C'était le début des vacances d'été. Victor était totalement déprimé, ne parvenant pas à s'enlever la mort de Peter de la tête. Il voulait être seul, tranquille, et que le temps passe le plus vite possible. Mais ce jour là, madame Monen avait invité des amies. Elles étaient gentilles, mais surtout, elle jacassaient ou piaillaient, il ne savait pas trop. En tout les cas, elles montaient dans les aigus, toutes heureuses de rencontrer ses "très beaux garçons qui devaient en faire craquer plus d'une". Vincent avait pris sur lui pour jouer le jeu, sachant que l'épreuve serait trop difficile pour son frère.

Victor l'en remercia d'un signe de tête et s'éclipsa à la première occasion venue. Il était allé "chercher du pain". Mais Le jeune homme avait bien l'intention de se perdre en chemin, les laissant malheureusement privées de sa présence pour un bon bout de temps. Sa mère ne lui en voudrait pas, il le savait. Ce qui la rongeait par contre, c'était qu'il ne se confie pas à elle. Elle souffrait de voir son fils en si piteux état, restant impuissante.

Il était donc allé  faire un tour dans Londres, lui qui y habitait, et, perdu dans ses pensées, il se retrouva près du chaudron baveur. Il haussa les épaules et se dirigea vers le chemin de traverse. Il pourrait alors voir les nouveautés et se perdre dans des lectures chez Fleury & Bott si rien ne l'intéressait.

il entreprit donc sa balade mêlée de rêveries lorsqu'il vit au loin, une jeune sorcière de dos. Elle... elle se faisait voler le contenu de son sac à main par une créature qu'il n'avait jamais vue, et qui était à une trop grande distance pour qu'il la distingue clairement. Victor courut alors vers cette créature qui, prise de panique, prit la fuite. La course poursuite à peine commencée, prit fin car au détour de la première ruelle, la créature avait disparut, laissant sur son sillage qu'une étrange paire de lunettes.

Il les ramassa, devinant alors à qui elles appartenaient, et entreprit de rattraper Luna.
En chemin pour la retrouver, il se demanda s'il avait été le seul à voir cette créature, ou s'il l'avait imaginée. Peut être que sa "maladie" prenait de l’empileur et qu'il devenait fou?

Le jeune homme, pris par le feu de l'action, ne se rendait alors pas compte que son comportement dénotait totalement de ses habitudes. Il allait parler à quelqu'un, se faire remarquer. Heureusement pour lui qu'il s'agissait de Luna, une des rares élèves dont il regrettait le départ de Poudlard. Les deux jeunes sorciers ne s'étaient pas souvent parlés mais à chaque fois elle lui avait laissé un bon souvenir. Elle était trop dans son monde pour juger les autres, tolérante, gentille et très inspirante pour ses musiques aussi. Cette femme lui apportait de la fraîcheur et il ne se sentait pas bizarre en sa présence. C'était une des exceptions, une des filles qu'il aurait pu accepter en amie si la vie s'était passée autrement. Et puis, depuis que ses amis étaient emprisonnés ou morts (ne se sociabilisant que peu, il n'avait pas toutes les informations), il s'inquiétait aussi pour elle.

Victor arriva enfin non loin d'elle et l'interpella. Il voulait au moins lui rendre ces étranges lunettes, sachant qu'elle y tenait.

"Hé Aulne, je crois que c'est à toi ça!"

A peine ces mots prononcés, il prit enfin conscience qu'il venait de s'adresser à une personne au milieu d'une foule de sorciers en vacances. Il se demanda aussi si elle se souvenait de lui. Elle le confondrait peut être avec son frère, comme beaucoup le faisaient, mais il ne s'en formaliserait pas, trop habitué. Et si elle ne croyait pas à son histoire et qu'elle le prenait pour un voleur?
Toutes ces questions qui venaient d'entrer dans son crâne instantanément et le faisaient se faire un peu plus petit. Il rougit légèrement, fuyant le regard de la belle blonde, cherchant un échappatoire.

