Charis avait été très impatiente d'assister à cette soirée. La jeune femme avait toujours eu un faible pour ces événements mondains, où se côtoyait le gratin du monde magique, c'était l'occasion de se faire voir et de tendre l'oreille, de garder l'oeil, et le bon. Et elle comptait bien s'en donner à coeur joie.

Certes, elle n'était pas dans les meilleures conditions pour profiter complètement de cette soirée, mais elle avait bien l'intention, malgré tout, de jouer son rôle. Sa grossesse avancée rendait difficile pour elle la possibilité de rentrer convenablement dans la même tenue de soirée, et la fatigue se faisait sentir de plus en plus puissamment. Elle se doutait qu'elle ne ferait pas long feu, mais elle était ravie d'être suffisamment en forme pour assister à cet événement malgré tout.

Surtout que c'était l'occasion idéale. Pour réintégrer convenablement Cedrella au sein de la haute société, il n'y avait pas mille manières de faire. Callidora avait raison, bien sûr, il allait falloir la marier rapidement, afin de faire oublier le scandale lié à ses fiançailles brisées et à sa fugue, mais déjà, la réintroduire convenablement et officiellement dans leurs cercles était une très bonne manière de faire. Cedrella aussi devait être vue dans ce genre de soirée, cela participerait à sa réhabilitation, il fallait l'espérer définitive.

Charis entra dans l'atrium du ministère au bras de son époux, affichant un sourire de rigueur à la cantonade, se sentant complètement dans son élément à l'heure actuelle. Elle adressait de temps à autre (et sans trop d'insistance, afin de ne pas accuser l'exaspération éventuelle de Caspar) des regards encourageants à Cedrella. Elle lui avait prêté sa robe la plus élégante et elle n'attendait que de la voir reprendre des habitudes qui avaient aussi été les siennes autrefois.

Elle balaya la pièce du regard, à la recherche d'interlocuteurs à aborder, ou simplement de situations à analyser, qui ravirait l'amatrice de potins qu'elle ne saurait se cacher être. Finalement, son regard tomba sur Callidora et Harfang. Elle devait le reconnaître, après leur dernière conversation, elle n'était pas si enthousiaste à l'idée d'aller lui parler, mais il était tout naturel qu'elle le fasse, après tout.

"Bonsoir Callidora, Harfang. Quelle charmante soirée, n'est-ce pas ?" dit-elle avec toute la déférence qui lui était entièrement coutumière.

Cedrella n'était pas particulièrement enthousiaste à l'idée de se rendre à cette soirée au ministère, mais elle n'avait pas protesté particulièrement quand sa soeur, sans vraiment lui demander son avis, avait suggéré qu'elle s'y rende. Elle n'était pas totalement réfractaire à l'idée non plus. Voilà une éternité qu'elle n'avait plus mis les pieds dans ce genre de réceptions (qu'elle n'y avait pas été invitée, surtout), et l'air de rien, ça lui avait manqué, mais elle se sentait anxieuse. Elle avait peur de la façon dont les autres allaient la traiter, du regard que l'on allait poser sur elle, des murmures qu'elle entendrait dans son dos. C'était son premier grand retour officiel en tant qu'ancienne paria, et elle ne savait pas vraiment à quoi s'attendre.

Mais c'était l'épreuve des flammes, et il fallait bien qu'elle en passe par là. Elle avait profité de vivre chez Charis pour profiter du confort de sa demeure en mettant à peine les pieds dehors, mais il était grand temps qu'elle regarde les choses en face, qu'elle retourne dans le grand bain. C'était certes une façon un peu radicale de s'y remettre, d'un autre côté, il n'existait pas de manière douce de faire, alors autant se plonger une bonne fois pour toute plutôt que de tremper timidement un orteil de peur de se faire croquer les pieds (et cette métaphore allait définitivement beaucoup trop loin).

Une autre de ses angoisses, même si elle n'en avait définitivement parlé à personne et ne se voyait pas le dire à qui que ce soit, c'était bien évidemment de croiser Septimus. Après tout, cette soirée accueillerait tous les employés du ministère, il serait assez logique qu'il soit de la partie. Elle n'était pas encore prête à le revoir... mais le revoir, ce n'était pas forcément lui reparler; Certes, le seul fait de poser les yeux sur lui lui ferait déjà du mal, mais elle pourrait compter sur le soutien de Charis dans tous les cas, et c'était rassurant.

Si les choses étaient plus difficiles avec Callidora, elles coulaient de source en ce qui concernait Charis. Elles avaient retrouvé leur complicité d'antan, comme si cette dernière n'avait jamais cessé d'être, et l'avoir retrouvé pleinement, sans évocation dérangeante d'un passé dont elle ne réussissait pas à avoir complètement honte. Et ça lui faisait du bien. Charis lui avait prêté l'une de ses robes les plus seyantes, l'avait aidée à se coiffer et à se maquiller, et si elle serait peut-être la risée des invités présents, au moins, physiquement parlant, elle était irréprochable.

Elle accompagna donc Charis et Caspar (dont elle faisait mine d'ignorer - autant que possible) la présence dans l'atrium du ministère, où ils trouvèrent bien sûr Callidora et Harfang. La famille réunie au grand complet. Voilà qui promettait.

-Bonsoir, les salua-t-elle avec un fin sourire. Vous allez bien ?

Je suis toujours infiniment satisfaite quand se présente pour moi l'occasion d'assister à ce genre de réception. C'est l'occasion de se faire voir, d'entretenir ou d'agrandir son réseau, et je pourrais être enceinte au point d'exploser que je ne manquerais cela pour rien au monde malgré tout. Je suis complètement dans mon élément, ici, c'est le monde auquel j'appartiens, et je suis par conséquent ravie d'être là. Même si je peux difficilement cacher le fait que j'aurais préféré trouver un autre homme à mon bras. Je ne parle pas forcément de Caspar (même si c'est évidemment à lui que je pense, à l'heure actuelle), n'importe quel homme bien né qui ne soit pas Harfang ferait l'affaire, à l'heure actuelle.

