Il n'y avait rien de plus insignifiant qu'une salutation de ce genre, un simple mot, prononcé qui plus est avec cette neutralité de ton qui caractérisait toujours, et en n'importe quelles circonstances.

Oui, c'était insignifiant, et pourtant. En l'entendant, et en le voyant s'avancer vers elle, elle sentit un frisson lui traverser l'échine. Pas ce genre de froid causé par la peur (ça elle ne le ressentait jamais en la présence de Tom, ce qui pouvait sembler singulier), mais ce qu'elle identifiait comme l'une des réactions physiques à ses sentiments.

Elle l'aimait trop. Au centuple de la façon dont lui-même l'aimait (car elle osait encore espérer qu'il l'aimait quand même, au moins un peu). Elle eut tout le mal du monde à regrouper la volonté nécessaire pour esquiver le geste qu'il venait de faire afin de l'embrasser.

Elle croisa les bras, c'était la seule parade qu'elle connaissait, il était plus facile d'avoir le contrôle sur sa gestuelle que sur l'expression de son visage qui, faute de parvenir à être véritablement sévère, était au moins fermé.

"Salut." répliqua avec le plus de froideur possible.

Elle n'osait pas croiser son regard. Elle savait qu'elle céderait d'elle-même si son regard en venait par mégarde à croiser le sien, elle perdrait définitivement toute sa volonté. Il fallait qu'elle tienne le coup, au moins le temps de lui dire tout ce qu'elle avait sur le cœur.

"Je... je voulais te voir parce que..." Elle avait tout le mal du monde à ne pas bredouiller. Il ne faisait rien, ne disait rien, mais déjà il l'intimidait, même après avoir passé tout ce temps avec lui, elle n'était toujours pas capable de le traiter en égal. Ne pas le mettre sur un piédestal lui était tout simplement impossible. "Il faut qu'on parle."

Y'avait-il phrase plus clichée que celle-ci ? En même temps, les faits étaient là, ils avaient à parler, et à parler sérieusement, restait à savoir comment aborder les choses, et obtenir de la part de son petit ami les réponses sans qu'il parvienne à les esquiver.

"Je veux savoir ce que tu me caches, et je ne veux pas que tu me dises que ce n'est rien. Je sais qu'il se passe quelque chose avec Daniel, Olive, Vincent... Et tu me délaisses pour eux." Elle baissa les yeux sur ses chaussures. "Enfin, si je t'ai seulement intéressé un jour..."

Il y avait une légère amertume dans sa voix. Qu'y avait-il d'étonnant au fait qu'elle se montre jalouse d'Olive quand celle-ci passait bien plus de temps avec son petit ami qu'elle-même. Elle n'était pas duppe, elle comprenait que quelque chose se passait sous son nez, et qu'on la laissait à l'écart.

...Et elle ne voulait pas être laissée de côté. Lou souffrait d'un complexe d'abandon qui ne nécessitait pas grand chose pour la faire sombrer. D'ailleurs, s'il advenait qu'il refusait de lui répondre, si elle avait le courage de mettre fin au peu de relation qu'ils partageaient, elle n'était pas certaine qu'elle s'en remettrait...

Une voix doucereuse, un ton qui tenait de l'excuse. Pourquoi fallait-il qu'il sache toujours si bien s'y prendre avec elle ? Il n'avait prononcé que son nom, et elle se sentait déjà prête à se confondre en excuses. Et pourtant, ce n'était pas elle qui avait quelque chose à se faire pardonner.

Elle ne savait pas lui résister. Ça avait été son problème, et ce dès leur rencontre, avant même qu'ils sortent ensemble. Elle avait perdu tous ses moyens la première fois qu'elle l'avait vu. Rien n'avait changé depuis. Au moindre mot de sa part, elle se sentait prête à accourir auprès de lui.