Victor se sentait très mal à l'aise de lui avoir adressé la parole de la sorte et puis aussi, qu'est ce qui lui avait pris de courir après cette créature? C'était pas un super héros, pas non plus un bon samaritain. C'était juste un mec qui voulait devenir invisible. Alors pourquoi avait-il soudain agit de la sorte? Oh il avait u bon fond, bien-sur, et ne supportait pas le fait de voir une injustice, mais de là à se précipiter tel un chevalier, il n'avait jusqu'alors jamais eu le sentiment que c'était dans son caractère. Lui qui voulait à tout prix éviter de se faire remarquer, venait de faire le contraire de ce que lui aurait dicté son instinct. Enfin c'est ce qu'il pensait.

Luna le remercia, et Victor ressentit alors une légère fierté, un sentiment d'avoir été utile. Il eut un fin sourire, évitant toujours de la regarder en face. Elle venait de mettre ses étranges lunettes sur le nez. Elle semblait encore plus bizarre comme ça. Mais c'était exactement ça qu'il appréciait chez elle, son anticonformisme, elle était juste... elle. Victor en était fasciné.

Cependant il fallait qu'il lui dise la vérité car la créature avait peut être volé d'autres choses. C'est ce qu'il allait lui dire, mais sa révélation le laissa coi.
Il supporta alors son regard, mais les lunettes de la jeune blonde l’empêchaient de discerner ses expressions du visage. Il ne pouvait donc pas deviner ses pensées. Il soutint pourtant son regard, abasourdit par ce qu'elle venait de lui annoncer. Ça se voyait tant que ça qu'il était confus? pris par de nombreuses pensées contradictoires. Ses yeux froids étaient interrogateurs et tristes. Il décrocha alors ses yeux du visage de Luna, cherchant un point où s'accrocher, en vain. Son visage s'agita un court instant, montrant d'avantage alors sa confusion. il réfléchissait à toute vitesse à ce qu'il pouvait bien répondre à cela. Enfin, sans même qu'il prenne réellement la décision de prendre la parole, il répondit tout simplement ce qui lui venait par la tête.

"Euh, comment tu le sais?..."
Il fiat un haussement d'épaules, et tenta de se recentrer
"Ah au fait, t'as pas fait tomber ses lunettes de ton sac, c'est une étrange créature qui t'a volé"

A peine avait-il terminé sa phrase qu'il se maudit d'avoir dit ça. Il se massa les tempes, se traitant d'idiot. Ses joues avaient rougies, il sentait même une vague de chaleur honteuse l'envahir. Si seulement il avait été un animagus, il se serait transformé en un chat, ou une souris, et se serait sauvé à toutes vitesse. Mais il ne pouvait pas se métamorphoser. Il resta alors planté devant cette fille, fuyant de nouveau son regard et se se traitant de tous les noms d'oiseaux possibles, au fond de sa tête.

Biensur que Victor était troublé, et depuis des années, mais la manière donc elle l'avait formulé, avec autant de simplicité et de douceur, l'avait encore plus perturbé. Une simple phrase qui avait un impact immense. Déjà parce qu'à aucun moment il ne s'était demandé ce que les autres pouvaient vraiment penser de lui. Il s'était toujours voilé la face à ce sujet. C'était donc comme ça qu'on le voyait? Un jeune homme perturbé? Il trouvait cela à la fois surprenant, vexant et touchant. Un mélange assez étrange. En fait il voulait tout simplement passer inaperçu, invisible. Mais au lieu de ça il passait pour un jeune homme perdu. Il passait donc pour ce qu'il était, rien de plus, rien de moins, finalement.

Mais alors que Victor était occupé à se maudire de toutes les manières que son imagination lui permettait, Luna, elle, gardait vraisemblablement son calme. Il avait des quoi? des joncheruines? autour de la tête? Cette révélation lui parut si étrange qu'il cessa instantanément de se flageller et reporta son regard sur Luna. Il était bouche bée, les sourcils haussés. Mais que voulait-elle dire? il était donc vraiment malade? ou alors c'étaient ces créatures qui lui faisaient ça? depuis toutes ces années? Était-il victime de ces choses?

