« C’est probablement parce que tu me mets en confiance, et que tu es intéressante. J’apprécie également beaucoup parler avec toi. »

Eh bien, si son ego avait un coup de mou, il faudrait qu'elle se rappelle d'appeler Darryl à la rescousse. Quand elle parlait avec lui, elle avait le sentiment d'être tout à coup beaucoup plus intéressante. C'était le mot qu'il utilisait, d'ailleurs, "intéressante". Alors bon, Gloria n'était pas, dans tous les cas, du genre à se morfondre sur elle-même. Elle ne pensait pas être prétentieuse, mais elle était loin de se détester, et elle vivait en très bonne entente avec elle-même.

Mais c'était toujours agréable de s'entendre affirmer qu'on avait de la valeur, que notre conversation était digne d'intérêt, ce genre de chose. Gloria passait beaucoup de temps à juste... blablater, et elle ne pouvait pas affirmer que tout ce dont elle parlait était digne d'être retenu. Mais là, tout de suite, elle avait l'impression d'avoir face à lui quelqu'un de sincèrement intéressé par ce qu'elle avait à dire, et ça faisait du bien.

-C'est vrai ? Tu me trouves intéressante ? demanda-t-elle sans vraiment craindre de mettre les pieds dans le plat, mais avec naturel.

S'il la trouvait intéressante, elle avait envie de comprendre comment, pourquoi, elle voulait savoir quels atomes crochus ils s'étaient trouvés. C'était quelque chose qui faisait pleinement partie de son naturel, au final. Elle ne gardait que rarement ses pensées pour elles, ce qui pouvait bien souvent passer pour terriblement embarrassant aux yeux de ceux qui devaient la supporter et qui pourtant n'avaient rien demandé à personne.

-Pourtant j'ai pas grand-chose à dire, même si je parle beaucoup. En fait, je crois que j'ai une vie vraiment trop banale. C'est juste que j'ai la bougeote... et que je déteste le silence, aussi. Souvent, c'est les personnes qui en disent le moins qui sont les plus intéressantes, je pense que ça doit pas être faux.

Ne serait-ce que parce qu'il y avait cet aura de mystère autour d'eux, auquel Gloria ne pouvait pas prétendre du tout. Elle, elle était transparente, toutes ses émotions se lisaient dans ses yeux, et toutes ses pensées se trouvaient retranscrites en paroles.

« C’est une façon de voir les choses. Mais si on met deux personnes qui ne parlent pas ensemble, je doute qu’il se passe grand-chose d’intéressant. »

Oui et non. A première vue, il ne se passerait peut-être rien de remarquable, mais ça ne voulait pas dire que ce qui ne se remarquait pas ne serait pas intéressant. Gloria ne pouvait pas vraiment en juger, parce qu'elle ne s'était jamais retrouvée dans cette situation pour sa part, mais elle le devinait sans peine malgré tout. Car ce n'était pas parce qu'on ne parlait pas qu'on ne disait rien.

Pour Gloria, c'était difficile à imaginer, parce qu'elle était trop active constamment pour prendre le temps nécessaire d'écouter... le silence, et elle serait sûrement incapable de voir quelque chose qui ne lui serait pas montrée de façon suffisamment manifeste, mais malgré tout, elle savait que beaucoup de choses passaient par le regard et le regard avant tout. Elle, elle ne savait pas regarder convenablement. Si les yeux étaient le miroir de l'âme, elle n'était pas convaincue de ce que ça disait d'elle, mais sans doute pas grand-chose de positif, en toute honnêteté.

-J'aurais dû dire ce genre de choses à mes parents, remarqua Gloria d'un ton amusé. T'imagines même pas le nombre de fois où ils m'ont fait jouer au roi du silence. Et le pire, c'est que je perdais à chaque fois, ajouta-t-elle d'un ton malicieux. Elle marqua une pause. Moi, je suis à peu près sûr qu'il se passe beaucoup plus de choses chez les gens qui disent rien, même si t'en mets deux ensemble. Les regards, les gestes, ça parle beaucoup plus que des mots.. Mon problème, à moi, c'est que je suis nulle pour déchiffrer le langage non verbal. Je te jure, c'est une vraie catastrophe. Par exemple, à certains moments, tout le monde aura compris que l'ambiance est pesante, y aura que moi pour en faire des caisses et rien voir. Elle marqua une pause. J'y peux rien, c'est plus fort que moi, je déteste le silence. Je crois que ça m'angoisse un peu, en fait.

