Il y a bien longtemps que les fêtes de Noël ne revêtent plus le moindre intérêt pour moi. J'ai dépassé ce genre d'enfantillages depuis bien longtemps. Mais j'accorde en revanche à ma famille un intérêt certain et précieux. Oui, nos intérêts divergent parfois, et oui, il y a au sein de la famille Prewett de sérieux sujets de mésentente, cela n'ôte rien au fait que je tiens honnêtement à mon frère et à mes neveux.

Je ne saurais présumer d'à quoi va ressembler cette soirée, d'autant que c'est également le premier grand événement au cours duquel nous introduisons officiellement Augustus au reste de la famille (même si, dans tous les cas, Augustus est trop petit pour en garder le moindre souvenir). Nos derniers échanges avec Alastor ont été houleux, d'un autre côté, il est certainement préférable que nous ayons mis les points sur les i avant cette grande réunion familial, qui ne serait pas le lieu approprié pour ce genre de manifestations.

Je ne doute pas franchement du fait que certains de nos échanges ne manqueront pas d'hypocrisie en la circonstance, mais nous verrons bien. En attendant, tout est là pour permettre de faire illusion. Des cadeaux pour tout le monde, et une bouteille d'un délicieux champagne font le voyage avec nous tandis que nous nous dirigeons jusqu'à la demeure des Prewett - les autres Prewett.

C'est Alastor qui nous ouvre. Son ton jovial et son sourire amène donnent le ton. Rien ne doit déborder de cette soirée. C'est du moins l'intention initiale, mais tout ne se passe pas toujours ainsi qu'on l'aura voulu. Pour le moment, je place cette soirée sous un grand point d'interrogation. Nous verrons bien où cette dernière nous mènera exactement. Je me sens de bonne humeur, je suis plutôt ravi de voir mes neveux, je n'ai pas envie de créer d'esclandre inutile. En revanche, si la moindre réflexion doit à nouveau être faite à l'encontre de Lucretia, je n'hésiterais bien évidemment pas.

-Bonsoir. Nous sommes très heureux d'être là, je réponds d'un ton égal, parlant au passage au nom de Lucretia qui, je pense, ne déborde pas d'enthousiasme à la perspective de cette soirée. L'on pourrait presque dire qu'elle est en territoire ennemi. Mais je ne m'en fais pas pour elle. Elle a du répondant, et elle sait se défendre.

Que ne ferait-elle pas pour son cher et tendre époux ? Rien, elle était prête à tout pour lui, et ça voulait tout dire, car en cet instant, si ce n'était pour Ignatius, elle consacrerait son réveillon de Noël à n'importe quelle activité qui l'éloigne le plus possible de Ginevra et Alastor Prewett. Autant le dire tout net, elle ne les aimait pas. Et elle savait que c'était réciproque. Sous le prétexte de sa jeunesse, peut-être, ou parce qu'ils s'imaginaient qu'elle était malintentionnée à l'égard d'Ignatius.

Elle ne voulait même pas connaître leurs raisons, elle non plus n'en avait pas vraiment de valable pour les mépriser... si ce n'est qu'elle n'avait pas envie de faire des ronds de jambe pour être accepté du beau-frère et de la belle-soeur. Elle estimait ne rien avoir à leur prouver, tout simplement. Et ce sentiment avait atteint un seuil supérieur quand son mari lui avait rapporté la teneur de leur dernière conversation. Autant dire que ça lui restait en travers de la gorge, et si elle acceptait de prendre sur elle, c'était uniquement pour son époux, parce qu'elle savait, même si les raisons à cela restaient assez obscures selon elle, qu'il aimait son frère malgré tout et voulait continuer d'entretenir de bons rapports avec lui, de même que ses neveux.

« Bonsoir, entrez je vous en prie. Je suis content de vous recevoir. »

Voilà qui commençait bien. Lucretia était prête à parier qu'Alastor n'en pensait pas un seul mot, mais soit... Visiblement, cette soirée, l'hypocrisie serait de mise. Augustus au creux de ses bras, elle afficha un sourire de façade. Ce n'était qu'un mauvais moment à passer, après tout.

-Bonsoir. Nous sommes très heureux d'être là.

Ben tiens. Lucretia voulait penser que son époux n'était qu'à moitié sincère, mais il donnait le ton quant au jeu qu'ils devaient jouer. Elle allait serre les dents, des dents de sortie pour aller de pair avec son sourire le plus charmant.

-Bonsoir ! Joyeux Noël ! les salua-t-elle avec un enthousiasme feint. Comment allez-vous ?

Elle allait se contenter des convenances et des marques de politesse les plus classiques. Elle ne se voyait pas lui accorder autre chose pour le moment.

Lucretia prend sur elle, je le sens bien. Elle sait se fondre dans n'importe quel rôle, y compris celui de l'invitée modèle, et c'est entre autres quelque chose que j'adore profondément chez elle, mais je la connais assez pour voir par-delà le masque. Elle a compris que nous ne placerions pas cette soirée sous le signe de l'hostilité. A moins bien sûr que la situation ne se gâte. Quoi que nous ayons pu nous dire, quoi qu'il ait bien pu se passer, Alastor reste mon frère, et je veux être en bons termes avec lui. Ce privilège que je lui donne et dont il n'a peut-être pas conscience, il est certainement le seul à qui je l'accorderais. Mais il m'a prouvé, et de longue date, le mériter très largement.