Il voulut lui répondre mais à peine avait-elle parlé des joncheruines qu'elle avait enchaîné sur sa créature voleuse. Victor était complètement perdu et se lançait dans une conversation longue, c'était pas prévu, il ne s'y était pas préparé. Surtout vue les révélations de la jeune sorcière. Il commençait à se faire tout une histoire pleine de suppositions, d'espoir, de volonté.

"- Des quoi? ...Et comment on s'en débarasse?"

Trop absorbé par la première révélation de Luna, Victor en oubliait complètement sa question. Il voulait savoir, il en avait besoin, il voulait vraiment "guérir".

Si seulement le monde n'avait pas été celui ci, mais une choses plus belle, plus tolérante, pensa-t-il. Il n'aurait peut être jamais douté de ses sentiments et les aurait acceptés sans sourciller. Mais cette persécution lui faisait bien trop peur depuis son histoire avec Peter.

Aux révélations de Luna, Victor eut un soupir blasé. Manifestement si ces joncheruines étaient réelles, elle ne devaient pas être la réelle cause à son souci, ou alors, peut être s'en iraient -elles un jour, le laissant enfin tranquille. Luna était trop calme pour qu'il s'inquiète. Alors que beaucoup la trouvaient bizarre, Victor la trouvait surtout apaisante. Oui bien-sur, elle avait ce côté étrange et peu commun, mais finalement, lui appréciait cette facette de la jeune sorcière. Elle l'avait plus d'une fois inspiré pour des morceaux qu'il avait écrit. C'était un peu une muse qui passait de temps en temps dans son champ de vision. Mais ils ne s'étaient adressés que rarement la parole, aussi bien que le jeune homme était certain qu'elle ne saurait pas qui il était. Et ça l'importait peu, voire pas du tout. Il voyait en elle une femme tolérante, douce et originale, et objectivement, ou presque, belle. Il n'était bien-sur pas attiré par elle, mais il s'agissait d'une des rares personnes dont il aurait pu accepter et retourner une certaine amitié...S'ils s'étaient connus d'avantage. C'était sa tolérance qui lui faisait penser ça.

Enfin c'était ce qu'il avait décelé de loin. Il n'observait pas les gens, si bien qu'il ne savait même pas que Melody avait une sœur. Mais elle, elle lui avait parlé un jour, et ses mots avaient eu un impact dans son esprit. Il avait été seul dans un couloir, cherchant comme toujours à rester seul, se posant des questions sur l'avenir, s'il allait en faire partie ou arrêter simplement là. Et sans qu'il ne sut pourquoi, elle était venue lui parler. En quelque mort, Victor avait décidé de poser ses problèmes en musique.

Ainsi, la Luna folle, c'était très peu pour lui. Et si elle disait qu'il avait des créatures autour de sa tête, alors pourquoi pas. Il se sentit calmé, blasé plutôt, par la vie, par la situation. Il chassa ses interrogations d'un haussement d'épaule, puis se recentra sur la question.

"C'est une petite bestiole poilue, noire avec un museau arrondit. Il a surement pris d'autres choses à toi... je... Je l'ai suivi pour récupérer tes affaires, il semait des pièces sur son passage. Tes lunettes sont tombées mais lui a disparut"

Il se sentait honteux de ne pas avoir pu rattraper une simple créature "Je suis désolé" Conclut-il.

Lorsque Luna formula la possibilité que la créature soit un niffleur, Victor se souvint de la description et des illustrations qu'il en avait vues. Lui même avait eu un cours sur ces créatures, mais la petite bestiole s'était sauvée juste avant son cours, si bien qu'il n'en avait jamais vu. Et celle ci avait été si furtive qu'il ne l'avait pas très bien vue. Ainsi, il n'eut pas immédiatement l'idée qu'il puisse s’agir d'un niffleur. Mais réflexion faite, c'en était vraisemblablement un.

