De l'extérieur, je jette un regard à cette boutique certes renommée mais néanmoins du plus mauvais genre de l'allée des embrumes. En même temps, c'est dans le ton. La magie noire a beau être un indispensable de mes ambitions, je n'ai vraiment aucun attrait pour ce genre de lieux. Je me sens à mon aise où est le luxe, le confort, l'argent, le succès. Je ne reconnais rien de tout cela ici, mais je ne m'étonne pas en revanche de savoir que c'est ici que ce jeune arriviste de Jedusor a atterri. C'est à son image, bas-de-gamme et sans distinction.

Mais j'ai de bonnes raisons d'être ici. Excellentes, même. Déjà, je veux réussir à en apprendre plus au sujet de mon "rival" (même si je n'aime pas ce terme, qui laisserait presque suggérer que nous sommes des égaux, chose que je refuse d'accepter), comprendre ce qui l'a poussé à accepter ce poste que même lui devrait logiquement trouver indigne. Il a quelque chose en tête, e il est très important que je comprenne quoi plus précisément. Par ailleurs, je m'intéresse de très près au cas Barjow et Beurk ces derniers temps.

Ce n'est pas pour rien si j'ai choisi un horaire relativement calme, où je savais que les clients seraient peu nombreux et que ni Jedusor, ni Herbert Beurk ne seraient en poste. Je veux m'entretenir avec Kenneth Barjow, seul à seul. Je suis convaincu que nous avons beaucoup de choses à nous dire. Je me suis renseigné sur son histoire, j'en ai entendu tout le détail (enfin, le détail connu, en tout cas), et j'ai compris.

Il me faut cet homme dans mes rangs, et je suis à peu près convaincu d'avoir à ma disposition tous les arguments pour le convaincre. Je peux lui servir une vengeance digne de ce nom sur un plateau d'argent, et en retour, il pourra tenir une place privilégiée du côté de l'ennemi et dévoiler ses moindres faits et gestes. Depuis la découverte de Aaron, il est important que nous dispersions nos œufs dans le plus de paniers possibles. J'entre dans la boutique, elle est vide à cette heure et Mr Barjow est effectivement là. C'est parfait, nous allons pouvoir discuter tout notre content.

-Bonjour monsieur Barjow. Est-ce que vous auriez un moment ? J'aimerais parler avec vous. Je marque une pause, calculée. Au sujet de votre fille.

Aborder directement le sujet le plus susceptible de capter son attention.

Comme je m'en doutais, il n'est pas bien difficile de capter l'attention de cet homme. C'est une chose qu'il faut creuser chez d'autres, et qui ici m'est donné sur un plateau d'argent. Tout le monde s'étant intéressé même de loin à l'histoire des familles Barjow et Beurk connaît le drame qui les déchire et sait quel parti a choisi de prendre Kenneth Barjow. Le parti logique, celui du coeur. Je ne suis pas un insensible, je comprends que l'on décide de privilégier toujours les besoins de son enfant. Depuis qu'Augustus est entré dans ma vie, j'en ai d'autant plus conscience, d'ailleurs;

Donc, j'ai capté son attention, ce qui n'était pas chose difficile, maintenant, il s'agit de conserver cette même attention, mais je ne m'inquiète pas de cela. Je compte sur mes compétences et mon sens du discours et de la rhétorique pour le convaincre. Je sais qu'il attend de savoir ce que j'ai à lui dire, je sais qu'il doit se poser des dizaines et des dizaines de questions. Et je n'ai pas les réponses à toutes ces questions. Mais celles que je ne possède pas, je peux bien réussir à les improviser, ce n'est pas un problème pour moi.

-J'ai entendu parler de votre histoire, et je veux vous aider. Je ne peux qu'imaginer l'enfer que vous vivez. J'ai moi-même un fils, et je ne supporterais pas qu'on me l'arrache. C'est vrai. Ce servir de son vécu et se fonder sur un discours très sincère pour donner du poids à son discours, c'est une chose que je sais très bien faire. On peut compter sur moi quand il est question de cela. J'ai quelques... soupçons, au sujet d'Orpheus Beurk. S'ils devaient venir à se confirmer, il deviendrait un jeu d'enfant de l'envoyer derrière les barreaux et de libérer votre fille.

J'ai plus que des soupçons concernant Orpheus Beurk, je suis entièrement convaincu qu'il est à la botte de Tom Jedusor, mais si je veux que Barjow soit à la mienne, je dois la jouer fine. Je doute qu'il se laissera trop aisément amadouer. Je dois le convaincre que nous rejoindre est la meilleure solution qui soit, et le seul moyen pour lui de retrouver Despina Beurk le plus rapidement possible.

