Libres. Elle était libre. C'était... improbable, c'était fou... Elle n'arrivait pas à donner de sens à cette situation, à comprendre comment c'était seulement possible, mais oui, elle était bel et bien libre. Enfin. Rien ne s'était passé comme ils avaient voulu le planifier. Ce n'était ni son père, ni Nobby Leach, ni Theodosia qui lui étaient venus en aide, mais elle était dehors... et c'était tout ce qui comptait.

Despina savoura une grande bouffée d'air pur. Il faisait nuit, c'était tant mieux, ainsi, elle espérait que son corps et ses yeux surtout s'habitueraient plus facilement à la lumière... Elle ne savait pas où Carlotta les avait conduites, ce n'était pas important. Elles étaient à l'abri, le plus loin possible des détraqueurs. Et Despina se jurait que rien, jamais, ne la ramènerait à l'endroit qu'elle avait fui. Sur tout ce qu'elle possédait, elle se battrait, elle s'obstinerait. Elle obtiendrait gain de cause.

-Et maintenant ?

Et maintenant ? Le rire de Carlotta était communicatif. Elles n'étaient pas tirées d'affaire, et devaient à tout prix éviter de le penser, au risque de tomber de très, très haut. Mais elles seraient bien stupides de ne pas savourer leur victoire du moment, leur liberté si légitimement acquises... savourer la douceur de ces mots à leurs oreilles.

"Maintenant... Je vais retrouver mon fils", dit-elle avec toute la volonté et toute la fermeté du monde.

Enfin, quand elle disait qu'elle allait le retrouver, ce n'était évidemment pas comme ça, ni tout de suite. Il fallait qu'elle réfléchisse posément à un plan d'action. Agir dans la précipitation, ce serait revenir à la case départ.

Il allait falloir qu'elles s'arrangent, toutes les deux : pour l'heure, ni l'une ni l'autre n'étaient présentables, et aussi, il allait falloir qu'elles se trouvent un pied-à-terre le temps de résoudre leurs propres affaires, mais Carlotta la comprendrait.

Elle allait pouvoir retrouver, sauver Amos. Ce n'était plus une ambition vaine, c'était une certitude. L'idée de pouvoir bientôt prendre son fils dans mes bras lui donnait le sentiment d'être invincible. Il n'y avait rien qui ne puisse être à sa portée.

"Où est-ce qu'on est ?"

Quitte à être pragmatiques, autant commencer par là. Despina avait fait confiance à Carlotta, elle ne savait pas du tout où elles pouvaient bien être.

-Ullinish, en Ecosse. Je venais souvent là, avec mes parents, je n'ai pas vraiment réfléchi avant de transplaner.

Ce lieu ne parlait pas du tout à Despina, et la jeune évadée songea que c’était tant mieux, on ne songerait pas à la cherchait où elle n’avait jamais eu de raisons de se trouver. De l’Ecosse, elle n’avait connu que Poudlard et Pré-au-Lard au cours de ses années estudiantines, et ça s’arrêtait là.

Bien sûr, cela voulait dire que c’était en revanche un lieu où on pourrait vouloir chercher Carlotta, mais Despina avait le sentiment que dans l’urgence de la situation, sa décision en soi irréfléchie leur sauvait la mise. Pas le temps de faire mieux, et pas vraiment de réflexion qui pourrait mener les Aurors et la police directement sur leurs traces. De toute façon, Despina ne pensaient pas qu’elles soient de priorités : elles n’avaient jamais tué personne, après tout, elles étaient des petites frappes en comparaison de certains des criminels qui avaient fui en même temps qu’eux.

Ullinish. Elle retiendrait cet endroit. Elle aimait profondément cette place, l’écho des vagues contre la pierre… Elle se sentait en sécurité. Et elle s’était trouvé la meilleure partenaire d’évasion qu’on puisse imaginer. Carlotta n’avait pas seulement un grand cœur, elle était aussi très pragmatique.

-Il va falloir qu'on se trouve une planque, le temps de réfléchir à nos options. Tu ne peux pas juste venir frapper à la porte et demander à voir ton fils, il va falloir ruser. J'ai quelques contacts qui devraient pouvoir nous héberger le temps de mettre de l'ordre dans nos affaires et dans nos idées.