Je ne le supporte plus. Je ne l'ai jamais supporté, mais c'est devenu bien pire depuis qu'il a découvert mes infidélités, je supporte de moins en moins ses petits airs supérieurs, et il est clairement le nuage gris qui vient gâcher mon ciel autrement d'un bleu lumineux. Dans tous les cas, je n'ai pas le choix. Ne serait-ce que pour faire taire toute éventuelle rumeur. Même si aucune ne circule à l'heure actuelle. Il faut que cela continue, justement. Nous avons assez à faire pour réparer la réputation de Cedrella, c'est bien assez suffisant.

J'ai déjà eu le temps de serrer quelques mains, de prendre quelques nouvelles, de me servir une coupe de champagne (bonheur, mon époque ignore les ravages de l'alcool sur l'enfant à naître... en l'occurrence, j'ai bu tout au long de ma première grossesse et cela n'a guère eu de conséquence sur Augusta... enfin je crois, alors à quoi bon s'en faire ?)... quand Charis arrive, flanquée d'Harfang et de Cedrella. L'occasion pour cette dernière de réapprendre ses gammes. Je l'attends au tournant, je compte bien jauger tous ses faits et gestes pour m'assurer de leur légitimité.

"On ne peut mieux", réponds-je dans un fin sourire.

Je reste à mon aise, comme si cette situation n'avait rien d'inconfortable, adressant brièvement à mon amant un sourire de connivence sans une once de gêne, puisqu'il passera sans doute inaperçu.

"Tu es très élégante, Cedrella. Bien sûr, les apparences ne font pas tout, mais je pense que certains sauront tout pardonner à ton charmant minois."

Rien n'emmerde plus Harfang que les soirées de ce genre, qui sont pourtant monnaie courante au sein de leur... caste. Il le sait, ça fait partie du jeu : voir et se faire voir, c'est comme ça que ça fonctionne. Et se faire voir, il aime bien ça au passage. Mais l'hypocrisie qui affleure à chaque conversation l'a lassé de longue date, et les derniers événements n'ont pas spécialement aidé à ce qu'il se montre plus indulgent à ce sujet. Au contraire, son seuil de tolérance est sacrément limité, dernièrement. Tout ce qu'il attend de cette soirée, c'est que la charmante bulle de non-dits explose... Pas besoin d'attaques de mangemorts pour rendre la soirée intéressante.

Quand il aperçoit Agrippine du coin de l'oeil, il se dit qu'il sera peut-être exaucé. Mais en attendant, c'est une autre femme qu'il se coltine à son bras, et Merlin, plus le temps passe, moins il peut la blairer. Ronde comme une pastèque, elle réussit à être encore plus imbuvable qu'en temps normal. Heureusement, on ne va pas le laisser seul avec son épouse trop longtemps. C'est l'avantage aussi de ce genre de soirée. Enfin... avantage ou inconvénient, pas simple à dire.

Dans le lot, il y a Caspar, et ça l'emmerde. Heureusement, pour rattraper le coup, il est accompagné de Charis et de Cedrella, et pour le coup, il est content de voir les deux soeurs. En fait, il est sans doute parmi les plus heureux du retour de Cedrella. Déjà parce qu'il l'apprécie beaucoup, mais aussi parce qu'il sent bien que cette situation, surtout la manière dont les choses se sont passées (à savoir que Charis a pris sa décision sans consulter ni sa soeur, ni son mari... en même temps elle fait bien, eux ne la consultent pas pour lui faire un enfant dans le dos), ne plaît ni à Caspar, ni à Callidora. D'ailleurs, ils trouvent bien vite leur manière bien à eux de le faire remarquer. Pas un pour rattraper l'autre.

"En tout cas, moi je suis conquis", assure-t-il alors, indifférent au petit manège des deux adultères de service. S'il y a vraiment une ambiance à casser, ils en sont bien capables, mais Harfang compte bien rester de marbre. Il a l'intention de passer la meilleure soirée que le permettent les circonstances. Ce n'est pas gagné, mais ça reste jouable. "N'importe lequel des hommes célibataires ici serait fou de ne pas vouloir te passer la corde au cou", ajoute-t-il dans un sourire à Cedrella. "Parce que c'est le but de la manoeuvre, pas vrai ?" ajoute-t-il en adressant un sourire faussement innocent à sa femme.

Charis aurait voulu entièrement se réjouir de voir sa famille réunie au grand complet, sans plus de membre absent. Malheureusement, elle savait que ça ne pouvait pas se passer de cette manière. Il faudrait du temps pour que tout revienne à la normale. Si vraiment les choses devaient effectivement revenir à la normale.

Et ce ne serait pas à reprocher à Cedrella, pour cette fois. Elle faisait preuve d'une véritable bonne volonté. Alors oui, c'est vrai, la jeune femme avait des choses à se faire pardonner, et elle avait intérêt à faire profil bas, mais c'était à noter quand même. Si quelqu'un ici faisait preuve de mauvaise volonté, ce n'était pas elle. La preuve avec la manière dont elle s'adressa à Callidora et Harfang.

-Bonsoir. Vous allez bien ?

Si seulement tout le monde pouvait se contenter de dire qu'ils allaient bien, avant de discuter de tout et de rien, comme si de rien en était. Mais évidemment, il n'en était rien, et Cedrella devait forcément être le centre de l'attention en cet instant.

"On ne peut mieux. Tu es très élégante, Cedrella. Bien sûr, les apparences ne font pas tout, mais je pense que certains sauront tout pardonner à ton charmant minois."

Callidora aurait pu s'arrêter à son premier compliment, cela aurait suffi, mais non, il fallait évidemment que suive une légère pique. Cedrella l'avait certainement mérité. Après tout, elle les avait abandonnés, elle avait manqué jeter le déshonneur sur leur famille. Normal qu'elles veuillent le lui faire payer... Mais cette situation mettait tout de même Charis vraiment mal à l'aise.

Elle n'avait certainement pas voulu que les choses se passent de la sorte. Elle était rassurée de savoir que sa cadette avait du répondant malgré tout, elle saurait se défendre. Et il le fallait, alors que Caspar à son tour choisissait de se liguer contre elle.