La haine est un sentiment bien curieux, il peut être un puissant moteur, et alimenter une hargne tenace, que rien ne saurait étouffer, pousser chacun à aller au bout de ses limites mêmes. La haine peut aussi faire votre faiblesse. C'est une émotion quoi qu'il en soit vive, et qu'il faut apprendre à exploiter avec mesure et raison. Pour ma part, j'estime cela facile, quand il est question de guider et d'alimenter la haine des autres, pas quand l'on veut alimenter la sienne propre, où ça devient plus complexe.

Il y a une haine profonde qui motive semble-t-il toutes les pensées et tous les actes de mon interlocuteur, et j'ai la ferme intention de l'exploiter jusqu'à la corde. Il attend, il s'agrippe à n'importe quel prétexte, il est prêt à tout entendre parce que la détestation a pris le pas sur la raison, et pour moi, c'est bien sûr plus que parfait. Il n'y a pas puissant moteur pour vous engager sur des voies que vous ne vous seriez pas imaginé poursuivre, et je compte bien sûr en profiter. D'autant que je ne m'aventure pas réellement sur des chemins si complexes. Je ne fais que dire la vérité. Une vérité que mon interlocuteur est tout prêt à accueillir et qui pourra bien changer durablement la donne dans la suite de mes plans. Il m'interroge et je me fais un plaisir de lui répondre. Et sincèrement qui plus est.

-Disons seulement que vous choisissiez d'examiner son avant-bras avec attention, je gage que vous y trouveriez une marque de ralliement à un groupe qui fait beaucoup parler de lui récemment. Et dont les Aurors recherchent le moindre membre très activement.

Je me doute que Kenneth Barjow voudrait avant tout voir son filleul tomber pour les crimes qu'il estime que ce dernier a commis envers sa fille, et le faire enfermer en tant que mangemort, par conséquent, ne répond pas entièrement à ce que peuvent être ses souhaits. Mais parfois, il faut savoir tirer parti et profit des circonstances. Et comme j'exploite les circonstances familiales de mon interlocuteur pour me trouver un nouvel allié, je pense que cet éventuel allié sera également capable d'envisager d'exploiter les travers d'Orpheus Beurk, même si ce ne sont pas ceux pour lesquels il a voulu les faire tomber en premier lieu.

Je le sais, j'ai réussi à atteindre ma cible. J'ai su pour de bon éveiller l'intérêt et l'attention de mon interlocuteur. J'ai su précisément sur quels leviers appuyer précisément pour obtenir entièrement la totale attention de mon interlocuteur. Ma proie est ferrée, c'est parfait. Il me demande plus de précisions, et c'est normal, mais je ne peux pas tout lui dire encore. Il est encore trop tôt pour suggérer de but en blanc à Kenneth Barjow de rejoindre l'Hydre, mais c'est bel et bien mon intention, sur le long terme. Je sais que je dois procéder par étapes. Je ne veux pas mêler les Aurors et la police magique à tout cela, sans surprise, mais je sais que je dois y aller en progressant, étape par étape, pour m'assurer que notre collaboration ne soit pas parasité par un tiers, quel qu'il soit.

-J'ai mes sources, je réponds donc très évasivement.

Ce qui est le cas, c'est bien comme cela que je fonctionne, j'ai mes sources et je les exploite, c'est bel et bien de cette façon que je procède, en effet. J'ai mes sources, ce sont mes espions de l'Hydre, ce sont Aaron (enfin c'était, son cas reste encore en suspens pour le moment, et rien n'est décidé à son sujet) et Lou. Mais de tout cela, je n'ai pas l'intention de lui parler pour le moment, il n'en est pas question du tout.

-Mais je peux vous communiquer toutes les preuves que vous désirez... si vous acceptez de me rendre un service en retour.

Voilà, je pose mes propres cartes sur la table. Parce que bien sûr, mon acte n'est pas désintéressé. Je me fiche complètement de Orpheus Beurk. Pour moi, il n'est qu'un mangemort parmi tant d'autres, sans grande envergure ni grand intérêt. Je me moque de son histoire, de ce qu'il a fait subir à sa femme, de ce qu'il fait subir à son fils. Tout ce qui m'intéresse, en ce qui me concerne, c'est que Kenneth se joigne à ma cause, et qu'en se joignant à ma cause, il me rende ce fameux service. Quel service exactement ? Je parle bien évidemment de Tom Jedusor. Mon interlocuteur est le mieux placé qui soit pour guetter ses faits et gestes, et j'ai la ferme intention d'en profiter.