Elle lui pardonnerait tout. Elle l'aimait de l'amour le plus naïf qui soit au monde, atteinte de l'abrutissement le plus total, aveuglée par son affection non réciproque. L'amour a ses raisons que la raison ignore, dit-on. Dans le cas de Lou, l'amour avait vaincu sa raison depuis longtemps, l'avait réduit en miette en même temps que sa faible estime d'elle-même.

Et plus il s'approchait d'elle, plus il était difficile de le rejeter. Tomber dans ses bras et décider de ne finalement pas vouloir d'explications semblait être une alternative tellement plus simple, à cet instant ! Mais elle su se résigner, elle attendit qu'il continue de parler, ce qu'il fit.


Lou écarquilla légèrement les yeux. Elle connaissait de Tom, à force de le fréquenter, cette fierté qui échappait peut-être aux autres.

Il aimait plus que tout avoir raison... et Merlin, il avait presque toujours raison, admettre ses torts, c'était quelque chose qu'elle ne l'avait jamais vu faire. S'excuser auprès d'elle moins encore. Et pourtant, il venait de lui dire qu'il était désolé, et mieux encore, il semblait être ce qu'il y a de plus sincère.

Lou se contenta de hocher légèrement la tête. Oui, il n'avait pas été là pour elle. Qu'il l'admette l'apaisait, la soulageait. S'il prenait la peine de s'excuser, ce devait vouloir dire qu'il ne voulait pas que tout s'arrête ? Elle-même n'avait pas la moindre envie que leur relation, si malsaine soit-elle, s'interrompe si brusquement.

Elle avait besoin de lui à ses côtés, même si c'était une mauvaise chose, et même si être avec lui lui faisait certainement plus de mal que de bien. Il était comme ces drogues douces qui finissaient par provoquer en vous une violente accoutumance, elle ne saurait plus vivre sans lui.


Lou fronça les sourcils. Il venait, d'un coup d'un seul, de soulever de nombreuses interrogations. Elle avait émit plusieurs hypothèses quand à ce qui se passait. L'idée assez étrange, mais pas si absurde d'une société secrète qu'il aurait fondé en faisait partie. Mais de quels dangers parlait-il ? Était-ce véritablement grave au point qu'il ait préféré la laisser de côté ?


Nul doute possible, il la caressait dans le sens du poil. Et cela fonctionnait à merveille, à vrai dire. Elle se sentit une importance nouvelle, et des plus agréables.

"Si tu penses que le danger me fait peur, tu te trompes. Et de quel danger tu parles, exactement ?" Elle marqua une légère pause avant d'ajouter. "Tu sais bien que je serais capable de tout, pour toi."

À ces quelques mots, Lou vit ses craintes confirmées. Le geste de Tom n'avait pas été une simple démonstration d'affection, ne serait-ce que le supposer était de la plus grande des naïvetés.

Elle devait quand même reconnaître qu'il faisait preuve d'une tendresse ce qu'il y a de plus réconfortante. Elle sentait son cœur battre la chamade au creux de sa poitrine. C'était absurde, c'était idiot, mais elle avait le sentiment qu'ils avaient atteint un degré d'intimité jamais acquis jusqu'alors.

Elle approuva d'un léger signe de tête, ça façon à elle de dire qu'elle était prête. À la vérité, elle n'était pas sûre de l'être. Elle ignorait à quel seuil de douleur elle allait être exposée, et étant une jeune fille douillette, elle ne doutait pas qu'elle aurait mal.

Elle ferait tout de même tout ce qu'elle pourrait pour ne pas trop montrer de son inconfort. Elle serra les poings, serra les dents, se retint juste de fermer les yeux, et attendit.

Il posa la pointe de sa baguette sur son avant-bras, elle ressentit aussitôt une chaleur intense, un brûlure, même, comme s'il venait de la marquer au fer rouge.

Elle comprit, en découvrant le motif sur son bras, qu'elle n'était pas loin de la vérité.

