B

ill était sur les nerfs, ces derniers temps. Rien ne se déroulait ainsi qu'il l'avait prévu ou souhaité. Tout avait semblé logique, sous contrôle, après sa sortie de prison. Il pouvait compter sur Isabel et sa fortune, il mettrait la main sur Seth et accomplirait sa vengeance, il créerait un empire du crime, et plus jamais il ne passerait la moindre minute à l'ombre... Mais rien ne s'était passé comme il l'avait désiré. Non seulement il avait été incapable de tuer Seth, mais en plus, il devait maintenant accepter sa nature monstrueuse, et cela remettait de nombreuses choses en question.

Oh, ce n'était pas pour autant que l'ancien prisonnier avait renoncé, ce serait mal lui ressembler. Il avait bien eu l'intention de prendre son "fils" en traître, sans lui laisser la moindre occasion de se dérober. Plus de blabla, plus de mauvaise surprise. Il le surprendrait dans son sommeil, lui tirerait une balle entre les deux yeux. C'était la méthode des lâches, mais face aux individus comme lui, il n'y avait pas mieux à faire.

Alors il était retourné dans cet appartement où ils s'étaient retrouvés et battus il n'y a pas si longtemps, pour découvrir que ce dernier avait été complètement déserté. Ce n'était pas un stratagème, il le comprit bien vite : Seth avait déménagé, disparu sans laisser de trace. Il avait mis tous ses contacts sur le coup, mais personne n'avait été capable de localiser la nouvelle adresse du jeune homme. Il ne perdait pas "espoir", en revanche il perdait patience. Seth avait pris la fuite, et il ne supportait définitivement pas cela. Il perdait le contrôle de la situation, c'était insupportable.

Et pour couronner le tout, il était convoqué au poste de police... Ce n'était pas une surprise, ça arrivait souvent... Que ce soit pour rancarder les flics sur l'un ou l'autre de ses anciens camarades de cellule, ou pour s'assurer de sa bonne conduite. C'était une sorte de routine, mais qui serait d'autant plus déplaisante en l'occurrence qu'il aurait affaire au flic hargneux qu'était Billy Stubbs. Tous les deux, Bill en était convaincu, étaient faits du même bois. Dans une autre vie, dans d'autres circonstances, peut-être se seraient-ils parfaitement entendus. Mais dans les faits, ils étaient clairement ennemis.

-Stubbs, quel plaisir de vous revoir, dit-il une fois arrivé sur place, sans en penser mot, évidemment.
 

   

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C

omme pour défier un peu plus son interlocuteur, même si c'était en soi une initiative particulièrement puérile, Bill ne sourit que davantage quand son interlocuteur suggéra qu'il ferait mieux de faire disparaître de son visage le sourire qui y trônait à l'heure actuelle. Ce n'était certainement pas ce flic besogneux qui allait lui dicter sa conduite et ses émotions, il en était absolument hors de question, et par ailleurs, il prenait un malin plaisir à voir son interlocuteur affligé par sa seule présence.

Il éprouvait à son adresse plus d'indifférence que de véritable agacement, même s'il ne prenait jamais le moindre plaisir à se retrouver face à lui, ça va de soi. Alors il appréciait d'être capable d'énerver profondément Billy par sa seule existence. Le jeune homme devait sans doute espérer une seule et unqiue chose, et c'était de voir son interlocuteur derrière les barreaux une fois encore. Bill ne lui donnerait pas la satisfaction. Si son passage par la case prison n'avait pas été inutile, puisqu'il s'y était constitué un réseau d'une nature nouvelle, et que cela lui avait permis d'appitoyer et de séduire Isabel, ce n'est pas pour autant qu'il avait envie de réitérer l'expérience, certainement pas. Il était libre, et il avait la ferme intention de le rester, peu importe les obstacles qu'il pourrait éventuellement rencontrer.