Il hocha de la tête pour confirmer, mais Luna enchaîna sur des paroles réconfortantes. Victor lui sourit timidement. "cette fille a vraiment une grandeur d'âme" pensa-t-il. Il la trouvait incroyablement calme et gentille.

"euh, oui, t'as surement raison, c'est peut être un niffleur...Euh, je vais aller voir si je peux le retrouver, ou au moins si il a laissé tomber d'autres affaires à toi. Tu...où est ce que je peux te les rapporter si j'en retrouve?"

Victor se sentait encore redevable. il n'avait que vaguement entendu les belles paroles de Luna, tenant à rétablir la situation. Ce jeune homme d'ordinaire froid et distant, restait au fond une personne protectrice avec une soif de justice. Et il avait déjà vu cette jeune sorcière se faire importuner par ces idiots à Poudlard, ce qui l'avait mis hors de lui. A l'époque, il n'avait pas réagit, de peur de se mettre en avant et qu'on remarque sa différence, mais là, son naturel revenait au galop. Comme souvent d'ailleurs, lorsqu'il ne se sentait pas vraiment jugé.

Il voulait donc l'aider à retrouver un maximum de ses affaires parce que selon lui, et du peu qu'il en savait, Luna avait déjà beaucoup souffert injustement. (et si il savait tout...) Et puis, il se sentait aussi et surtout redevable auprès d'elle parce que même si elle ne le savait pas, c'était elle qui l'avait sauvé ce fameux jour où il se demandait si il allait juste arrêter de vivre. c'était elle qui lui avait trouvé cette motivation pour la musique, extérioriser ses problèmes, se libérer en quelque sorte.

Luna Lovegood avait eu un impact important dans sa vie et pourtant, il était certain qu'elle ne se souvenait pas de son nom. Et peu lui importait. Il voulait juste la remercier à sa manière un peu maladroite.

Victor s'attendait à ce que Luna li dise où la joindre pour lui rendre ses affaires, ou qu'elle attendrai à la terrasse d'un salon de thé sur le chemin de traverse, mais au lieu de cela, elle lui demanda de ne pas se mettre en quête de ses objets chapardés. Victor se sentit désemparé. Lui qui avait souhaité remercier son ancienne camarade d'école à sa manière, se sentit alors idiot et inutile. Luna était restée douce et tolérante quand lui était révolté et introverti.

Il se sentait stupide, planté là, devant Luna, en plein milieu de la rue, et incapable de simplement la remercier pour ce qu'elle avait fait pour lui deux ans auparavant; cherchant à tout prix un moyen de lui rendre un service pour la remercier implicitement. Il savait qu'il risquait de ne plus jamais la revoir, et que déjà leur rencontre en ce jour était imprévue et peu probable. C'était surement sa dernière chance.

Fort heureusement son supplice ne dura pas longtemps puisque l'ancienne bleu et bronze ajouta une autre possibilité, celle de l'accompagner dans sa quête.
Alors, surpris et décontenancé, le jeune home rougit plus que ce qu'il aurait bien voulu montrer. Se sentant le visage brûlant, Victor baissa la tête, se maudissant. Qu'allait elle croire si elle le voyait devenir rouge tout à coup?
Il se reprit autant que possible, se grattant le cuir chevelu afin de cacher autant que possible la couleur qu'avait pris son visage, puis sans un regard, ni un sourire, bien plus froid que souhaité, il se retourna, prenant la direction du niffleur quelques minutes auparavant, ajoutant un simple "Okay, on y va". Puis il se mit en marche, devançant d'un mètre la jeune femme.

Cette fois ci, il n'échouerait pas à sa mission auto imposée. Il retrouverait les affaires de Luna et rétablirait un semblant d'ordre.