« Certains, mais certainement pas tous. »

Charis serra les dents, en quête d'un nouveau sujet de conversation. A quoi bon tourner et retourner le couteau dans la plaie ? Cedrella était de retour, c'était ce qu'ils avaient voulu, après tout. Inutile de se montrer aussi désagréable ou insistant.

Sur ce point, Charis comptait sur le soutien d'Harfang. Et elle l'obtint... plus ou moins, on va dire.

"En tout cas, moi je suis conquis. N'importe lequel des hommes célibataires ici serait fou de ne pas vouloir te passer la corde au cou. Parce que c'est le but de la manoeuvre, pas vrai ?"

Moins que plus, au final. Cela n'avait pas si mal commencé, mais c'était sérieusement en train de déraper. Charis gardait aux lèvres un sourire de circonstance, mais elle n'était pas à l'aise du tout. Oui, évidemment que la perspective de marier Cedrella avait été évoquée. Elle paraissait toute naturelle dans les circonstances actuelles.

"Quelle manoeuvre ?" soupira Charis. "J'ignore ce que vous ambitionnez pour ce soir, mais moi, j'ai seulement envie de passer une bonne soirée avec ma famille."

Elle se doutait que le propos était sirupeux. Mais elle dirait n'importe quoi dans l'espoir de désamorcer la bombe.

Cedrella afficha un fin sourire quand Callidora la complimenta sur son apparence. Elle aimerait tant qu'elle se soit arrêtée là, et que leur conversation puisse rester agréable et cordiale. Oui, certains abcès n'étaient pas crevés, c'était l'évidence, et oui, Septimus lui manquait toujours terriblement. Elle n'avait pas envie de s'excuser d'être partie, elle n'avait pas envie d'admettre qu'elle avait eu tort d'écouter son coeur, et elle savait bien que ça allait forcément poser problème. Et Callidora ne mit d'ailleurs pas longtemps à le lui faire comprendre... Car bien sûr, il n'y eut pas juste un compliment, il y eut la suite également. Certains sauraient tout pardonner à son charmant minois, affirmait-elle. Voilà qui voulait donc tout dire. Certains mais pas tout le monde. Cedrella n'avait pas vraiment besoin de la remarque de Caspar pour compléter cette phrase d'elle-même, mais le fait que ce soit lui entre tous les autres qui choisisse de lui faire cette remarque n'améliorait bien évidemment pas son humeur, loin de là.

Elle n'avait pas envie d'être mise en porte-à-faux toute la soirée, malheureusement, elle s'était attendue à ce que les choses se passent exactement comme cela. Disons qu'au moins, le ton était donné, elle n'aurait pas mis longtemps à savoir à quelle sauce, très exactement, elle allait être mangée. Et s'ils voulaient vraiment jouer à ce jeu-là, elle pouvait jouer aussi. Avoir fait tant d'efforts pour la récupérer, le tout pour la faire se sentir la moins bienvenue possible, on faisait mieux, quand même.

Heureusement, si Callidora et Caspar ne la ménageaient pas, Harfang et Charis faisaient des efforts, eux. Enfin... pour ce qui était d'Harfang, tout était relatif, mais à vrai dire, elle appréciait en cet instant son franc parler. Elle frémit légèrement en entendant évoquée l'idée de lui trouver un parti au cours de cette soirée, mais elle appréciait qu'on lui en parle frontalement plutôt que de faire semblant de rien. Elle n'était pas sotte, elle savait bien que la prochaine étape allait être de lui trouver un mari pour... laver son honneur. Mais Cedrella n'avait aucune envie de penser à cela, pas plus qu'elle n'avait envie de laver son honneur d'ailleurs.

Elle voulait juste retrouver ses proches et oublier Septimus, et ce n'était certainement pas en la précipitant dans les bras d'un autre homme qu'on réussirait à la ramener à la "raison". Et finalement, c'était Charis qui retranscrivait le mieux le fond de sa pensée, assurant que pour l'heure, elle voulait juste passer une soirée agréable. Et Cedrella voudrait que ce soit possible. Au moins, elle avait Charis de son côté, mais ce n'était pas pour autant que ça allait forcément suffir

-Mieux vaut ne pas me précipiter dans les bras d'un éventuel prétendant trop vite, ce serait dommage que j'abandonne de nouveau un fiancé devant l'autel, n'est-ce pas Caspar ?

Il l'avait provoqué, elle se défendait, c'est tout.

Un sourire s'esquisse à la commissure de mes lèvres alors que Caspar rebondit sur mes propos. Je savais que je pourrais compter sur lui. Charis est trop tendre, c'est un reproche que je ne peux m'empêcher de lui faire, mais Caspar n'a pas la moindre raison de ménager Cedrella, et j'estime que c'est une excellente chose. Elle a besoin de voir la réalité en face, d'entendre les reproches que nous avons à lui faire, qu'importe s'ils doivent lui déplaire.

Elle ne peut pas revenir comme ça, dans nos vies, et s'attendre à n'accuser aucun reproche. Elle est responsable de sa situation, elle doit assumer cette responsabilité. Oui, Caspar et moi sommes sur la même longueur d'onde, c'est une certitude. C'est toujours le cas, et dans tous les domaines. Nous en avons toujours eu conscience mais c'est si évident à ce jour que je ne peux voir que dans cette situation un profond gâchis. Et ce gâchis est encore plus évident quand je dois focaliser mon attention sur l'homme qu'il m'a fallu épouser.

Harfang est positivement insupportable depuis qu'il a découvert le pot-aux roses, et il le prouve une fois de plus. Ses limites étaient déjà aux antipodes des miennes avant cela, mais tout va de mal en pis à présent. Il m'épuise, à un point inimaginable. Il me fatigue comme c'est à peine concevable de l'expliquer. Voilà qu'il met volontairement, et avec une fierté que je lui connais bien, les pieds dans le plat en évoquant le mariage futur de Cedrella. Il ne lui apprend sans doute rien qu'elle ne sache déjà, Cedrella est suffisamment intelligente pour comprendre tout cela, mais j'aurais tout de même voulu qu'il nous épargne cette conversation inutile.