Et si elle parlait encore plus, son discours allait s'achever en psychanalyse. Elle parlait définitivement trop.

« Au moins, tu ne laisses personne indifférent, ce n’est pas si mal. »

C'était gentil de dire ça, mais Gloria n'était pas de cet avis. Elle savait qu'elle passait rarement inaperçue. Mais ça pouvait quand même arriver parfois. Par exemple, elle avait fait des pieds et des mains pour attirer l'attention de Tom à l'époque, et ce dernier était resté complètement indifférent à ses efforts. Ceci dit, ça lui allait bien. Elle préférait plaire ou déplaire que susciter uniquement l'indifférence généale. Si tout le monde s'en fichait d'elle, c'était une chose qu'elle ne vivrait pas vraiment bien. Elle aimait quand même plaire ou déplaire, au moins importer aux yeux des autres.

« Et puis… oui, je peux comprendre que le silence puisse paraître oppressant. »

Elle ne pensait pas qu'il lui dirait ça, tiens. Elle avait l'impression que Darryl était du genre à apprécier le silence. Ce n'était pas son cas. Bien sûr, il y avait des silences plus inconfortables que d'autres, mais dans l'ensemble, quand rien ne se disait, elle se sentait mal à l'aise. Alors, elle avait besoin de dire absolument tout et n'importe quoi pour compler le vide. Même si le silence vaudrait pourtant mieux que ses bavardages.

« En tout cas, moi, je n’ai aucun souci avec le fait que tu parles beaucoup. Même si je ne trouve pas vraiment que ça fasse trop. »

Il ne trouvait pas que c'était trop. C'était bien l'un des premiers à dire une chose pareille. Même ses amis très proches lui demandaient de temps à autre de se la fermer parce qu'ils ne supportaient pas de la voir bavarder incessamment. Elle ne le prenait jamais mal, parce que ça venait d'eux. Mais elle le prenait aussi très bien quand son nouvel ami lui garantissait qu'il aimait bien l'entendre parler.

-Tu dis ça maintenant, mais c'est parce que tu ne me connais pas encore assez. Tu sais qu'un jour, j'ai tenu une bonne heure sur le repas que j'avais mangé à midi. Mais en même temps, pour ma défense, c'était vraiment trop bon. J'adore manger, c'est une vraie passion chez moi.

« Y’a pas de mal à parler de ce qu’on aime. Il faut savoir apprécier la qualité d’un discours que quelqu’un nous fait, qu’importe le sujet. »

En effet, il n'y avait pas de mal à parler de ce qu'on aime, elle serait la dernière à penser le contraire. Par contre, ne pas monopoliser le discours et l'attention en parlant, même avec passion et animation, d'un sujet qui n'intéressait que soi, ça restait du bon sens et une marque de bienséance. Forcément, il y en avait qui appréciaient écouter d'autres leur parler de leurs passions, mais il y en avait d'autres qui s'en foutaient, et c'était quand même pas mal de savoir s'adapter à ses interlocuteurs, même si c'était une compromission que Gloria négligeait bien souvent, pas par arrogance, mais parce qu'elle ne se rendait pas forcément compte du fait qu'elle agaçait prodigieusement son monde.

Il n'y avait pas de mal à parler de ce qu'on aime, il y avait du mal à ennuyer les gens avec ça. Et la jaune et noir le savait bien. Cela lui était déjà arrivé de se coltiner le discours de personnes qui ne l'intéressaient pas du tout, pas le moins du monde, même, et de se contenter de hocher la tête en laissant son esprit vagabonder ailleurs. Elle voulait bien croire que beaucoup de gens faisaient la même chose avec elle, alors ça ne coûtait rien d'essayer d'être un peu moins rébarbative, même si ce n'était pas toujours gagné.

-Je suis pas forcément d'accord, répondit Gloria avec un sourire. Si on n'est pas intéressé parce que quelqu'un nous raconte, on devrait avoir le droit de le lui dire sans avoir l'air désagréable ou impoli. Après tout, tout le monde n'est pas intéressé par les mêmes choses, et on ne peut pas être intéressé par tout, c'est normal.

Alors elle considérait que ce n'était vraiment pas la peine de faire semblant. C'était rendre service à l'autre de lui dire quand s'arrêter. Est-ce qu'elle le vivrait bien, elle, qu'on lui demande d'arrêter de parler ? Elle n'en savait trop rien, pour tout dire. Elle pourrait facilement se vexer malgré tout, mais tout dépendait de qui s'adressait à elle, en fait. Elle était plus tolérante envers certaines personnes qu'envers d'autres.