Victor tourna à gauche, puis à droite dans une petite ruelle. Il reprenait exactement le chemin du niffleur quelque minutes auparavant. Il se sentait honteux de son comportement et marcher devant Aulne lui permettait de lui cacher son visage couvert de gêne.
Lorsqu'elle lui demanda s'il allait bien. Il allait lui répondre rapidement par l'affirmative mais elle ajouta qu'il paraissait étrange... Il semblait...étrange. Jamais il n'avait vu la sorcière émettre un jugement. Et ça n'en était pas un, mais le mot "étrange" raisonna dans sa tête. Victor semblait anormal, tout ce qu'il cherchait à éviter. Bien-sur, Aulne n'avait pas du tout fait allusion à sa réelle "bizarrerie". Et elle ne la connaissait probablement même pas. Cependant, ce mot raisonnait.

Il s'arrêta alors d'un coup au milieu d'une ruelle où seuls deux chats errant les observaient, interrompus dans leur recherche de restes de poisson dans des poubelles. Victor se retourna alors vivement vers la jeune femme, et il ne put s'empêcher de déballer ce qu'il avait sur le cœur vis à vis d'elle, comme ça lui venait. sa mâchoire était crispée, ses yeux qui étaient fixés sur elle, brillaient d'une lueur qu'on ne voyait que très rarement chez lui

"Je suis étrange, oui. Mais je suis en vie..."

Il marqua une pause, cherchant ses mots

"Tu ne te souviens probablement pas de moi, tu ne sais surement même pas mon nom...et je m'en fous. Un jour tu m'as croisé dans les couloirs du cinquième étage. Je souhaitais être seul. Je songeait à la manière dont j'allais mettre fin à mes jours, sans que mon frère ne m'en empêche. Je voulais mourir..."

Il reprenait peu à peu une couleur habituelle, et ses sourcils n'étaient plus froncés, son regard devint chaleureux alors que les muscles de son visages se détendaient. Il eut alors un air doux et gentil, mais blessé.

"Je voulais vraiment mourir. J'avais même essayé à plusieurs reprises et mon frère m'avait sauvé à chaque fois. Mais ce jour là il n'était pas à Poudlard. Et alors que je peaufinais les détails de mon passage à l'acte, tu es apparue devant moi. Tu as vu que je n'allais pas bien. Et tu m'as dit "Quand ça ne va pas, je laisse mon esprit s'évader"...
Ces simples mots...de simples mots surement pour toi... m'ont rappelé mon amour pour la musique, parce que mon esprit s'évade. Je m'exprime en jouant, j’extériorise... J'ai essayé de me réfugier dans la musique une...deux...trois fois...et bien plus encore. Et depuis ce jour, j'ai mis mon plan de côté. Je ne vais pas très bien; mais j'ai la musique et j'ai mon frère...
Ça fait deux ans, Aulne... Deux ans de vie que tu m'as donné, surement sans en prendre conscience. deux ans et surement plus. Et je n'ai jamais pu te remercier pour ça. Parce que j'ai peur de parler aux gens.
Sauf que je ne sais pas si je te reverrai un jour. Et j'ai besoin de te remercier. Alors je vais retrouver tes affaires!"

Son air doux devint déterminé, presque solennel. Il rougit à nouveau, se rendant compte de ce qu'il venait de faire. Son regard devint à nouveau fuyant. Ce n'était pas son genre de se livrer de la sorte, vraiment pas.

Qu'avait-il osé faire? Qu'avait'il osé dire? Il aurait du se contenter de passer son chemin, d'essayer de se rendre invisible, comme toujours. Celui qu'on ne remarquait pas. Mais non, il s'était senti obligé d'intervenir. Et pourquoi? Aulne n'avait cure de retrouver ses affaires. Il ne l'aidait même pas.

Pourtant, la voix douce et calme de Aulne l'apaisa. Alors même qu'elle le remerciait, pour...pour quelle raison d'ailleurs? Victor ne comprenait pas. Mais alors même qu'elle le remerciait et confirmait que ses affaires n'étaient pas si importantes, il sentit son échec. Mais plus que cela, vidé de son poids, il sentait aussi le côté cocasse de la situation. Aussi eut'il un sourire amusé. Certes c'était plus un rictus qu'un sourire, et il avait été marqué qu'un court instant, mais il était bien apparut. Mais ce qui ramena Victor à son drame perpétuel, fut la suite des paroles de la bleu et bronze.