Même si je sais que les efforts de Charis veillent davantage à ne pas mettre Cedrella mal à l'aise qu'à recadrer Harfang, j'approuve tout de même son discours, même si nous mentirions tous en prétendant qu'il est possible, dans les circonstances actuelles, de vraiment passer un moment agréable et détendu. Seule Charis peut peut-être le croire possible, et encore, j'en doute. Et ce n'est absolument pas le comportement, la réponse de Cedrella, qui va arranger les choses.

-Ta fréquentation assidue de Weasley ne t'a définitivement fait aucun bien, je tranche d'un ton sévère face à sa provocation. Tu en as oublié toutes tes bonnes manières au passage.

Charis joue les innocentes. C'est un comportement qui aurait beaucoup déplu à Harfang s'il était venu de sa chère et tendre femme, mais de la part de Charis, il la tolère mieux, parce qu'il comprend mieux ce qui se cache derrière. Charis et Callidora ont sûrement les mêmes ambitions, mais Charis, de son côté, a de bonnes intentions, il est sûr de ça. Alors il la croit quand elle dit qu'elle veut juste passer une bonne soirée, même si c'est tout de même évident qu'ils ont l'ambition de la marier, la Cedrella. Faut pas prendre la prendre pour une idiote non plus. Même si certains ne se privent pas de le faire ostensiblement.

Fort heureusement, Cedrella sait parfaitement bien se défendre, et n'a besoin de personne pour cela. Sa réponse fait sourire Harfang, et il ne prend même pas la peine de le dissimuler. Il ne prend plus la peine de dissimuler grand-chose, en fait, et ça depuis un bon bout de temps, il faut bien le dire. En tout cas, Harfang trouve sa petite provocation à l'adresse de Caspar absolument savoureuse. Malgré l'humiliation, Cedrella n'a pas perdu de son mordant, et il doit bien reconnaître qu'il n'en apprécie que d'autant plus son retour. Elle va mettre de l'animation au sein d'une famille qui a grand besoin qu'on la bouscule, et c'est parfait ainsi.

Callidora ne trouve rien de mieux à répliquer que de lui rebalancer ses erreurs passées au visage. Elle appuie où ça fait mal, c'est sa spécialité. En son fort intérieur, Harfang espère que Cedrella ne laissera pas son insolence être entamée par les remarque de la plus grande de ses soeurs. Pas plus que par la réplique de Caspar, qui une fois n'est pas coutume, se range du côté de sa maîtresse. Ils font vraiment la pair, ces deux-là, ce n'est plus à prouver. Ce n'est plus à prouver, et aussi, c'est particulièrement écoeurant.

-C'est étrange, parce que depuis tout à l'heure, c'est vous tous qui focalisez l'attention sur Cedrella, remarque innocemment Harfang quand Caspar réplique que Cedrella n'avait pas à s'imaginer qu'elle était au coeur de toute l'attention. Techniquement c'était vrai, cette soirée s'improvise réunion de famille mais n'a pas à en être une, et n'en est pas le sujet. À se demander qui est vraiment idiot, ici.

Non mais vraiment, au point où il en est, Harfang s'en fiche, il continuera de dire ce qu'il pense.

-Mieux vaut ne pas me précipiter dans les bras d'un éventuel prétendant trop vite, ce serait dommage que j'abandonne de nouveau un fiancé devant l'autel, n'est-ce pas Caspar ?

Charis serra les dents. Si Cedrella lui avait terriblement manqué, si elle était vraiment heureuse de l'avoir retrouvée, et même d'avoir retrouvé leur complicité, très vite et très facilement, ce qu'elle n'aurait pas imaginé possible avant son retour, elle aurait préféré qu'elle garde son tempérament caustique pour leurs conversations privées seulement.

Elle pouvait en partie comprendre la réponse de Cedrella, car à se sentir attaquée comme elle l'était effectivement, elle se défendait, et elle se défendait bien, mais Charis n'avait aucune envie que cette soirée se termine en pugilat, elle n'avait pas voulu que l'on fasse le procès de Cedrella, et elle ne voulait pas non plus que tout ceci aboutisse à une dispute familiale sans précédent. Car Cedrella avait du répondant, mais le reste de la famille n'était pas bien différente non plus.

-Ta fréquentation assidue de Weasley ne t'a définitivement fait aucun bien. Tu en as oublié toutes tes bonnes manières au passage.

Charis ne pouvait pas dire le contraire, mais en même temps, Cedrella avait toujours été très directe et franche, même avant de commettre l'erreur de sortir avec Weasley. Malgré tout, ce n'est pas de cette manière qu'elle avait envisagé les choses, et elle était désarçonnée par cette salve de piques que les uns s'envoyaient au autres, diluant directement la possibilité d'une accalmie qui leur serait pourtant bienfaitrice.

Et il ne fallait pas compter sur Caspar pour calmer le jeu. Surtout pas. Callidora et lui faisaient toujours la pair en matière d'opinion, et Charis se sentait de plus en plus mal. Elle, elle avait toujours voulu que tout se passe bien...

« Il faudrait être idiot pour imaginer que tout tourne autour de toi Cedrella. Cette soirée est bien plus qu’une simple réunion de famille. »

Là, c'était Charis qui se sentait attaquée directement. Bien sûr, cette soirée n'avait pas été organisée en leur honneur, mais ne nous leurrons pas, aucun d'eux n'était si proche que cela de Wilhelmina Tuft. Ils n'étaient pas tant là pour présenter leurs hommages à une ministre remarquables que pour faire acte de présence, se montrer, parce que c'était ce qui se faisait dans leurs sphères.

Alors même si ce n'était pas une réunion de famille officiellement, Charis aurait aimé qu'ils perçoivent les choses ainsi. Mais ça n'avait pas été le cas.

-C'est étrange, parce que depuis tout à l'heure, c'est vous tous qui focalisez l'attention sur Cedrella. À se demander qui est vraiment idiot, ici.

Si Charis avait voulu compter sur le soutien de Harfang, c'était visiblement peine perdue. Et maintenant, elle ne savait pas comment faire pour ramener tout ce monde à un peu plus de calme. Tempérer leurs discours à tous avait l'air de relever du parcours du combattant.

"En tout cas, cette soirée est une réussite.", dit Charis, se disant que le mieux était peut-être juste de changer de sujet en faisant comme si de rien n'était. "Quand je pense à l'issue de la réception de l'an dernier, j'admire l'initiative de telles festivités."