S'il est une chose que l'on ne peut certainement pas retirer à Ginevra, c'est qu'elle est une hôtesse irréprochable, et elle se comporte comme telle tandis qu'elle nous invite à prendre place. Il y a des inconvénients comme des avantages à être l'invité. On ne choisit pas le déroulement de la soirée, et c'est un vrai désavantage, mais on se laisse servir sans subir la préparation des préparatifs et l'on peut décider de prendre congé de nos hôtes quand on veut, cela suffit à me mettre dans les dispositions suffisantes pour complimenter l'hôte, l'hôtesse, la tablée, les enfants, si cela peut permettre de flatter les uns et les autres.

-Oh... Je grimace en voyant le chiot qui a été offert en cadeau à mes neveux. J'ai toujours détesté les animaux, peu importe lesquels, mais les chiens encore plus... La dépendance me plaît quand elle vient d'autres humains. Étrangement, je ne la supporte pas chez ces boules de poil. Sans doute parce qu'en plus d'être bêtement dominés, ils ne peuvent répondre qu'à un nombre d'ordre limité. Je suis désolé, je suis allergique à ces choses-là. J'ai bien peur de devoir vous demander de le laisser dans une autre pièce.

Je ne prends pas garde au message que Ginevra essaye éventuellement de me faire passer, je ne le saisis même pas. Pas plus que je ne comprends les reproches déguisés dans les mots de Ginevra. Je me fiche de ce qu'Alastor offre à ses enfants, je me moque de la perfection de leur couple tant que ce dernier ne rend pas Alastor malheureux. Et je n'envisage pas de comparer leur couple au mien. Je nous estime, Lucretia et moi, au-dessus de tous. Ce n'est pas contre mon frère, Ginevra ou qui que ce soit, c'est juste un constat.

-Augustus est un amour, honnêtement, je crois n'avoir jamais vu petit garçon aussi calme.

Une fois installés dans le salon, mes neveux nous rejoignent... et je suis sincèrement heureux de le voir. Mon sourire n'est pas feint quand je les salue l'un après l'autre.

-Mais vous n'arrêtez donc jamais de grandir ! sourit-il en les saluant l'un après l'autre.

« Bonsoir à vous, et joyeux noël ! Les enfants ont hâte de vous voir. Ne restons pas dans l'entrée, venez, venez vous mettre à l'aise. »

Lucretia garda son sourire de façade aux lèvres. Mieux valait bien sûr qu'elle garde pour elle ces pensées que l'assistance préférait sans doute ne pas entendre, comme le fait qu'elle se fichait éperdument des enfants du couple. De manière générale, elle trouvait tous les gosses insupportable. Il n'y avait au monde que son fils à qui elle se sentait prête à accorder sa sympathie et sa patience. Pour le reste, pour les autres, il ne fallait pas tant en attendre de sa part.

Elle ferait mine de les saluer et de leur sourire, mais elle s'en fichait, comme elle se moquait globalement de tout ce qui se trouvait sous ce toit. Alastor, Ginevra, les gosses... tous sans intérêt pour elle. Seul importait Ignatius et leur fils, et elle faisait tout cela pour lui et personne d'autre. Lucretia se laissa entraîner vers le salon sans mot dire. Moins elle en dirait, mieux ce serait, certainement. Elle n'avait pas besoin de faire ou dire grand-chose dans tous les cas pour savoir que personne ne la voulait à la place où elle se trouvait, et c'était par conséquent là son seule plaisir... celui de l'intruse. Qu'ils le veuillent ou non, elle était là. Et elle n'irait nulle part.

« Savez-vous que noël à déjà commencé sans vous ? Alastor n'a pas pu résister à offrir un chiot aux enfants ce matin. N'est-il pas adorable ? Nous avons de la chance de t'avoir, mon chéri. »

Lucretia ne saisissait pas l'ironie dans les propos de Ginevra, sans doute parce qu'elle ne daignait pas creuser trop loin sa personnalité pour l'imaginer capable de l'exercer si judicieusement... Elle se fichait royalement de ce clébard. Quelle idée étrange, vraiment, que de s'imposer à soi-même une si dispensable contrariété.

-Oh... Je suis désolé, je suis allergique à ces choses-là. J'ai bien peur de devoir vous demander de le laisser dans une autre pièce.

Lucretia se retint de pouffer légèrement. Ignatius allergique ? C'était une nouveauté, ça... non, il voulait simplement s'épargner la compagnie embarrassante de l'animal, et Lucretia serait bien la dernière à y contrevenir. Oui, elle pourrait profiter de cette soirée pour devenir tout à coup la belle-soeur idéale qui modifierait leur opinion. Mais pour cela, il faudrait qu'elle fasse davantage de cas de leur opinion.

« Ça va merci, et vous, le petit monstre ne vous fatigue pas trop ? Fabian, Gideon ! Venez saluer votre oncle et votre tante. »
-Augustus est un amour, honnêtement, je crois n'avoir jamais vu petit garçon aussi calme.

Ils n'avaient même pas besoin de déformer la réalité, Augustus devait tenir des Rookwood, il était d'un calme proverbial... il fallait quand même espérer qu'il gagnerait en caractère avec le temps, mais leur éducation y serait pour beaucoup, elle en était certaine.

-Mais vous n'arrêtez donc jamais de grandir !

Lucretia afficha un sourire attendri à l'arrivée des petits. Pas parce qu'ils lui inspiraient de la tendresse, mais parce qu'elle aimait voir la manière dont Ignatius se comportait avec eux. Et elle ne dit rien. Quel commentaire pourrait-elle ajouter à cela ?