Victor se raidit à nouveau. Il se sentait face à une impasse, et cherchait une échappatoire. Il se mit alors inconsciemment à faire les cent pas dans cette ruelle sale, ne sachant quoi répondre. Il était évident qu'il ne pourrait pas donner explicitement la raison de son malheur. Mais il ne pouvait pas non plus lui mentir ouvertement.

Au bout d'un long moment de silence, il se figea face à elle, prêt à parler, hésita un instant puis, de peur de voir sa réaction, se remit à faire les cent pas. Mais cette fois, il se mit à répondre .

"Je ne me sentais pas...pas normal. Et ne pas être dans la norme, ça pose parfois de gros problèmes. ...Un...un ami s'était suicidé et ça m'a beaucoup affecté. J'avais quinze ans et je venais de perdre un ami...J'ai commencé à me sentir responsable, parce que je n'avais pas été un bon... ami... et à cet âge là, on se cherche, on cherche notre style, on cherche un groupe qui partagerait le même type de pensé, une appartenance...Et je ne trouvais rien de cela...Je me sentais seul et en même temps je voulais être seul...je pensais que les gens qui m’entouraient allaient souffrir. D'abord mon père, ensuite cet ami...et Vincent aussi qui souffre mais ne le montre pas..."

Victor espérait que son explication suffise. ce n'était pas un mensonge, mais il ne disait pas réellement tout non plus. Et, essayant de passer à un autre sujet, il s'empressa d'ajouter

"Mais ça va mieux, je ne vais pas me morfondre devant toi, toi qui m'a sauvé et qui ne semble pas aller très bien non plus...Tu veux en parler?"

Il se doutait bien qu'elle ne se confierait pas auprès de lui, Victor n'était pas de ceux qui donnait cette impression qu'on pouvait se confier, et pourtant, il savait très bien écouter et garder un secret, bien mieux que son frère. Mais il n'avait pas l’apparence d'une personne avenante.

Manifestement son explication lui suffisait. Aulne semblait pleine de compassion et encore plus douce qu'à son ordinaire, si cela était possible. Victor avait terminé son explication par sa proposition de se livrer à son tour, cessant de faire les cent pas, se fixant simplement devant elle. Mais jamais, au grand jamais il n'avait eu une telle réaction à son égard d'une personne extérieure à sa famille. Luna venait de lui prendre le poignet. Le jeune sorcier s'osa plus bouger. Il en avait le souffle coupé. Aulne dégageait une telle aura apaisante à ses yeux. En temps normal il aurait retiré violemment son bras, se protégeant émotionnellement.
Mais cette fois ci, il était figé. Ce simple geste amical et apaisant lui faisait un bien fou. Il savait que ce n'était qu'éphémère, mais durant un instant, il se sentait compris et épaulé. C'était l'un de rares, extrêmement rares gestes d'affection sincère qu'il avait eu jusqu'ici. Bien-sur, il avait eu des petites amies de façade, acceptant les avances de filles attirées par son côté bad boy mystérieux, des filles certaines de pouvoir briser sa carapace, mais elles n'avait aucune conscience de qui il était réellement et leurs gestes n'avaient donc rien à voir avec celui simple et sincère de Aulne.
Victor se sentait apaisé par la sorcière, mais il n'osait pas bouger. Il avait trop peur d'être brusque ou de donner involontairement un mauvais signal. Il osait à peine respirer.

C'est alors que vint la réponse de Aulne. Une réponse qui le peinait et qu'il comprenait également. Lui même ne savait pas si il reverrait son père, il ne savait même pas s'il était vivant. Il ne reverrait pas non plus Peter. Toujours figé, il la regarda à son tour avec douceur et compassion. Deux expressions qu'on lui voyait rarement.