Mon interlocuteur se montre encore méfiant, je le vois bien, mais je sais aussi que je le tiens avec des arguments et une promesse à côté desquels il est incapable de passer. Si l'on veut contrôler, diriger autrui, il faut saisir ce qui les tient, ce qui les motive, et en l'occurrence, s'il est parfois difficile de comprendre les motivations et les obsessions de certains, celles de Kenneth Barjow sont ce qu'on pourrait qualifier de particulièrement évidentes. Et il n'y avait pas besoin de chercher bien loin pour le comprendre.

Sa fille est en prison, il veut la sortir de là et la venger, c'est aussi simple que cela, et je ne mens pas quand je lui assure avoir les armes pour l'aider dans ses ambitions. Quand je promets quelques chose, je tiens mes promesse, c'est aussi de cette manière que l'on garde le contrôle. Mais pour cela, il faudra bien sûr que Kenneth respecte sa part du marché. Il me demande quel genre de service je devrais lui rendre, et je sais par conséquent qu'il ne me reste plus grand-chose à faire pour le convaincre. D'autant que le service que je lui demande n'a rien d'infaisable ni ne lui demandera d'effort particulier...

-Je veux que tu gardes Jedusor sous surveillance constante. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, rien ne devra échapper à ta vigilance. Et bien sûr, tu devras me reporter l'intégralité de ce que tu entendras et verras. Même ce qui devrait te sembler insignifiant.

Voilà, je n'en demande pas davantage, je n'en demande pas moins, je pense par conséquent que c'est largement dans ses cordes. S'il veut des preuves tangibles de l'allégeance d'Orpheus Beurk, s'il veut le faire tomber, s'il veut le voir derrière les barreaux à la place de sa fille, alors il n'a pas le choix, et je pense qu'il admettra que ce n'est pas cher payé pour la contrepartie qu'il recevra.

Bien sûr, j'ai une autre intention à long terme : bénéficier de ses connaissances en matière de magie noire, de l'accès qu'il possède à des artefacts puissants dont nous pourrons largement bénéficier, et bien sûr, je souhaite qu'il rejoigne l'Hydre, mais chaque chose en son temps. Il n'y a aucune nécessité d'aller trop vite en besogne.

Un sourire s'esquisse au coin de mes lèvres quand mon interlocuteur pose la question que j'espérais bien l'entendre me poser. Il ne sait pas, de toute évidence, quel est le vrai visage de celui que son collaborateur a engagé dans leur boutique. Mais il le sera très bientôt. Je sais que dès lors qu'il aura compris, plus rien ne s'opposera à mes projets. Quand bien même Kenneth Barjow déciderait de jouer les indécis, je suis certain qu'il est convaincu. Il serait prêt à tout pour faire tomber Orpheus Beurk, et si en ce qui me concerne, le sort de cet homme m'intéresse fort peu, c'est une tête que je l'aiderais à couper avec le plus grand plaisir, c'est une certitude.

-Oh, mais il a tout à voir là-dedans, je réponds, ravi d'entretenir un peu de suspense.

J'exagère peut-être, puisque même si je sais de source sûre que l'affaire Beurk intéresse véritablement celui qui se fait prétentieusement appeler "Lord Voldemort" - en dehors bien sûr du fait qu'il est un mangemort, mais je doute tout autant du fait qu'il accorde ne serait-ce qu'un semblant d'attention à ses sbires, qui à ses yeux doivent tous être interchangeables dans tous les cas. Ceci dit, dans cette affaire, oui, Tom a tout à voir, car il est la raison qui m'a poussé à passer la porte de la boutique de magie noire.

Sans cela, je me serais bien moqué de ces sordides affaires de famille, d'autant que je ne peux pas totalement condamner les actes d'Orpheus Beurk... si ce n'est qu'il aurait dû se débarrasser d'office de son cracmol de fils plutôt que d'insister à ce point, en perte de temps totale. C'est son erreur, et sur ce point, j'estime normal qu'il finisse par l'assumer et à en subir les conséquences.

-C'est lui, le mage noir qu'ils recherchent tous, j'ajoute alors une fois que j'ai estimé avoir suffisamment fait durer le suspense. Rien d'autre qu'un gamin arriviste et égotique.

Mais qui nécessite qu'on le garde à l'oeil. Il faudra se débarrasser de lui, de façon plus radicale, mais avant cela, je voudrais que tous ceux qui ont pris l'absurde décision de le suivre se détournent de ce maître en carton pâte, pour cela, j'ai besoin d'informations. On dit bien qu'il faut connaître ses ennemis, n'est-ce pas ? C'est on ne peut plus vrai.