« Oui, les goûts et les couleurs sont variés. Après, chacun fait comme il le sent, en fonction de son caractère et tout ce qui va avec. C’est la variété qui rend les choses si étonnantes et agréables. »

Un résumé difficilement contestable de la nature humaine. Gloria voyait difficilement ce qu'elle pourrait dire de plus ou de moins à ce sujet, si ce n'est que Darryl avait effectivement raison. Oui, tout le monde avait des goûts, des sensibilités et des caractères différents, et pour cette raison, la nature humaine était fascinante et compliquée, et il n'y avait pas besoin d'aller chercher bien loin pour le comprendre, c'est bien clair.

Il suffisait de regarder ce qu'ils avaient l'un et l'autre sous les yeux. Gloria et Darryl étaient deux personnes particulièrement différentes, ça ne faisait aucun doute, et pourtant, alors qu'ils parlaient plus longuement ensemble, ils se trouvaient naturellement des atomes crochus, même si et leurs goûts et leurs caractères étaient aux antipodes.

"Ou désagréables, ça dépend", répondit Gloria avec le sourire, amusée de prétendre jouer les pessimistes pour cette fois alors même qu'il semblait tout à fait établi que c'était là un rôle que le vert et argent tenait à la perfection et sans l'aide de quiconque. N'empêche que oui, toute cette variété, ça pouvait effectivement avoir de mauvais aspects. "Ce que je veux dire, c'est que tout serait plus simple pour tout le monde si on arrêtait tous d'être susceptibles et qu'on se contentait tous de dire ce qu'on pensait comme on le pensait quand on le pensait. Je dis ça mais je suis hyper-susceptible aussi, hein, mais quand même..."

Comme bien souvent, elle parlait pour ne pas dire grand chose, articulant directement tout ce qui lui passait par la tête. Est-ce qu'elle en voudrait à Darryl s'il le lui faisait remarquer ? Possible, possible, la preuve qu'elle était trop susceptible. Mais il le devrait sans doute, juste pour l'exemple et pour qu'elle arrête de jouer les pipelettes comme elle le faisait sans arrêt. Même si elle avait envie de croire Darryl quand ce dernier lui assurait qu'elle ne le dérangeait pas et qu'il aimait l'écouter bavarder, encore et encore.

“C’est vrai, ce ne serait pas déplaisant, d’enlever toute susceptibilité chez les gens, mais bon, ce n’est pas comme si cela pouvait arriver, alors il faut faire avec.”

Bien sûr, Darryl n'avait pas entièrement tort, il avait même totalement raison : on ne changeait pas le caractère des gens, ou du moins pas totalement, et certainement au point de faire disparaître un défaut inhérent à l'humanité de la surface de la Terre, mais l'adolescente n'aimait pas vraiment le fait de se dire que certaines choses ne peuvent pas changer, juste parce que c'est comme ça, et qu'il fallait faire avec. Ce n'était en rien son mode de fonctionnement, et elle serait bien incapable de raisonner de cette manière. En fait, si elle se contentait de se dire qu'il fallait "faire avec", elle déprimerait sévèrement.

Elle préférait croire que tout pouvait changer, y compris les mentalités, même si c'était sûrement une perte de temps, même s'il était probable de ne rien en retirer. C'était comme ça : Gloria était une grande optimiste devant l'éternel, et elle n'avait aucune intention de changer. Mais elle savait aussi que Darryl, de son côté, était un grand pessimiste devant l'éternel, alors son discours ne l'étonnait pas franchement. C'était à se demander comment ils faisaient pour s'entendre aussi bien. Et pourtant, c'était bel et bien le cas.

“ Et tu ne me parais pas si susceptible que ça.”

"Oh, tu dis ça parce que tu ne me connais pas encore assez et que tu es beaucoup trop gentil avec moi pour que je puisse prendre mal quoi que ce soit", répondit Gloria avec le sourire.

Susceptible, elle l'était, largement, ça ne faisait aucun doute. Disons que pour palier à ça, elle avait du moins le mérite de le reconnaître, ce qui était un début... mais ne changeait pas grand-chose au fait qu'elle était un exemple hors norme de susceptibilité, à un stade vraiment très avancé. Mais oui, Darryl avait son petit caractère, mais il était super adorable avec elle alors même qu'elle ne pensait pas avoir fait grand-chose pour le mériter.