"Je comprends aussi... (bien-sur il était loin de savoir et de comprendre réellement. Il connaissait simplement ce sentiment) Tu pense pouvoir les revoir un jour?"

Lui n'osa pas de geste réconfortant, il serait trop maladroit. Mais il souhaitait pourtant faire de son mieux pour aider ou au moins réconforter Aulne.

Aulne mit un bon moment avant de répondre. Mais le sorcier attendait patiemment. De toute évidence elle avait besoin de réfléchir à sa réponse, à la situation dans laquelle elle était enfermée. Il s'adossa à un mur près d'eux, plongé dans ses propres réflexions, les mains à présent dans les poches de son pantalon, les épaules voûtées, le regard noir perdu dans le vide.

Aulne était à côté, réfléchissant vraisemblablement à ce qu'elle vivait et ce qu'elle allait répondre, puis fit entendre le son de sa voix. Encore une réflexion étrange ou spirituelle, teintée de nostalgie.

Victor leva les yeux vers elle, tentant de comprendre tout le sens de ces mots. De tout évidence elle ne tenait pas à trop en dire sur sa vie. Et bien qu'il ait lui même vidé son sac, certaines choses restaient désespérément accrochées. Il ne pouvait en vouloir à la jeune blonde de vouloir garder certaines choses pour elle.

Cependant Victor restait désolé pour Aulne. Il ne pouvait manifestement rien faire pour l'aider et ne savait même pas comment lui apporter un quelconque réconfort, même minime. Il faut dire que le sorcier avait perdu la main en ce qui concernait les relations sociales. Lui se voyait comme une fragile boule d'émotions cachée par une grosse carapace piquante, alors qu'elle était calme, douce et forte à ses yeux. Selon lui, elle faisait partie de ces rares personnes qui marquent des esprits.

Mais alors comment réagir? Comment l'aider, la soutenir? Elle avait tellement fait pour lui, et lui se sentait impuissant à lui retourner la pareille. ce n'était pas dans le simple but du "un donné pour un rendu", loin de là. Et quand bien même ça aurait été le cas, il n'y serai pas parvenu. Non, c'étaient simplement de la reconnaissance et de la compassion.

Finalement, ne sachant comment se comporter, le regard triste mais un fin sourire en coin, il se décida à répondre quelque chose de maladroit

"Je te souhaite de les revoir...Et même si c'est pas pareil, peut être que ça sera quand même agréable..."

C'est à ce moment qu'il vit quelque chose briller au dessus de l'épaule de Aulne. Il se redressa, sortant ses mains de ses poches, et scruta un coin d'herbe à une dizaine de mètres derrière la sorcière. Il avança puis... il se précipita vers le lieu qu'il visait pour trouver un carnet dont les angles étaient ornés d'un soutien métallique. Peut être qu'ils faisaient là l'expérience dont parlait la sorcière, peut être avait-il retrouvé l'une de ses affaires, mais pas de la façon dont il s'y attendait. Et si le niffleur l'avait fait tomber comme il avait laissé s'échapper ses étranges lunettes?

"C'est à toi ça?" demanda-t-il avec un léger espoir. Il avait certes compris que ça ne changerait pas grand chose à son moral, mais peut être était-ce déjà ça?

Victor n'était toujours pas satisfait de sa réaction face à Aulne. Il n'avait pas assez fait pour elle. Il ne lui avait pas remonté suffisamment le moral. Et il commençait petit à petit à comprendre qu'il ne pourrait probablement rien faire. Il était nul, idiot, inutile, inintéressant, moins que rien...Enfin, c'était comme cela qu'il se voyait. Ça ne changeait pas vraiment de son quotidien. Mais son sentiment d'impuissance ajouta un peu de colère à son humeur habituelle. De la colère contre lui même bien sur.