Despina hocha la tête. Elle n’avait pas envie d’attendre trop longtemps avant d’agir, mais elle reconnaissait que la décision impulsive d’aller trouver Amos là, tout de suite, tiendrait de l’opération-suicide. Elle ne devait pas laisser son désir prégnant de revoir son fils interférer avec ce qui devait être ses priorités.

"Je te fais confiance", répondit Despina, bien consciente qu’elle était la seule des deux à pouvoir avoir les contacts les plus utiles pour le moment. "J’aime cet endroit. J’emmènerai Amos ici. Elle sourit. ça ne te fait pas peur ?" demanda-t-elle en se tournant vers Carlotta. "On va devoir reprendre nos vies de zéro. En ce qui me concerne, ce n’est pas vraiment un souci, mais pour toi…"

Despina se voyait tout à fait partir vivre ailleurs, auprès de son fils et sous une nouvelle identité. Mais Carlotta ? Quid de ses amis ? d’Ignatius ?

-Je n'avais de toute façon pas l'intention de me ranger une fois sortie de prison. J'imagine que ça me motivera d'autant plus à aller au bout de mes actions.

Despina esquissa un sourire. Elle n'avait aucun mal à reconnaître Carlotta dans ce discours jusqu'au-boutiste qui lui était si familier. Même derrière les barreaux, même en proie aux tourments que vous infligent les détraqueurs, elle n'avait jamais renoncé à sa cause ni tourné le dos à ses convictions.

Ces convictions en question, Despina ne les approuvait pas vraiment. Elle considérait que c'était une perte de temps phénoménale que de vouloir à ce point faire ami-ami avec les Moldus, mais Carlotta savait se montrer convaincante, et surtout, elle ne pouvait pas totalement être réfractaire à une idéologie dont la vocation était également de protéger les enfants des sorciers sans pouvoir, les enfants comme Amos. Dans un monde régi selon les aspirations de Carlotta, les cracmols seraient protégés, et elle n'oubliait pas ça.

Alors, à ce titre, elle ne cesserait jamais d'encourager et de soutenir son amie. De toutes les manières, après ce qu'elles avaient traversé côte à côte, la question ne se posait plus vraiment. Ce qui était le plus important, c'était de faire ce qui apparaissait comme le plus juste, rien d'autre.

-Bon, je peux oublier Poudlard, c'est dommage, j'aimais bien enseigner...

"Si ça peut te consoler, ton successeur ne fera pas long feu non plus."

Qu'Orpheus ait remplacé Carlotta à son poste de professeur d'étude des Moldus, c'était ignoblement ironique, mais Despina ne donnait pas cher de la peau de son mari. Elle ferait ce qu'il faudrait pour que tous ses privilèges lui soient retirés, pour que sa vie soit un enfer, pour qu'il n'ait plus de vie du tout, en somme.

- Je n'ai aucune idée de comment ça va se passer avec Ignatius. Je n'ai pas à lui imposer ça...

Despina déposa une main amicale sur l'épaule de Carlotta. C'était de cela qu'elle avait voulu que son amie lui parle, parce qu'elle se doutait bien que cette situation était éprouvante pour elle, et qu'elle trouvait que les deux étaient particulièrement touchants. Elle voulait croire à ces histoires qui durent.

"Tu devrais aller le voir et lui laisser décider de ce qu'il est prêt à accepter pour toi ou non. Tu ne crois pas ?"

-T'as peut-être raison.

Despina hocha la tête. Elle était même certaine d'avoir raison à cent pour cent, à vrai dire. C'était plus simple de faire certains constats d'un point de vue extérieur. En l'occurrence, il suffisait qu'elle tienne compte de ce que Carlotta lui avait dit d'Ignatius et des visites de ce dernier à son amie pour savoir qu'elle ne se trompait pas.

Leur histoire était peut-être houleuse, avec ses hauts et ses bas - quelle histoire ne l'était pas, après tout ? -, mais c'était leur histoire, malgré tout, et Despina ne pensait pas qu'elle ait atteint son point final, pas encore.

Elle ne savait pas s'ils dépasseraient cet obstacle ou non, mais ce qu'elle n'ignorait pas en revanche, c'est que s'ils ne prenaient pas la peine d'en parler, de mettre cartes sur table, eh bien ils ne le sauraient jamais.

