle avait le sentiment que ça n'avait pas si mal fonctionné. Elle avait même l'impression que c'était sorti de l'esprit du bleu et bronze, et elle s'en sentait ravie et soulagée. Ce n'était pas grand-chose, mais elle avait le sentiment d'avoir échappé à tout cela, tout simplement.