Alors quand il vit les lunettes et les rendit à leur propriétaire, la réaction de la jeune sorcière fit apparaître un rapide sourire au coin de ses lèvres. C'était peu mais pour lui, ce n'était pas anecdotique.
Décidément cette journée aura été bien éprouvante pour ce Poufsouffle. Il se gratta la tête, un peu gêné, puis regarda le sol au loin. Il ne trouvait pas d'idée pour remonter le moral de Aulne, et ce silence devenait pesant. Et bien qu'ils se soient retrouvés à l'ombre dans cette impasse, il faisait atrocement chaud.

C'est cette chaleur qui lui donna une idée. Aulne venait de se faire voler plusieurs choses dans son sac, par un niffleur. Et pourtant elle était sur le chemin de traverse. Elle était surement là pour se détendre ou acheter quelque chose. Mais avait-elle encore son argent? Il pourrait lui offrir une glace, ou une boisson fraîche. Peut être que ça serait un début pour remonter le moral de la jeune femme...Mais non, il n'oserait pas...

Et si son invitation était mal interprétée? et si elle disait non? et si il passait pour un abruti? ou un nul? et si elle disait oui? quelle angoisse! Il ne savait même pas ce qu'il préférerai, un refus ou pas?...

Il commençait à devenir nerveux, et se trahissait physiquement. "Non mais c'est bon, t'en as assez fait pour une année complète là! ça ne va pas bien de parler à des gens comme ça?" se disait-il.

Il la regardait, puis l'évitait, et la regardait encore mais en évitant ses yeux. Il marchait, se grattait la tête... et soudain, sans qu'il ne s'en rende compte, il bafouilla:

"Soif!... euh enfin il... fait chaud...enfin..." il était écarlate de honte, baissant le regard "laisse tomber"
Et il prit une profonde respiration, prêt à s'enfuir, trop humilié par lui même

Il était à deux doigts de s'en aller, trop honteux et perturbé. Il ne savait même pas pourquoi il lui parlait. C'est qu'il ne semblait pas avoir une quelconque possibilité de lui rendre la pareille et elle n'avait même pas l'air d'en vouloir, alors pourquoi insister et se ridiculiser? Pourquoi créer un malaise inutile? Il n'en savait rien. Il voulait juste la remercier à la base. C'était d'autant plus compliqué qu'elle portait ces étranges lunettes roses et bleues. Ca lui faisait une tête vraiment bizarre. Non, vraiment, il ne sait pas ce qu'il lui a pris de lui proposer de boire un verre. Enfin il ne le lui a pas vraiment proposé. Il a bafouillé une salade de mots sans aucun réel sens et s'est ridiculisé en beauté.

Et pourtant, Aulne est restée douce. Elle l'avait compris et a même acquiescé. Il la regarda un instant, comme s'il n'était pas certain d'avoir bien entendu. Elle... Elle acceptait sa proposition? Il sourit légèrement, rassuré et un peu réconcilié de lui même. Mais...il allait devoir faire la conversation maintenant! Quel idiot! il se maudit à nouveau intérieurement. Et puis tant pis alors! il risquait de ne jamais la revoir, il allait juste boire un verre. Ce n'était pas comme s'il ne parlait à personne. Il faisait souvent cet effort. Surtout pas nécessité, certes, mais tout de même, ça lui était arrivé. Il avait même réussi à avoir des petites amies de temps en temps...platoniquement bien sur. Il les quittaient dès lors qu'elles s'attachaient ou qu'elles voulaient aller plus loin. Mais Aulne, c'était différent. il se sentait vraiment avoir une dette envers elle, une envie d'apprendre à la connaitre depuis longtemps. Il voyait en elle une certaine philosophie et une sagesse étranges, mais qui avaient suffit à lui faire gagner quelques années de sa vie. Il voulait juste prendre un verre avec elle pour en apprendre d'avantage sur celle qui l'a sauvé sans même s'en rendre compte.

Alors il sourit plus sincèrement et commença à marcher en sa compagnie, les mains dans les poches, les yeux plissés par le soleil et la chaleur. Un endroit à l'ombre ou à l’intérieur serait surement une bonne idée.

"Je ne sais pas trop. T'as un endroit préféré? On a le choix."