Et si elle ne se permettrait pas de parler à la place d'Ignatius, elle avait moins de mal à s'exprimer à la place de Carlotta, et elle savait que toute cette histoire la rongerait à coup sûr. Cela faisait suffisamment longtemps maintenant qu'elle l'observait et qu'elle observait sa manière d'agir et de raisonner. Elle se doutait que Carlotta tournerait et retournerait cette question dans son esprit sans arrêt, ce qui à la longue ne pourrait pas du tout être sain pour elle. Une bonne discussion, même à l'issue déplorable, était la meilleure solution.

-En fait, j'ai un peu peur de le revoir...

"Tu sais quoi ?" répondit Despina avec un doux sourire. "Ça me rassure. C'est normal d'avoir peur, mais depuis quand est-ce que ça t'a jamais arrêtée, hein ?"

Elle était brave au point d'être suicidaire. Carlotta était une frondeuse, elle agissait en fonction de ses convictions. Et peu importe ce qu'on pensait de ces convictions en question, elle allait jusqu'au bout, et personne ne pourrait lui retirer cette force de caractère qu'elle n'allait sûrement pas jeter aux oubliettes si facilement.

"Moi aussi j'ai peur, tu sais... Même si j'arrive à récupérer Amos, je sais qu'il me déteste... Je sais pas comment je vais faire pour retrouver sa confiance. Et je sais pas quelle vie je vais pouvoir lui offrir dans ces conditions..."

-Ce n'est pas l'idéal... mais il va comprendre. Quand il sera loin de son père, quand il comprendra qu'il peut vivre par lui-même, sans subir toutes ces... expériences horribles... il comprendra le mal que son père lui faisait.

Despina esquissa un sourire. C'est ce qu'elle se répétait, tous les jours, mais il n'était pas si évident d'en être convaincu. Voir son fils à Azkaban lui avait terriblement fendu le coeur, elle avait cru ne pas s'en remettre. Il n'était plus que l'ombre de lui-même, lui qui était déjà mal en point avant son départ.

Il allait falloir du temps et de la patience pour lui rendre le sourire, lui faire comprendre que sa vie ne devait pas être une souffrance, qu'elle n'aurait pas de terme à ses onze ans, qu'il pourrait vivre, longtemps, et qu'elle l'aimerait, peu importe qu'il ne soit pas un sorcier. Elle se doutait que ça allait être un travail de patience.

Et elle, elle voudrait tout avoir, tout de suite, sans avoir à se poser la moindre question. Elle voudrait que son fils l'aime à nouveau, sans avoir besoin de le reconquérir. Son amour pour lui était si instinctif, si naturel, qu'elle voudrait que la réciproque soit vraie.

Mais elle serait prête à prendre le temps qu'il faudrait, et en dépit des circonstances, elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour qu'il soit heureux... quitte à trop le gâter ? Peut-être bien, en effet, mais après tout, il fallait bien compenser.

-Et je suis sûre que si on s'organise bien, on peut s'arranger pour que vous repreniez tout à zéro. Ailleurs. Sous une autre identité s'il le faut.

"J'aimerais ne pas trop le désorienter, mais dans un premier temps, j'imagine que ce sera le mieux... quitte à revenir quand Orpheus sera enfin derrière les barreaux."

Ce qui arriverait, parce qu'il fallait que ça arrive. Mais en attendant... peut-être que tout reprendre immédiatement à zéro était dans tous les cas ce qu'il leur fallait. Ils avaient besoin de laisser le passé derrière eux, et d'ouvrir un nouveau chapitre de leur vue.

"Tes contacts... ils seraient capables de nous fournir de nouveaux papiers d'identité ?" demanda-t-elle, consciente que c'était une chose à laquelle il allait lui falloir réfléchir très vite si elle voulait que tout soit en place au moment de retrouver son fils.

-Je pense que c'est faisable, oui, où ils pourront m'orienter vers des personnes qui en sont capables, en tout cas

Despina esquissa un sourire. Avec Carlotta, elle était vraiment bien tombée. La jeune femme ne cherchait pas du tout à exploiter les connaissances, le potentiel et les contact de son amie, il ne s'agissait pas de ça, mais elle ne pouvait quand même pas nier qu'ils lui étaient d'un grand secours en cet instant.