"Tu verras le jour où tu diras le moindre truc de travers, je suis du genre à partir en vrille totalement, c'est vraiment pas joli à voir. Même les critiques constructives ou les conseils. Je sais bien que c'est pas méchant ou que c'est pour aider, mais c'est le genre de trucs que je prends super mal."

« Ouais… enfin je ne suis pas sûr que j’ai vraiment envie de te voir partir en vrille ceci dit. »

Gloria se contenta de répondre par un sourire. Qu'il le veuille ou non, ce n'était pas spécialement le genre de choses qu'on pouvait prévenir. Gloria était une fille nature et impulsive. Elle n'avait aucune intention de péter les plombs ou autre. Elle ne savait pas ce qu'elle avait fait pour mériter ça, mais Darryl avait l'air de la tenir en bonne estime, et clairement, elle n'avait pas envie de changer l'image positive qu'il avait d'elle, surtout parce que même s'ils étaient un peu le jour et la nuit, tous les deux, cette conversation prouvait qu'ils s'entendaient bien, et qu'ils pouvaient vraiment devenir de très bons amis.

Alors non, elle allait s'épargner de partir en vrille pour des broutilles, même si ce n'était pas dit qu'elle soit toujours dans les meilleures dispositions. Elle était comme tout le monde, après tout. Elle avait ses phases, ses coups de mou, ses moments de grâce. Elle était humaine, quoi.

« Personnellement je ne suis pas du tout susceptible. »

-Rien que parce que tu as dit ça, j'ai envie de tester si c'est vrai ou pas, répondit Gloria d'un ton amusé et farceur.

Elle le disait pour plaisanter, mais il y avait quand même du vrai dans tout ça. Elle aimait bien... pas pousser les gens à bout, mais en tout cas tester leur caractère. Surtout qu'elle aimait ça, les forts caractères. C'est pas ce qui lui faisait le plus de bien, parce que ça contrastait souvent avec le sien, de caractère, et que ça faisait des étincelles, et elle n'aimait pas non plus les têtes de cochon qui passaient leur temps à râler et à faire la gueule, mais elle aimait bien quand il y avait... un juste milieu, on va dire ?

-Y a vraiment aucun sujet qui te fait sortir de tes gonds ? ça je peux pas le croire, on a tous notre talon d'Achille.

Et dans le cas de Gloria, elle en avait clairement plus d'un, c'était le genre de choses sur lesquelles elle avait sérieusement besoin de travailler, parce que c'était relativement n'importe quoi.

« Eh bien… je ne sais pas vraiment si ça me fait sortir de mes gonds, mais je pense que le sujet qui est le plus susceptible de me toucher est tout ce qui est en lien avec mon père, mais ça ne me concerne pas directement. »

Gloria n'était pas spécialement d'accord avec ça, pour tout dire. Si ça concernait son père, alors ça le concernait aussi, quelque part. Admettre qu'on était impacté par des remarques qui supposément concernaient d'autres personnes, c'était reconnaître qu'on était soi-même sensibles à ces sujets, et donc qu'ils nous concernaient, pas vrai ? Gloria voyait les choses ainsi, en tout cas, mais sur le sujet, elle n'avait pas envie de trop insister, elle redoutait qu'il soit trop délicat et qu'elle mette, sans vraiment le vouloir, les pieds dans le plat. Déjà qu'en temps normal, c'était carrément son truc que de mettre les pieds dans le plat sans même s'en rendre forcément compte, si elle pouvait éviter de faire preuve d'une telle indélicatesse, bien évidemment elle le ferait, elle reconnaissait sans mal le fait que c'était, à l'évidence, préférable, il le disait lui-même. La curiosité de le voir sortir de ses gonds ne dépassait tout de même pas l'intention qu'elle avait de le voir être à l'aise en sa compagnie.

« Je veux dire, on peut bien me faire toutes les remarques du monde, venant de n’importe qui ça ne me fera ni chaud ni froid. »

-Je sais pas comment tu fais, souffla Gloria, qui était mi-curieuse, mi impressionnée par une telle information. Je suis absolument, mais alors absolument incapable de ne pas être touchée par ce que les autres pensent de moi, même les sombres crétins dont je devrais pourtant me ficher de l'opinion comme de ma première partie de bavboules.

Elle le disait en toute honnêteté. En compagnie de Darryl, elle avait d'assez grande facilité à présenter les choses comme elles étaient sans redouter l'image que cela pouvait bien renvoyer d'elle-même. Sans doute parce qu'elle avait l'impression que Darryl n'était pas du genre à la juger sur un coup de tête. C'était peut-être pour ça, même, d'ailleurs, qu'il était à ce point imperméable au jugement des autres.