C'était comme un tatouage, un tatouage morbide, et fascinant en même temps. Lou, comprenant qu'elle le garderait à vie, ressentit un mélange de crainte et d'excitation.


Il portait bien son nom, ce crâne entremêlé de serpents, elle se doutait qu'il devait s'agir de l'emblême de son groupe, un emblême bien choisi, à l'image de celui qu'elle aimait.

Lou approuva d'un signe de tête. Elle était curieuse de savoir à quoi ces réunions ressemblaient. Elle aurait voulu savoir combien il y en avait eu, de quoi il avait été question...

Elle se posait beaucoup de questions, mais elle préféra les garder pour elle. Chaque chose en son temps, elle supposait que ce qu'elle ne savait pas, elle l'apprendrait plus tard. Il était hors de question pour elle que d'accabler son petit ami d'interrogations. Elle ne voulait pas qu'il la trouve trop pressante, trop encombrante. Il l'acceptait dans son clan, la moindre des choses, pour elle, était de faire profil bas.

Il n'y avait qu'une seule question qu'elle ne voulait pas ignorer, et qu'il était sûrement nécessaire qu'elle pose, afin qu'elle sache comment agir à l'avenir.

"Est-ce que tu veux que je fasse quelque chose en particulier ?"

Elle se doutait qu'il devait avoir une idée précise de ce qu'il attendait d'elle. Elle supposait qu'ils avaient tous un rôle précis, une tâche à accomplir. Elle ne dérogerait pas à la règle, elle ne le voulait pas. Elle comptait bien être logée à la même enseigne que tous les autres.

Lou baissa les yeux sur ses chaussures. Elle ne savait pas si elle devait se réjouir de cette réponse ou se montrer déçue.

D'un côté, elle était plutôt satisfaite de cette remarque, elle voulait rendre service, mais conserver un peu de ce qu'il lui restait d'innocence pour le moment ne la dérangeait pas. Plus tard elle aurait une tâche importante à accomplir, plus tard elle aurait une chance de faire des gaffes.

D'un autre, elle était quelque peu vexée. Ne la sentait-il pas directement capable de répondre à ses demandes... Enfin, il se pouvait effectivement qu'il ait raison. Elle n'entendait, par exemple, rien à la magie noire, et elle se doutait bien qu'il faudrait qu'elle en sache davantage avant de pouvoir se montrer vraiment utile.

Enfin, si ça devait attendre, si Tom lui disait qu'elle devait attendre, alors elle le ferait, patiemment, et sans insister.



Lou fronça les sourcils. Les six nouveaux ? Ceux qui étaient arrivés en début d'année ?

Il y avait tant de questions que, tout à coup, elle aurait voulu poser. Elle ne comprenait pas d'où lui venait cet intérêt particulier pour ces six adolescents. Ils n'avaient rien de particulier, aux yeux de Lou, même s'ils avaient la fâcheuse habitude de lui adresser de désagréables regards de compassion à chaque fois qu'elle les croisait.

Comme elle ne pouvait rien faire d'autre que d'approuver quoi qu'il en soit, elle hocha la tête.

"D'accord, je ferai tout ce que tu voudras."

Et c'était on ne peut plus vrai. Elle aurait toujours tout fait pour Tom, et ce depuis qu'elle l'avait rencontré.



Lou se retint d'afficher une moue quelque peu déçue. Fausse excuse ou non, elle n'avait de toute façon pas à contester les actes de son petit ami. Elle ne pouvait donc que le laisser filer. Elle pouvait déjà être satisfaite qu'il lui ait accordé autant de son temps.


« On se revoit très vite, d'accord ? »

Lou opina du chef, savoura le baiser trop court que Tom déposa sur ses lèvres, et le laissa s'en aller, choisissant elle-même de passer encore un peu de temps sur le toit, le temps de réfléchir, d'admirer le paysage, mais aussi et surtout de se faire à la marque qui noircissait désormais et à vie son avant-bras.