Cedrella s'abstint d'adresser à sa grande soeur sa remarque la plus cinglante quand elle lui fit remarquer que sa fréquentation de Septimus lui avait fait perdre ses bonnes manières. Revenir n'avait pas été simple pour elle. Elle avait dû mettre son orgueil de côté, elle avait dû accepter de revenir la queue entre les jambes, elle savait qu'on le lui rappellerait, mais pas si violemment. Charis faisait des efforts, beaucoup d'efforts qu'elle n'était pas tenue de faire pour que tout se passe bien.

Mais Callidora faisait tout l'inverse. Aucune forme d'efforts, rien... C'était comme si sa présence l'incommodait plus qu'autre chose, comme si elle n'avait jamais voulu son retour. C'était une pensée qui lui faisait beaucoup de mal, et contre laquelle elle ne pouvait pas réellement lutter. Une part d'elle pouvait admettre qu'elle l'avait cherché, une autre ne pouvait que considérer le contraire. Dans tous les cas, et peu importe ce que Septimus lui avait fait à elle, elle ne supportait pas qu'on l'évoque si légèrement, alors que le simple fait d'entendre son nom lui brisait le coeur en mille morceaux.

Forcément, Caspar en rajoutait une couche de son côté, mais ses propos à lui ne l'intéressaient pas du tout. Elle préférait ne même pas entenir compte. L'opinion de Caspar ne comptait pas, en revanche, celle de Callidora avait de l'importance à ses yeux, et c'était vraiment quelque chose de difficile... Elle retint tout de même un soupir quand Caspar remarqua que cette soirée n'était pas à propos d'eux, et encore moins à propos d'elle. Ben tiens... Mais elle n'avait rien demandé à personne, elle. Elle se serait très bien passé du fait que la conversation tourne immédiatement autour d'elle, mais forcément, avec son retour, c'était un peu inévitable. Et elle, quand on lui faisait des remarques qui lui déplaisaient, elle se contentait de riposter, tout simplement.

Elle ne put s'empêcher d'esquisser un léger sourire en entendant la réplique d'Harfang. Elle l'avait toujours apprécié, mais elle le trouvait irrésistiblement caustique depuis son retour. Elle ne savait pas s'il s'était passé quelque chose en particulier qui lui avait échappé. En revanche, elle savait que ça tombait bien, parce qu'il était de son côté. C'était peut-être juste en réaction contre sa femme (ou contre Caspar. Ou contre les deux), mais ça l'arrangeait. Et ça l'amusait beaucoup. Sans lui et Charis, cette soirée serait insupportable. Charis qui faisait de son mieux pour noyer le poisson, au passage. Pas de chance, Cedrella ne se laissait pas insulter sans réagir, et elle n'avait pas l'intention de lâcher le morceau sous prétexte que Charistentait de changer de sujet.

-Si ma présence vous déplaît à ce point, il ne fallait pas se donner tant de mal pour me faire revenir. Je peux repartir, ce n'est pas un problème.

J'affiche un sourire satisfait en entendant Caspar se joindre à mon opinion (qu'attendre d'autre en même temps ? Il est rare voire impossible que nos avis ne concordent pas, pas parce que nous nous conformons à celui de l'autre, simplement parce que nos esprits sont bien trop similaires). Je dois avouer prendre un malin plaisir à recadrer Cedrella publiquement. Certains (Charis, peut-être, beaucoup plus - trop - tendre que moi) me qualifieront de cruelle, mais je ne pense pas l'être. Oui, j'aime Cedrella mais je ne compte pas lui tomber dans les bras ni tout lui concéder. Si elle en est là, c'est de sa faute, à cause des erreurs qu'elle a commises.

Au lieu de jouer les effrontées, elle ferait bien de faire profil bas et d'admettre la chance qu'elle a que nous la tolérions encore dans notre cercle malgré tout le mal qu'elle a fait à notre famille, et à sa réputation surtout. Et oui, Cedrella n'est pas le centre du monde, même si l'attention que nous lui accordons est inévitable, puisqu'elle fait son grand retour dans la haute société. Et pour le moment, c'est loin d'être un sans faute. Elle me déçoit beaucoup. Mais ça fait longtemps, c'est presque en train de devenir une habitude au bout du compte. Une très mauvaise habitude, c'est certain.

Harfang, qui en ce moment saute sur la moindre occasion de m'humilier, en profite évidemment pour prendre la défense de sa belle-soeur. Je prétends ignorer son discours. Sa présence, ses propos, son attitude... son existence, même... tout en lui me fatigue et m'exaspère. Qu'ai-je donc bien pu faire pour mériter un mari pareil ? Mieux vaut ne rien répliquer, et Charis paraît penser la même chose, puisque quand elle reprend la parole, c'est pour changer de sujet. Un sujet banal et innocent, mais c'est le mieux, sans aucun doute. Clore ce chapitre une bonne fois pour toutes.

Mais Cedrella, parce qu'elle en fait toujours trop, n'a pas l'air de vouloir lâcher le morceau malgré tout. Remarquant que si sa présence déplaît, elle n'a qu'à s'en aller. Je ne me retiens pas de lever les yeux au ciel. Pour moi, Cedrella n'est rien qu'une enfant capricieuse, qui espère tout avoir alors qu'il est évident qu'il ne peut pas du tout en être question. Un tel comportement de sa part me fatigue clairement et m'agace encore plus sûrement.

-Comme si tu avais quelque part d'autre où aller, je réplique alors sèchement.

Les efforts que fournit Charis pour faire croire à tout le monde que cette situation n'a rien d'inconfortable et que les tensions grandissantes au sein de leur famille ne sont pas en train d'atteindre doucement leur paroxysme seraient presque admirables. Mais elle ne peut pas noyer le poisson indéfiniment, et espérer que cela suffise, surtout. Non, ça ne suffit pas. Il faut bien, à un moment ou à un autre, qu'elle prenne la peine de voir les choses à faire et d'agir en conséquence. Il ne sert plus à rien de se leurrer ou de faire comme si de rien n'était. Il va bien falloir que tout ça éclate, que crève l'abcès. Quand ça arrivera, ça ne fera de bien à personne, mais ça reste indispensable. Personne n'est prêt à jouer le jeu de l'innocence, et c'est tant mieux. Ce serait une véritable insulte aux circonstances.

