Lou avait longtemps accordé une grande valeur à l’amitié, pas forcément pour les bonnes raisons, au passage. Elle sentait que c’était important, parce qu’il n’est jamais agréable d’être seul, et que la jeune femme, pour sa part, avait toujours craint de l’être seule. Pour elle, avoir des amis, c’était suivre, accepter, c’était appartenir à un groupe, tenter de se définir des affinités par crainte de demeurer seule.

Mais quelque chose avait changé en elle, radicale, définitive, et elle comprenait qu’elle s’était trompée. Et peut-être que, en fin de compte, elle n’en avait jamais vraiment connues, des amitiés véritables. Elle constatait qu’elles ne lui apportaient rien, ces amitiés, elles avaient plutôt, même, eu tendance à la destituer de son identité. Et si elle était finalement une solitaire dans l’âme ? Elle ne l’avait seulement pas réalisé plus tôt. Et c’était quelque part du gâchis, car la solitude n’était plus si effrayante quand on apprenait à l’apprivoiser. Et ces derniers temps, Lou se sentait très souvent seule, elle avait plus d’une occasion de se familiariser avec elle, cette fameuse solitude.

Il avait fallu sa rupture avec Tom, il avait fallu qu’Ines quitte Poudlard pour qu’elle s’en rende pleinement compte. Elle n’avait plus personne dans l’ombre de qui lâchement se réfugier. Elle aurait pu en décider autrement, elle aurait pu s’abriter derrière une autre individualité qui savait mieux s’affirmer qu’elle-même. Mais elle n’en avait rien fait, elle avait décidé que c’était l’occasion, son occasion.

Ne plus dépendre au quotidien d’autrui, c’était tout à coup être à l’écoute de soi. Et elle, alors, de quoi elle avait envie ? Qu’est-ce qu’elle désirait ? Quels choix voulait-elle faire ? Tout était flou encore, mais elle s’en faisait une idée de plus en plus juste. En faisant le tri entre ce qu’elle pouvait bien souhaiter, et ce qu’elle ne voulait surtout plus.

Souvent, la tentation était grande de se réfugier derrière ses anciennes habitudes : aller trouver Inès et lui dire qu’elle lui manquait, qu’elle s’en voulait pour leurs disputes, aller trouver Tom et lui dire qu’elle l’aimait, parce que oui, elle l’aimait toujours, ce qui était stupide, ce qu’elle savait être stupide, mais les sentiments étaient idiots. Elle ne ferait rien. Aucune de ces deux choses. S’il fallait vraiment que ça se passe comme ça, eh bien elle choisirait son propre poison, dorénavant.

Elle avait fait le tri dans ses idées et dans sa vie. Grâce à Aaron, elle savait où elle devrait se rendre, et surtout, elle savait ce qu’elle ferait, dès qu’elle aurait quitté Poudlard : elle allait abandonner les mangemorts, qu’importe les risques, tant pis si cette décision était comme un arrêt de mort signé de sa main. Elle aurait choisi. Choisir… pourquoi est-ce qu’elle avait le sentiment de faire ça pour la première fois.

Elle faisait aussi le tri dans ses relations. C’est pour cette raison qu’elle ne parlait presque plus Inès, sauf dans les occasions où elle n’avait pas d’autre choix, et elle voulait maintenant renoué avec ces quelques rares amis dans l’ombre de qui elle ne s’était jamais réfugiée, qui pouvaient lui apporter quelque chose de bénéfique. C’était dans cette idée qu’elle avait proposé à Evangéline de la rejoindre aux Trois-Balais, et qu’elle l’attendait à présent, attablée devant sa choppe de bièraubeurre.

Evangeline n'était pas femme à abandonner facilement les causes qu'elle pensait juste, mais en ce qui concernait les amis, c'était autre chose. Plus à l'aise dans le silence et les bouquins, elle n'avait que peu de relations autres que professionnelles. Si quelques rares exceptions étaient possibles, c'était uniquement avec d'autres personnes comme elle, aptes à rester calmes et à respecter son besoin de solitude. Parce qu'elle n'était pas du genre à courir après les gens qui ne voulaient pas d'elle, Eva n'avait pas jugé nécessaire d'entretenir la faible amitié qu'elle avait autrefois ressentie pour Lou Hamilton. De plus, avec toutes ses nouvelles obligations dans la résistance, l'ancienne serdaigle n'avait pas vraiment une minute à elle. Encore moins pour les accorder à une personne n'ayant pas voulu garder contact.