-Et alors, quand c'est des personnes auxquelles je tiens et que j'estime, je t'en parle pas. Mais ceci dit, je trouve ça pas si mal. Elle haussa les épaules. Si je tenais jamais compte de l'avis des autres, comment je ferais pour m'améliorer, hein ?

« C’est normal de donner de l’importance à nos proches, c’est la même chose pour moi. »

Pour certains, Gloria avait le sentiment que ce n'était pas forcément inné pour autant, peut-être parce que même s'ils donnaient l'impression d'être très entourés, ils n'étaient finalement proches de personnes, ou incapables de ce genre de sentiment ou de ce genre de relation, Gloria avait souvent remarqué que les personnes les plus populaires étaient aussi bien souvent les plus distantes émotionnellement - enfin, c'était peut-être un peu facile comme interprétation, cela dit. En tous les cas, elle voulait bien croire que Daryl était plus proches des rares personnes qui l'entouraient que ne l'étaient ceux qui avaient tant de personnes pour graviter autour d'eux qu'ils n'avaient même plus conscience de leur chance en fin de compte.

« Mais tenir compte des avis de tout le monde, ce n’est pas forcément source d’amélioration. Cela peut parfois avoir l’effet inverse et semer plus le chaos qu’autre chose dans la vie de quelqu’un. »

"Oui, je sais pas... en même temps j'arrive pas non plus à ne pas écouter les avis des autres, ça me touche trop. Je crois que c'est un peu narcissique, mais j'ai envie de plaire à tout le monde, tu vois. Je sais que c'est pas possible, hein, je suis peut-être un peu égocentrée, mais je suis pas bête, mais quand je sens que je plais pas à quelqu'un, même si cette personne est un presque inconnu pour moi, ça va réussir à me toucher malgré tout. C'est dingue, pas vrai ? Je me l'explique pas trop. Parce qu'au fond, je sais que t'as raison, et qu'en fait, on a plus de chances de semer la discorde et la zizanie qu'autre chose, mais ce genre de détachement, bah j'y arrive pas."

Et là, Daryl devait clairement avoir l'impression de jouer les psys pour elle tant elle parlait pour ne rien dire. Elle n'était vraiment pas fière de cela mais elle avait du mal à faire abstraction malgré tout. C'était comme gravé en elle, elle avait la parlote, constamment, et même quand elle savait qu'elle y gagnerait à se taire, elle se sentait obligée de parler, comme si combler le silence était toujours une bonne idée. Sauf que non.

« Je ne sais pas si c’est vraiment dingue, mais peut-être que ça cache quelque chose de plus profond. »

Gloria haussa les épaules, pas parce qu'elle ne prenait pas la suggestion de Darryl au sérieux, mais justement parce qu'elle devinait que ça pouvait complètement être le cas, et si ça devait effectivement être le cas, elle n'était pas complètement sûre de vouloir totalement contempler le fond de ses pensées et déterminer ce qui était à l'origine de son caractère. Ce n'était pas quelque chose avec laquelle elle vivait si mal que cela au quotidien, après tout.

Et même, elle faisait avec sans trop de problème, et ça depuis sa plus tendre enfance. En revanche, le vert et argent avait forcément raison : il fallait parier que cela cachait quelque chose de plus profond, mais Gloria n'était pas vraiment sûre de vouloir savoir quoi plus précisément, elle n'était définitivement pas certaine de vouloir se plonger dans le fond de ses problèmes. Parfois, souvent, c'était quand même plus simple de laisser couler et de ne pas chercher plus loin. Surtout qu'en même temps, elle n'était pas si... mal dans sa peau ou dérangée non plus. C'était l'apanage de tout le monde d'avoir un petit quelque chose qui cloche, pas vrai ? Sans quoi on ne serait pas tout à fait humain.

« Je veux pas que tu penses que j’essaye de te psychanalyser, je pense que j’ai trop vu de psychologues et que je commence à parler comme eux. Mais ils auraient tendance à te dire que c’est peut-être un problème de confiance en soi. Pour se rassurer, on cherche l’approbation des autres. Mais c’est pas une science exacte, j’ai pas de confiance en moi et pourtant je me fiche de ce qu’on peut penser de moi. »

-Oh c'est vrai, t'as fréquenté des psychologues ? Je pensais pas..., fit Gloria, perplexe, en espérant tout de même ne pas mettre les pieds dans le plat. C'était comment ? Tu as l'impression que ça t'as aidé ?