Cedrella balaie rapidement les tentatives de Charis pour apaiser les choses, preuve que c'était inutile, en observant que si l'on ne voulait pas d'elle, il ne fallait pas la faire revenir en premier lieu. Il est vrai que depuis son retour, Cedrella est considérée en étrangère au sein de sa propre famille. Certains diront que c'est la punition méritée pour son départ. D'accord, d'accord... En attendant, s'ils espèrent qu'elle ne va pas se faire la malle de nouveau en la traitant comme ils le font, ils sont plus idiots qu'ils ne semblent l'être.

Et pourtant, Callidora, toujours trop sûre d'elle, réussit encore à en rajouter une couche en affirmant que Cedrella n'a nulle part où aller dans tous les cas. Et forcément, qui abonde dans son sens ? Caspar. Ces deux-là n'ont plus qu'à se coudre l'un à l'autre pour devenir des siamois. Ils ont clairement un cerveau pour deux, Harfang trouve ça de plus en plus affligeant.

"C'est sûr, se faire insulter et rabaisser à longueur de temps, quelle chance incroyable ! C'est vraiment inconcevable qu'elle ait de nouveau envie de vous fuir alors que vous lui réservez un accueil à ce point chaleureux."

Une fois n'est pas coutume, Harfang prend la défense de Cedrella. Il sait bien qu'elle n'en a pas besoin et qu'elle est capable de faire face toute seule sans personne pour la soutenir, mais il se dit quand même que ça ne doit pas lui faire de mal dans tous les cas.

-Si ma présence vous déplaît à ce point, il ne fallait pas se donner tant de mal pour me faire revenir. Je peux repartir, ce n'est pas un problème.

Les tentatives de Charis pour détourner le sujet avaient lamentablement échoué. Est-ce qu'elle avait vraiment cru que ce serait aussi simple ? Non, évidemment que non, mais elle l'espérait. Elle avait le sentiment d'être définitivement la seule à faire des efforts dans l'espoir de les voir former une famille unie, et ça la fatiguait au plus haut point.

Elle n'avait plus envie de faire d'efforts non plus, mais si elle-même renonçait, alors... plus personne ne ferait plus quoi que ce soit, et elle avait le sentiment que c'en serait fini de sa famille. Et ça... ça, c'était insupportable.

Elle avait du mal à ne pas comprendre Cedrella, ceci dit. A la considérer comme une pestiférée, elle allait repartir aussi vite qu'elle était revenue, et c'était une pensée insupportable pour Charis. Mais Callidora ne semblait pas du tout inquiète de son côté.

-Comme si tu avais quelque part d'autre où aller.

Elle n'avait pas tort, c'est vrai. Sans leur accueil et leur générosité, et puisqu'elle avait perdu Septimus, il ne lui restait plus rien. Mais à force de pousser Cedrella dans ses retranchements, qu'allaient-ils en retirer ? Charis commençait honnêtement à redouter le pire.

Cedrella avait sa fierté, elle pourrait bien être capable de leur prouver qu'elle pouvait aller ailleurs. Et alors, ils n'en mèneraient pas large.

« Tu devrais remercier tes sœurs pour leur grande générosité. C’est comme si tu ne te rendais pas compte de toute la chance que tu as de les avoir. »

Charis baissa les yeux. Elle devait reconnaître qu'elle apprécierait parfois plus de gratitude de la part de Cedrella, mais en même temps, des remerciements, elle en avait eus, de son côté... Mais elle avait le sentiment qu'un simple "merci" ne parviendrait jamais à convaincre Callidora et Caspar, ceux qui prenaient le plus de soin à rendre la vie de sa soeur impossible.

Charis n'attendait rien de Cedrella si ce n'est de la voir s'épanouir dans leur milieu. Peut-être en trouvant enfin un parti digne de ce nom, en faisant un beau mariage, en fondant une famille...

"C'est sûr, se faire insulter et rabaisser à longueur de temps, quelle chance incroyable ! C'est vraiment inconcevable qu'elle ait de nouveau envie de vous fuir alors que vous lui réservez un accueil à ce point chaleureux."

Charis avait beau trouver que son beau-frère y allait toujours un peu fort, elle avait du mal à ne pas être de son avis, en et instant. Caspar et Callidora tiraient sur la corde constamment. A croire qu'ils n'attendaient qu'à la voir céder.

"Cedrella m'a remerciée plus d'une fois. Peut-être qu'elle te remercierait aussi, Callidora, si tu ne la traitais pas constamment comme une pestiférée."

Contre toute attente, Charis prenait parti. Mais elle n'en pouvait tout simplement plus de cette situation.

La réponse de Callidora ne se fit pas attendre, et elle fut - comme il fallait s'en douter - des plus cinglantes. Dernièrement, Cedrella avait la nette impression que sa soeur aînée n'était plus capable de s'adresser à elle qu'en l'agressant. Ceci dit, c'était réciproque. Si elle avait fait promettre à Charis que plus jamais le sujet de Septimus ne serait évoqué et que tout le monde ferait comme si elle n'était jamais partie, ça avait foiré, de toute évidence, et Charis n'avait pas pu convaincre leur soeur ou encore son mari. Est-ce que c'était surprenant ? Non, pas vraiment... Obtenir le résultat inverse aurait été plus bluffant. Surtout que Callidora semblait s'être changée en véritable monstre de cruauté et d'insensibilité depuis son départ. A moins qu'elle ait toujours été ainsi sans que Cedrella ne s'en soit jamais rendu compte ? Au fond, ce n'était sans doute pas à exclure.