Il était ici pour lui parler de Bastian Crowley. Est-ce que Bill le connaissait ? Oui, et très bien, même. Les deux hommes faisaient affaire depuis un moment à présent. Cela avait commencé au moment de leurs incarcérations respectives, et ils étaient restés en contact ensuite. Bastian était sorti depuis peu de prison, et Bill n'avait pas mis longtemps à l'apprendre et le contacter. Son influence dans la pègre londonienne faisait de lui un allié de choix, et ça, forcément, Billy le savait. Qu'ils aient été surpris en présence l'un de l'autre était malencontreux, c'est vrai, mais aux yeux de Bill, cela n'avait rien de dramatique pour autant... ou ne devrait pas empêcher ses affaires de fonctionner convenablement, tout du moins. Après tout, la preuve d'une conversation ne faisait pas la preuve de quelconques manigances. D'autant que, sur le papier, les deux hommes étaient à présent innocents... jusqu'à preuve du contraire. Et Bill s'arrangerait pour qu'ils le demeurent.

-En effet, se contenta de répondre Bill. Inutile de nier, à ce stade. Nous nous sommes rencontrés en prison, mais ça vous le savez déjà, n'est-ce pas. Il marqua une pause. Je ne vois pas quel problème il pourrait y avoir à renouer avec un ami, dit-il, feignant l'ignorance. De quoi m'accuse-t-on exactement ?
 

   

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B

ill se contenta d'adresser au policier un regard entendu quand ce dernier fit mine de ne pas l'accuser de quoi que ce soit. Il savait très bien que ni l'un ni l'autre ne pouvaient être dupes à ce petit jeu. Aux yeux de la justice, Bill était et demeurerait toujours un criminel, quoi qu'il puisse dire ou faire pour faire amende honnorable, et qu'importe qu'il ait purgé sa peine. C'était ainsi... Alors, tant qu'à faire, autant leur donner raison, puisque ça ne changeait rien. Certes, Bill n'avait pas besoin de ce genre de justifications. On avait bien raison de le considérer comme un criminel pas du tout repenti, puisque c'était exactement ce qu'il était, mais ça ne l'empêcherait pas de faire mine de montrer pattes blanches. Qu'importe le semblant de preuves que l'on accumulerait contre lui.

Tant que manquait l'essentiel, à savoir ces éléments concrets susceptibles de le faire tomber, il savait qu'il ne craignait bien. Et la prison avait eu cet intérêt : il s'était façonné un réseau, il s'estimait mieux entouré que jamais, et il n'envisageait pas que quoi que ce soit ou qui que ce soit puisse faire obstacle à ses manoeuvres, ses décisions et ses projets. Il se sentait invincible, et il l'affichait sans aucune réserve, provocateur, en présence de l'homme qui en cet instant lui faisait face. Avec d'autant plus de satisfaction qu'il savait pertinemment que le jeune homme devait rêver de le voir tomber... Bill était prêt à parier, pourtant, que Stubbs tomberait avant lui.

Son regard se fit sceptique quand le jeune policier prétendit qu'il était là pour répondre à leurs interrogations, rien de plus. Interrogations et accusations avaient souvent tendance à être des synonymes, ça Bill l'avait compris de longue date, et il avait compris de longue date qu'il valait mieux s'en amuser que de chercher la confrontation directe, qui menait rarement où que ce soit, par ailleurs. Les réponses au question du jeune homme, billy les avait préparées, et Bill, même en essayant de lui mettre il ne savait que coup de pression, n'obtiendrait absolument rien de sa part. Et il était satisfaisant, par avance, de ne lui donner aucune sorte de satisfaction, justement, peu importe ce qu'il pouvait bien rechercher.

-Oh, vous savez ce que c'est, on parlait de tout, de rien, du bon vieux temps, on se racontait de vieilles anecdotes entre anciens tôlards, dit-il avec toute la désinvolture qu'exigeait un tel discours.

 

   

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B

ill adressa à son interlocuteur un simple sourire cryptique quand ce dernier remit en cause l'idée même que l'homme puisse être nostalgique du temps qu'il avait passé derrière les barreaux. L'inspecteur de police avait bien évidemment les meilleures raisons du monde d'en douter, car l'ancien prisonnier, en effet, était loin de regretter les quelques années qu'il avait passées à l'ombre. De trop nombreuses années. Certes, il pouvait admettre rétrospectivement qu'elles ne lui avaient pas amené que des désavantages. Il s'était créé un réseau et des fréquentations qu'il n'aurait certainement pas pu se constituer s'il n'avait pas eu affaire à la justice (même s'il n'avait pas attendu la prison pour accumuler un certain nombre de fréquentations particulièrement louches, il est vrai)...