Pour ces multiples raisons, Eva s'était donc retrouvée dans la plus grande des surprises en recevant l'invitation de Lou à aller boire un verre aux Trois Balais. Sa première réaction fut de se demander si l'ancienne serpentard voulait quelque chose d'elle qui nécessite une entrevue forcée. Et puis, elle s'était souvenue que son " amie " était séparée de son petit-ami psychopathe à présent. Cela avait-il un rapport ? Étant donné la situation et les possibilités s'offrant à elle...Evangeline ne pouvait pas vraiment refuser l'invitation. Qui sait, peut-être que Lou serait disposée à neutraliser Tom. Elle se rendit donc au pub, quelques minutes en retard afin d'être sûre que Lou serait déjà présente. Simple précaution. Un peu sur la défensive, elle pénétra dans la grande pièce bruyante et chaleureuse. Son regard accrocha immédiatement la silhouette de la petite brune et elle s'avança vers elle.

« Bonjour Lou. Pardon pour le retard. » Dit-elle posément.

Qu'elle ait des soupçons ou pas, Eva ne savait pas être grossière. Pas même avec une fille qui l'avait outrageusement ignorée pendant longtemps à cause de ses mauvaises fréquentations. Malgré tout le mal qu'elle pensait de Tom ou d'Ines...elle était prête à pardonner à la jeune femme si elle se montrait sincère et honnête avec elle. Après tout, bien que poussée par la logique et la justice, Evangeline n'était pas un monstre insensible et le visage de son ancienne amie lui rappela plusieurs souvenirs agréables.

Quand Evangéline passa la porte des Trois-Balais et croisa son regard, Lou se demanda aussitôt si elle avait bien fait, si c'était réellement une bonne idée de sa part de lui avoir donné rendez-vous, si elle n'aurait pas mieux fait d'en demeurer à la résolution de se contenter d'une solitude salvatrice.

Elles ne s'étaient pas parlé depuis un moment. Peut-être était-ce de la faute de Lou, sans doute, même. S'il était plus simple de se voir quand elles étaient encore à Poudlard, c'était une autre affaire à présent que l'ancienne bleue et bronze avait quitté le château, et, il faut bien le dire, Lou avait été égoïste, elle avait préféré se concentrer sur ses propres problèmes, sur ses propres envies, sur ses propres résolutions plutôt que de refaire un pas immédiat vers elle ?

Peut-être que, au fond, Eva n'avait plus la moindre envie de lui parler, tout simplement. Qu'elles aient eu de véritables affinités était peut-être un exploit en soi, mais rien qui soit destiné à durer. Lou était convaincu qu'une amitié telle que celle qu'elle lui portait serait bénéfique, mais elle agissait en égoïste en pensant cela, quelque part. De quel droit se permettait-elle de décider à elle seule de ce qui devait se faire d'un commun accord.

D'un autre côté, peut-être se posait-elle juste trop de questions, Eva avait à peine eut le temps de s'installer à sa table que le cerveau de la vert et argent carburait déjà à mille à l'heure, envahi de pensées diverses, pour la plupart culpabilitante. Forcément, puisqu'elle n'avait pas confiance en elle, elle ne s'attendait pas à ce que les autres aient à son égard l'estime que pour sa part elle ne savait pas avoir envers sa propre personne.

« Bonjour Lou. Pardon pour le retard. »

"Tu n'as pas à t'excuser", répondit-elle dans un fin sourire, fin ou, mais sincère tout de même. "Merci d'être venue."

Ce ne serait peut-être pas réciproque, mais Lou était contente de retrouver Eva. C'était peut-être l'une des meilleures personnes qu'elle ait jamais côtoyée. Et c'était sans doute pour cela aussi qu'elle considérait ne pas forcément mériter son amitié, même si elle tentait quand même de la raviver.

Elle se disait que ses paroles étaient peut-être un peu trop formelles, mais elle ne savait pas exactement quoi dire. Elle se sentirait presque un peu gênée, à la vérité (en même temps ce n'était pas une nouveauté pour elle). Qu'Evangéline s'excuse pour son retard, ça lui donnait le sentiment que leur rencontre devait être quelque chose de formel, et ce n'était pas ce qu'elle voulait. Mais en même temps, on a que ce qu'on mérite. Elle aurait dû être plus présente pour elle, et ça elle en avait bien conscience.

"Comment tu vas ?"

C'était une bien maigre entrée en matière, mais elle n'avait pas trouvé mieux. Et cette question l'intéressait vraiment, au demeurant.

Consciente que son approche n'était pas des plus familières, Evangéline n'arrivait néanmoins pas à en trouver une qui puisse franchir ses lèvres sans être totalement forcée. Cette fille qu'elle avait devant les yeux ne ressemblait pas à la Lou qu'elle avait connue et même si cela pouvait être un bon signe, la jeune femme rencontrait des difficultés à lui accorder à nouveau sa confiance. Assise bien droite, elle fixait son ancienne amie dans l'attente d'une explication. Elle ne réagit pas vraiment quand Lou la remercia d'être venue. A vrai dire, elle n'était pas encore certaine de ne pas le regretter. Seul l'avenir de cette entrevue saurait le dire, et c'est pour cette incertitude qu'elle avait fait l'effort de se déplacer. Pour cela seulement. La question plus familière que son ancienne amie lui posa alors la désarçonna un peu. Clairement, elles n'en étaient pas encore au stade des confessions honnêtes. Evangeline lui répondit donc en conséquence.