Et Caspar qui en rajoutait encore une couche, comme si il avait son mot à dire dans toute cette histoire. Bon, d'accord, c'était techniquement le cas puisqu'elle vivait sous son toit, ce n'était pas pour autant qu'elle voulait écouter son opinion, surtout alors qu'elle déteignait la mauvaise foi. De quoi est-ce qu'elle devrait être reconnaissante exactement, hein ? Certes, elle avait une chambre confortable et une jolie garde-robe. Mais elle était traitée comme une moins-que-rien et une pestiférée depuis son retour, si c'était ça le prix à payer pour dormir dans des draps en velours, alors non merci. Et encore, si ces attaques frontales venaient de personnes dont elle n'avait rien à faire... mais Cedrella aimait sa grande soeur, et Callidora, elle, semblait avoir perdu le moindre milligramme d'affection pour elle. Alors oui, elle avait remercié Charis de l'avoir accueillie chez elle au moment de s'installer chez les Croupton, mais non, elle n'allait certainement pas lécher les pieds de Callidora alors qu'elle la considérait comme une bouse de verracrasse qu'elle auait écrasée de sa semelle malencontreusement.

Et elle fut plus que ravie, par conséquent, des réactions consécutives de Harfang et Charis. Concernant le premier, elle commençait à s'habituer à ce qu'il prenne presque mécaniquement sa défense, et même si elle appréciait, elle y accordait un crédit relatif, songeant que le but de la manoeuvre devait surtout être d'emmerder Callidora le plus possible. Mais c'était la première fois, en revanche, que Charis prenait position pour elle, et donc contre leur grande soeur, et l'air de rien, ça lui faisait du bien. Charis exagérait tout de même en affirmant qu'elle l'avait remerciée plus d'une fois (enfin, peut-être qu'il y en avait eu deux, c'est vrai), mais cela prouvait d'autant plus qu'elle aussi en avait plus qu'assez et voulait mettre fin à cet acharnement. Et très clairement, ça la touchait, ça la touchait vraiment.

-Il faut croire que je n'adresse ma gratitude qu'à ceux qui la méritent.

Je m'autorise un regard complice à l'adresse de Caspar (nous n'avons plus grand monde à duper, après tout) quand ce dernier prend mon parti et fait remarquer qu'elle manque de gratitude à mon adresse et à celle de Charis alors que nous avons été bien généreuses de lui accorder une seconde chance. Je suis de cet avis, et je continuerai d'autant plus à me montrer intransigeante envers elle tant qu'elle n'aura pas accepté d'admettre que nous agissons pour son bien, et qu'elle devrait nous montrer sa reconnaissance tous les jours. Après tout, plutôt que de la ramener chez nous, même si ça a toujours été le but de la manoeuvre, nous aurions tout simplement pu l'abandonner à son sort, un sort bien mérité après nous avoir tourné le dos et nous avoir humilié comme si de rien n'était.

Et qui, alors, se sent encore une fois l'irrésistible envie de ramener sa fraise ? C'est Harfang, bien sûr, à ce stade, c'est devenu une habitude. Il faut croire qu'il ne sait pas quoi faire d'autre de sa vie. C'est sûrement le cas, en fait. Il errait comme un imbécile avant que la découverte de ma liaison ne lui permette de se trouver une occupation particulièrement malsaine. Je serre les dents. Il prend constamment la défense de Cedrella, mais je sais bien qu'il se fiche complètement d'elle. C'est juste une manière comme une autre de nous pousser, moi et Caspar, dans nos retranchements. Il présume de ce que sont ces retranchements. Oui, il m'agace profondément dernièrement, mais si je dois le recadrer, je n'hésiterai pas une seule seconde.

Là où je suis prise au dépourvu, c'est quand Charis, qui a cherché à faire preuve de la plus totale neutralité jusqu'ici, décide de prendre le parti de Cedrella. Je ne m'y attendais pas, à celle-là... Pourtant, ça ne devrait pas m'étonner. Charis voudrait faire comme si les choses n'étaient pas comme avant. Mais rien n'était comme avant, ça ne se passait pas comme ça.

-Et peut-être que je n'accorde mon pardon qu'à ceux qui le méritent, je rétorque quand Cedrella rebondit sur la remarque de Charis pour prendre la confiance. Si tu as le sentiment de faire le moindre effort depuis ton retour et de mériter que l'on tourne la page, c'est que tu t'illusionnes. Tu as sali notre réputation, traîné notre nom dans la boue, et maintenant tu te poses en victime. C'est trop facile.

Harfang est assez surpris d'entendre Charis prendre le parti de Cedrella, quitte à s'opposer, même timidement, à Callidora. Il ne la connaît pas assez pour en témoigner, mais c'est la première fois qu'il assiste, en tout cas, à un spectacle du genre, et c'est un spectacle qui lui plaît, autant pour Cedrella, qui a grand besoin du soutien d'au moins l'une de ses deux soeurs que pour Charis, qui devrait réussir à s'émanciper de l'autorité d'un époux qui ne mérite ni sa dévotion, ni son humilité. Charis articule à voix haute un constat qu'ils ont forcément tous fait : Cedrella a été considérée comme la pire des pestiférés par ceux qui avaient fait des pieds et des mains pour la reconquérir... Qu'elle l'ait mauvaise, c'est bien normal.

Ce soutien fait manifestement du bien à Cedrella, mais elle ne pourra pas s'en satisfaire bien longtemps, ils font face à de véritables requins. Callidora et Caspar ont les dents longues, et rien au monde ne semble susceptible de les décontenancer. Ils sont capables de retomber sur leurs pattes peu importe les circonstances, avec la suffisance qui les caractérise, et c'est ce qui les rend encore plus insupportables aux yeux de Harfang.

Et c'est Callidora qui la première fait comprendre à Cedrella qu'elle ne compte pas se remettre en question et continuera de la traiter comme elle ne cesse de la traiter depuis son retour. Harfang a le vague souvenir d'une époque où Cedrella et sa femme s'entendaient comme larrons en foire. C'est vraiment difficile à croire à l'heure actuelle. Callidora n'est pas une bonne personne, mais la déception et le sentiment de trahison décuplent son attitude, et c'est ce que Harfang constate plus encore qu'en temps normal en cet instant.

"Caspar, toujours aussi aveugle aux qualités les plus évidentes de ton épouse.", réplique Harfang, agacé des propos de Caspar à l'égard de sa femme, des propos qu'il trouve humiliants. Alors, il n'a pas de leçon à donner alors que lui-même insulte sa femme publiquement presque constamment ces temps derniers, mais Callidora le mérite, en revanche, ce n'est pas le cas de Charis. "Il serait grand temps que tu l'estimes à sa juste valeur", ajouta-t-il en croisant les bras.