Et il aurait pu être plus mal traité. Il avait su tirer les ficelles adéquates et se positionner de la bonne manière afin de rendre son séjour en prison le plus agréable possible. Mais quand bien même il n'avait pas été le tôlard le plus à plaindre au monde, il n'en conservait pas moins de son incarcération un souvenir mordant, et une soif de revanche qui transcendait tout autre sentiment. Autant dire, de fait, qu'il ne goûtait pas vraiment à la petite boutade de son interlocuteur. Même s'il était déterminé à garder son calme. Il n'avait que trop conscience de ce qu'il adviendrait de lui s'il devait, par erreur ou maladresse... déraper. Il l'avait déjà fait, mais certainement pas en présence du moindre flic. Et s'il était bien un flic auquel il n'avait pas envie d'exposer ses faiblesse, c'était bien Stubbs, car il l'avait très vite catalogué comme particulièrement redoutable.

-Je n'ai rien à vous dire, répliqua tranquillement Bill, qui n'avait pas l'intention de changer sa ligne de conduite, en dépit de la menace tacite que contenait le discours de son interlocuteur. Je vous l'ai dit, nous n'avons fait qu'échanger des banalités, je ne serais même plus capable de vous dire de quoi nous avons parlé exactement.

Si, il en était parfaitement capable, et c'était bien évidemment parce qu'il en était parfaitement capable qu'il n'en toucherait pas le moindre mot, peu importe les méthodes que Stubbs choisirait d'employer pour le faire parler.

-Si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à poser la question à Bastian, ajouta-t-il.

Il avait conscience de jouer avec le feu, mais agir ainsi, c'était éventuellement s'assurer la loyauté de Crowley. S'il devait parler, eh bien... il agirait en conséquence.
 

   

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B

luff et mensonge étaient de mise au cours de cet entretien. Bill mentait et bluffait en prétendant que lui et son ancien camarade de cellule n'avaient pas réellement fait affaire ensemble et s'étaient contenté de bavarder au sujet de tout et de rien comme le feraient d'anciens camarades, et Billy, lui, mentait et bluffait sans doute en prétendant que Bastian lui avait déjà confié dans le détail tout ce qu'ils s'étaient dit.

Est-ce qu'il pouvait être certain du fait que l'inspecteur de police était en train de le mener en bateau ? Non, et c'était un problème. Même s'il tenait Bastian pour quelqu'un de loyal et qu'il considérait que leurs intérêts communs empêchaient très largement qu'ils ne se trahissent l'un l'autre, il savait aussi que Bastian n'était pas bien différent de n'importe qui d'autre, y compris de lui-même. Son allégeance allait au plus offrant, tout simplement. Et qui sait ce que Stubbs aurait bien pu lui promettre dans l'espoir d'avoir la main sur lui ? Bill savait pertinemment que ce fichu flic attendait la moindre occasion de le coincer.

Enfin, bluff ou pas, il avait bien l'intention de ne laisser transparaître aucune forme d'inquiétude pour autant. Il était inutile de se mettre ainsi martel en tête alors qu'il n'avait en fin de compte pas la moindre idée de ce qui s'était dit ou non entre Bastian et lui. Peut-être une conversation digne de ce nom ? Peut-être une conversation sans intérêt. Peut-être aussi que Bastian et lui n'avaient même pas parlé ensemble tous les deux et que Bill essayait simplement de le lui faire croire. Tout était possible, en réalité.

-Je ne confirme rien du tout, puisqu'il n'y a rien à confirmer, répliqua Bill, catégorique. Il ajouta, en voulant donner l'air d'être réellement confiant, ce qui n'était pas autant le cas qu'il le souhaiterait, en réalité. Est-ce que ça a déjà marché avec quelqu'un, votre petit coup de bluff stupide ?

Oh, Billy Stubbs devait en croiser, des idiots. Si tous les criminels étaient des flèches, ça se saurait. Il n'empêche que, pour le coup, c'était presque une insulte à son intelligence. Ou pas, parce que justement, peut-être que Billy n'aurait pas cherché à le berner sur des arguments aussi simples et qu'il devrait se méfier. Dans tous les cas, cela ne changeait rien. Bill Beresford n'avait pas la moindre intention de passer aux aveux... Ou alors, il faudrait lui proposer mieux que cette forme d'intimidation à laquelle il était lui-même bien trop coutumier.
 

   

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