Carlotta avait de la ressource, et, l'esprit frondeur, elle n'avait peur de rien. Despina voudrait avoir la même force de caractère. La jeune femme s'en était découverte une, plus qu'elle ne l'avait soupçonné, plus qu'elle ne l'aurait cru, mais elle avait tout de même plus que besoin de l'aide de ceux qui l'entouraient.

La jeune femme savait que sa vie ne serait pas un long fleuve tranquille. Mais elle se sentait entourée, soutenue, et pour la peine, elle pensait vraiment qu'elle pourrait s'en sortir, ce ne serait pas facile, mais elle pourrait bien y arriver.

-Il faut impérativement qu'on se procure de nouvelles baguettes, aussi... C'est pas simple de se trouver des baguettes de qualité sur le marché noir mais je dois pouvoir nous arranger ça.

Carlotta avait raison, c'était une priorité, et Despina réalisait pourtant qu'elle n'avait pas songé à ça. Elle s'était sentie nue sans sa baguette, mais depuis le temps qu'elle était prisonnière, elle avait oublié que c'était son droit le plus absolu que d'avoir une baguette et de s'en servir.

Elle aurait voulu récupérer son ancienne baguette, mais elle avait été brisée avant son emprisonnement, elle ne devait pas y compter. Sans quoi, elle se serait sûrement réfugiée auprès d'Hermès pour lui supplier de lui rendre sa baguette.

"Je viendrai avec toi, tu n'as pas à prendre tous les risques", répondit-elle avec un sourire. "Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans toi, tout de suite, tu as une réponse à tout."

Le compliment était fait avec sincérité. Despina refusait d'être à nouveau dépendante de qui que ce soit. Elle devrait à tout prix essayer de se débrouiller par elle-même, mais malgré tout, elle avait encore besoin d'elle, et elle tenait absolument à lui rendre la pareille à un moment donné.

-Absolument pas.

Carlotta avait beau dire, Despina n’en était pas totalement convaincue, ou en tout cas, elle ne pouvait que constater que ce n’étaient pas les ressources qui manquaient à son amie quand elle-même avait un peu trop souvent tendance à se reposer sur les autres. C’était le cas avec son père, avec Dosia, avec Hermès, avec Leach. Et ce n’était pas différent avec Carlotta.

C’était fait sans malice ni mauvaises intentions, mais ça restait le cas. Elle se reposait sur les autres, et dans ces circonstances précises, sans le soutien ô combien précieuse de son amie, elle ne savait vraiment pas comment elle s’en sortirait. Et Despina avait très envie de contredire à son tour son amie juste pour le principe, mais elle décida finalement de ne rien en faire, d’autant que Carlotta lui concéda malgré tout qu’elle avait effectivement plus de ressources qu’on ne lui en soupçonnait.

-Mais disons que j'ai appris à jongler avec les cas de figure les plus désastreux. C'est presque une seconde nature, chez moi, maintenant.

Jongler avec les cas de figure les plus désastreux, c’était à l’évidence une nécessité quand on décidait comme elle d’agir à l’encontre de la loi, dans le but notamment de la métamorphoser. La jeune femme était obligée de combiner avec les circonstances, et elles ne devaient pas toujours être favorables. Ça ne faisait pas le moindre doute, l’évident sens de la débrouille de sa nouvelle meilleure amie allait les aider à plus d’un titre.

Elles ne pouvaient pas avoir la garantie que cela leur servirait à vraiment s’en tirer à bon compte, mais elles devaient tenter le tout pour le tout, et elles le savaient toutes deux. Elles n’avaient pas le choix si elles voulaient espérer survivre le plus longtemps possible.

On gérera tout ça demain, maintenant, il faut surtout qu'on se repose et qu'on reprenne des forces. Il y a une auberge dans le village voisin... on prend un léger risque à y aller à visage découvert, mais je ne pense pas que quelqu'un pensera à nous chercher ici.

Despina hocha la tête, elle n’allait pas prétendre avoir une meilleure idée pour le moment, et elle se fiait complètement à l’opinion de son interlocutrice. Elle regrettait de ne pas avoir le pouvoir, seulement, de faire la seule chose qu’elle aurait été en mesure de faire, à savoir utiliser l’un et l’autre sortilège pour rendre le physique de son interlocutrice davantage méconnaissable, mais c’était ainsi.

"Très bien, allons-y", confirma-t-elle, décidée.

Et après une bonne nuit de repos, les choses sérieuses commenceraient.