Doit-on faire le procès de tout le monde ici ? Car Callidora et Caspar ne devraient pas être pressés d'en venir au leur.

-Il faut croire que je n'adresse ma gratitude qu'à ceux qui la méritent.

Charis se sentait mal à l'aise. Elle n'avait eu aucune envie de prendre parti, mais le fait est qu'elle l'avait effectivement fait, et à présent, elle ne savait pas comment elle pourrait être capable de récupérer son rôle de médiatrice sans se montrer fondamentalement si ce n'est hypocrite, du moins mal placé.

Malgré tout, ressentir ce semblant de connivence avec Cedrella et se rebeller contre sa grande soeur, même une fraction de seconde, ça lui faisait du bien. Elle allait vite déchanter, mais une fraction de seconde, elle était sortie de son rôle, et ça l'avait... soulagée.

-Et peut-être que je n'accorde mon pardon qu'à ceux qui le méritent. Si tu as le sentiment de faire le moindre effort depuis ton retour et de mériter que l'on tourne la page, c'est que tu t'illusionnes. Tu as sali notre réputation, traîné notre nom dans la boue, et maintenant tu te poses en victime. C'est trop facile.

C'est ce que Charis avait pensé en partie... Mais c'était un cercle vicieux, plus on poussait Cedrella à bout, moins elle ferait profil bas, et c'était cela que Charis reprochait à Callidora.

Qu'elle soit amère, qu'elle lui en veuille, c'était compréhensible... mais c'était comme si elle ne voulait plus du tout de Cedrella, comme s'il ne subsistait plus en elle le moindre fond d'affection pour leur soeur. Charis s'était battue pour qu'elles retrouvent ce qu'elles avaient à l'époque, et résultat des courses, la situation était pire que quand Cedrella était avec Septimus. Comment est-ce que ça pouvait seulement être possible ?

« Charis… beaucoup trop naïve et gentille, comme d’habitude. »

Et ça, c'était l'affront de trop. Charis était capable d'en entendre beaucoup, mais se faire traiter comme une moins que rien constamment par les personnes qu'elle estimait le plus, alors que déjà elle subissait l'assaut de ses hormones, c'était trop. Elle serra les dents, elle voulait rester digne, mais...

"Caspar, toujours aussi aveugle aux qualités les plus évidentes de ton épouse. Il serait grand temps que tu l'estimes à sa juste valeur."

Charis appréciait que son beau-frère prenne sa défense, mais ce n'était pas de lui qu'elle attendait cette considération. Elle ferma les yeux une fraction de seconde, tentant de ne pas succomber à ses émotions, quand elle les rouvrit, ils étaient humides de larmes.

"Si vous voulez bien m'excuser, je vais prendre un peu l'air...", se déroba-t-elle, mal à l'aise.

Elle avait juste besoin de ne plus être digne le temps de quelques pas avant de s'isoler et... de craquer.

La réponse de Callidora n'avait rien d'une surprise. Elle ne faisait jamais qu'exprimer plus clairement ce qu'elle laissait, dans tous les cas, deviner constamment depuis son retour. Elle avait pour elle une rancoeur si forte que rien ne pourrait l'effacer, ni son retour ni quoi que ce soit. De cela, Cedrella était absolument convaincue. Même si elle devait s'appliquer à jouer les parfaites petites sang pur bien sous tout rapport, ça ne changerait rien du tout, le mal était plus profond que cela. Et elle ne risquait pas de jouer les parfaites petites sang pur dans tous les cas... Plus on tenterait de la pousser dans ce sens, plus elle serait tentée de faire tout l'inverse. Ca, ce puissant esprit de contradiction, n'avait pas réellement attendu qu'elle ait connu Septimus pour s'exprimer, elle l'avait toujours eu en elle. Parfois, c'était handicapant, d'autres fois, ça l'aidait à faire face, quand elle devait accuser le mépris d'une personne qu'elle avait beaucoup trop aimée pour réussir à la mépriser en retour.

Cedrella avait tout de même l'intention de répliquer, mais elle fut prise de court par les propos de Caspar, qui ne s'adressait pas à elle, non, mais à sa femme, qui se prenait de plein fouet le retour de bâton pour avoir osé prendre sa défense. Cedrella sentit son coeur se serrer. Elle acceptait de s'en prendre plein la tronche. Elle était rodée, elle avait l'habitude, mais que Charis doive encaisser par sa faute, ce n'était pas la même chose. Si elle avait été fière et satisfaite de l'entendre la défendre plus tôt, elle aurait préféré maintenant qu'elle se taise... L'"insulte" en soi était légère, mais l'humiliation, en revanche, était complètement évidente.

Cedrella s'apprêtait à réagir, mais Harfang lui retira les mots de la bouche. Elle n'aurait pas dit les choses différemment si elle avait dû s'exprimer. Mais quoi qu'elle puisse bien dire, il était évidemment trop tard, et elle le savait bien. dans le fond, que ce n'était pas assez pour sa soeur. Cedrella gardait l'oeil sur elle, et elle voyait bien qu'elle était proche de craquer. Et évidemment, sa patience devait être d'autant plus contrariée qu'elle n'était pas en condition d'endurer des émotions du genre.

Cedrella avait vraiment mal de voir sa soeur craquer. D'autant qu'elle savait bien qu'elle n'y était pas pour rien, qu'elle avait totalement sa part de responsabilité dans la scène qui était en train de se produire. Certes, le vrai connard, dans l'affaire, restait définitivement Caspar, aux yeux de Cedrella (et Callidora, ne nous mentons pas), mais elle mettait de l'huile sur le feu. Toutes ces tensions, entre Charis et Caspar, entre Harfang et Callidora, entre Harfang et Caspar, et même entre ses deux soeurs n'existaient pas avant son retour. Elle avait semé la zizanie.

-Attends, je viens avec toi, suggéra doucement Cedrella, qui n'avait aucune envie de laisser Charis seule en cet instant. Et s'épargnait bien au passage la compagnie des autres personnes présentes.