La surprise se lit sur le visage de mon interlocuteur, très sincère, j’en suis sûr. C’est tant mieux… Même si j’étais convaincu du fait que Kenneth Barjow n’était pas au courant des manigances de Jedusor, je ne pouvais pas en être certain à cent pour cent, et j’aurais complètement pu me faire avoir. Mais non, même si une simple parole ne suffit pas à se faire la moindre certitude, j’ose penser que Jedusor et Barjow ne sont pas de connivence. Le simple fait qu’Orpheus soit, lui, de connivence avec le mage noir est un élément de plus en faveur de son ignorance. Par ailleurs, il ne tiendrait pas un tel discours s’il avait rejoint les rangs du petit parvenu.

L’injure envers le maître est inacceptable auprès des mangemorts. C’est une chose que je n’ai pas mis longtemps à comprendre. Je ne dis pas que c’est un point commun que nous avons… Disons seulement que le respect est une valeur que n’importe qui d’un tant soit peu intelligent se doit d’avoir. Et même si je n’estime pas Tom Jedusor comme un individu sensé, je dois reconnaître son intelligence. Une intelligence qui me pose vraiment souci, oui. J’ai beau mépriser ce garçon, s’il était une cible facile, s’il n’était pas un adversaire de choix, je me serais débarrassé de lui depuis longtemps. Ce n’est pas le cas, selon toute vraisemblance.

-En effet, ce n’est qu’un gamin, je confirme.

Je ne risque pas de contredire Barjow là-dessus. C’est bien comme ça que je le considère, comme un gosse… à peine sorti de ses couches, il s’imagine capable de gouverner le monde, et le pire dans tout ça, c’est qu’il a su se trouver une légitimité auprès de sorciers qui devraient flairer la supercherie à des kilomètres. Il a réussi à se façonner un univers de pacotille sur la base d’un mensonge. Quelque part, c’est impressionnant, remarquable même.

-Mais un gamin avec du pouvoir, ce qui, j’en ai bien peur, le rend plus redoutable qu’on ne pourrait le présumer. Je marque une pause. Son petit empire de pacotille est aussi fragile qu’un château de cartes, nous en serons bien vite débarrassés, mais en attendant… J’imagine que vous concevez à quel point votre aide saurait nous être précieuse.

Et je saurais récompenser son investissement dans notre cause. S’il se joint à nous, il peut être assuré que je l’aiderais à libérer sa sœur. Et que je règlerais bien vite le problème que lui pose Orpheus Beurk. C’est donnant-donnant.

La réponse de Mr Barjow est celle que j'attendais. Bien sûr, j'entends ses réticences et je sais qu'il n'est qu'en partie convaincu, mais je sais aussi qu'il ira jusqu'au bout. De l'avantage de tirer profit des faiblesses manifestes de chacun. Il est question de la liberté de sa fille. Sans elle, il ne tolèrerait sans doute pas une marge d'erreur si grande, mais puisque le sort de Despina Beurk peut dépendre de sa bonne volonté, il ne peut pas refuser, et pour ma part, je suis ravi. Je vais obtenir gain de cause, c'est ce que j'attendais. Et je me sens en vaine.

Ainsi donc, il accepte, mais dans une ultime tentative de se donner un minimum de pouvoir sur moi, il précise tout de même que je dois m'attendre à ce qu'il apprenne mes intentions à Jedusor si je ne tiens pas ma part du marché. Il n'a pas à s'inquiéter de cela : tant qu'il fera précisément ce que j'attends de lui, alors tout se passera exactement ainsi qu'il l'espère. Sa menace, je sais qu'elle est sérieuse, et je ne voudrais pas qu'elle se concrétise, mais je ne m'inquiète pas vraiment de cette possibilité.

L'existence de l'Hydre a été révélée, mais pas le nom de l'homme qui est à sa tête, et à ce sujet, je sais que je dois me montrer prudent, mais le marché que je propose à Kenneth est particulièrement censé et sincère. Je ne nierais pas la part de manipulation qu'il y a dans ma démarche, mais les termes de notre accord restent très clairs et inaliénables. Oui, Kenneth Barjow rejoint dès cet instant ma cause.

-Vous n'avez pas à vous inquiétez de cela, vous comprendrez très vite que je n'ai qu'une parole.

J'affiche un sourire, et je n'attends pas plus de temps pour serrer la main de Kenneth en guise de concrétisation dudit accord.

-C'est un vrai plaisir de collaborer avec vous, monsieur Barjow.

Et bienvenue dans l'Hydre. Il ne le sait pas encore, mais en acceptant ce marché, il rejoint tacitement notre cause. Il est dorénavant un membre à part entière de notre communauté, et d'entrée de jeu, il va avoir un rôle crucial à y jouer. C'est une chose que je le laisserai découvrir au fur et à mesure. Et ça ne saurait tarder.