Gloria s'étonnait de cette contradiction qu'affichait Darryl. Comment pouvait-on manquer de confiance en soi et en même temps se ficher de ce que les gens pensaient de vous ? Pour elle, il y avait comme une dissonance cognitive. Elle avait du mal à reconnaître que les deux puissent être compatibles.

-T'es vraiment un cas à part, toi, hein ? elle ajouta avec un léger rire. T'en fais pas, c'est un compliment.

« Peut-être un peu… je pense que c’est propre à chacun, et ça dépend aussi du psychologue qu’on a en face. Se livrer sans filtre, et avoir conscience qu’on peut être jugé même si ce n’est pas le cas, ce n’était pas toujours facile. »

Gloria parle trop, et certaines de ses questions ne sont pas très malines, elle s'en rend compte quand son interlocuteur lui fait remarquer avec évidence qu'aller voir un psychologue peut faire du bien, mais pas à tout le monde... Tout dépend en effet de notre réceptivité et de la personne que l'on a en face... Mais c'est aux yeux de Gloria une médecine nouvelle, et parce qu'elle est nouvelle, elle la trouve fascinante. Elle n'a pas d'opinion arrêtée sur la question, et elle s'en pose encore beaucoup, mais elle sait tout de même qu'elle doit calmer sa curiosité, cela vaut mieux, car cette dernière ne lui rendra pas toujours service, loin de là.

"Je vois... Je ne suis pas sûre que c'est quelque chose qui me conviendrait. J'aurais beaucoup trop l'impression que l'on rentre dans mon crâne", affirme-t-elle avec un sourire. "Et je pense que je rendrais mes psys dingues. C'est eux qui auraient besoin d'un psy après m'avoir vue", ajoute-t-elle avec humour.

Elle ne dit rien de tout ça très au sérieux, mais elle ne pense pas que ce soit forcément très faux ceci dit. Loin de là, même... Mais elle ne croit pas avoir besoin de voir un spécialiste. Elle est parfois excessive, mais elle s'estime quand même assez équilibrée mentalement.

« Un compliment vraiment ? »
"Oui, un compliment", réplique Gloria du tac-au-tac. Elle n'a pas envie que Darryl puisse s'imaginer quoi que ce soit d'autre. "Quoi ? ça te paraît si improbable que je t'en fasse un ?" Gloria rit doucement. "Je te trouve unique. Interprète-le comme tu veux."

« Je pense que d’autres personnes bien plus dingues que toi les ont déjà amené à consulter. Dans tous les cas, c’est sûr que les psys voient des psys. Je vois pas comment on peut encaisser tout le mal être des gens sans jamais s’en décharger. »

Gloria hausse les épaules. Elle n'a pas d'opinion forte sur le travail de psy, en réalité, puisqu'elle n'en a jamais consultés, mais oui, quand elle y pense, elle suppose que, pour leur équilibre mental, les psys ont plutôt intérêt à voir des psys, effectivement. Quant à elle, eh bien... C'est le genre de choses qu'elle ne sait pas trop gérer, parce que dans sa tête, c'est un vrai bordel, un bordel difficile à comprendre et à expliciter tant c'est absolument n'importe quoi en fin de compte.

Dans tous les cas, ça change pas grand-chose au fait qu'elle aurait tout de même peur qu'on lui rentre dans le crâne, ça ça change pas. Alors même si elle entend les conseils, il y a de fortes chances pour qu'elle ne les écoute pas. C'est que Gloria est du genre franchement borné... au-delà de bornée, même, et c'est insupportable, d'ailleurs.

« Eh bien… merci, je ne suis pas vraiment habitué à ce qu’on me fasse des compliments. En même temps, je ne fais vraiment trop rien pour. Toi aussi, tu es quelqu’un d’unique tu sais. »

Elle le sait, qu'il n'est pas habitué aux compliments. il chercherait à prétendre le contraire qu'elle ne le croirait pas, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Mais c'est justement pour cette raison qu'elle prend le soin et le temps de lui faire des compliments. C'est pour une bonne raison. Elle pense ce qu'elle affirme, par ailleurs. Oui, il est effectivement quelqu'un d'unique... et quand elle parle avec lui, elle se sent étrangement comprise, d'une manière qui la touche et qui surtout lui fait le plus grand bien.

"Je sais", répond Goria avec un sourire taquin avant de donner à Darryl un léger coup de coude. "Et heureusement d'ailleurs. Imagine qu'il y en ait deux comme moi ? Le monde s'en remettrait jamais."