« Je crois que je vais aussi bien que la vie me le permet. Et toi ? Tu as meilleure mine qu'avant. »

Elle se retint de justesse d'ajouter que peut-être cela venait-il du fait que sa mine précédente était toujours cachée dans l'ombre de son odieux petit-ami. L'agresser immédiatement n'était pas la solution, même s'il devenait évident que ce genre d'explications n'allaient pas pouvoir être évitées bien longtemps. Eva n'était pas du genre à mâcher ses mots ou cacher ses pensées. Certains pourraient la dire trop honnête. Elle préférait le terme " juste ". Car au fond, ce n'était que justice d'admettre ce qu'elle pensait franchement de Lou, sans aucun artifice. Seule une base saine saurait sauver leur relation passée. Si du moins il restait en effet quelque chose à sauver là-dedans.

« Je vais commander un chocolat chaud avec de la guimauve et plein de crème fouettée. Et toi, tu veux quelque chose ? C'est moi qui offre la première tournée. »

Même si la tentative d'alléger l'air autour d'elles n'était pas très subtile pour le coup, au moins on ne pouvait pas lui reprocher de ne pas avoir fait d'efforts. Dans la mesure du possible, Evangéline était en train de donner tout ce qu'elle avait de patience envers Lou. Pourvu que la suite des événements soit plus légère.

« Je crois que je vais aussi bien que la vie me le permet. Et toi ? Tu as meilleure mine qu'avant. »

Elle "croyait" qu'elle allait aussi bien que la vie le permettait.. Le choix des mots avaient leur importance, et elle relevait bien que si Evangéline utilisait une telle formule, c'est qu'elle ne devait pas aller aussi bien que cela... Ou bien c'était juste parce qu'être ici l'incommodait.

Elle commençait à se dire que cette rencontre n'était peut-être pas une bonne idée. Elle avait vraiment eu envie de retrouver un moment agréable et complice avec elle, mais une tension réelle semblait palpable autour d'elles, ou bien c'était elle qui était paranoïaque. Ce qui était très possible aussi.

Elle parvint à esquisser un pâle sourire quand Evangéline observa qu'elle avait meilleure mine. Elle n'en savait rien, parce qu'elle ne s'était pas regardée dans un miroir depuis bien longtemps (ou ne s'était pas assez attardé devant son reflet, surtout, pour avoir observé la différence), mais elle avait bien envie de croire qu'elle avait meilleure mine, parce qu'elle allait mieux, en effet. Elle se sentait plus en accord avec sa vie, grâce à ses nouveaux choix, ses nouvelles résolutions, même si tout n'était pas fait, encore.

« Je vais commander un chocolat chaud avec de la guimauve et plein de crème fouettée. Et toi, tu veux quelque chose ? C'est moi qui offre la première tournée. »

Lou afficha un sourire, elle avait envie de croire que cette phrase était une amorce comme une autre, une manière de détendre l'atmosphère, et ça ne lui déplaisait pas de penser comme ça, même si elle allait sûrement devoir prouver à son amie qu'elles pouvaient s'entendre de nouveau, et passer un vrai bon moment ensemble.

"Tu m'a mis l'eau à la bouche avec ton chocolat chaud", dit-elle alors afin de lui faire comprendre qu'elle prendrait la même chose qu'elle. "Mais je paye les prochaines tournées, dans ce cas." Parce qu'il ne manquerait plus qu'en plus de passer pour une mauvaise amie, elle passe pour une mauvaise payeuse. "Et pour répondre à ta question, je vais bien, oui. Je vais mieux." Même si elle n'avait jamais avoué avant cela qu'elle allait mal, parce qu'elle n'osait même pas le reconnaître pour elle-même, pourtant, elle ne s'était jamais sentie aussi libre qu'à présent. "J'ai fais... pas mal de tri dans ma vie, dernièrement. Je crois que ça m'a fait du bien." Elle marqua une pause, hésita. "Désolée... je sais que je n'ai pas été... une bonne amie."

Eva fut un peu désarçonnée quand Lou se mit à se confier naturellement après avoir confirmé qu'elle prendrait la même boisson qu'elle. En effet, elle avait l'air d'aller " mieux " et la serdaigle n'avait pas vraiment de doute quand à l'origine du fameux " tri " dans la vie de son ancienne amie. Elle hésita d'ailleurs à enchaîner sur le sujet " Jedusor " mais elle se dit qu'il était encore un peu tôt pour cela. Autant préparer le terrain avant de foncer dans le tas. D'autant plus qu'il restait l'histoire des excuses à régler. Excuses que Lou se mit à énoncer comme si elle avait lu dans les pensées d'Evangeline. La tournure de phrase qu'utilisa la brunette déplut un peu à ses oreilles, ce qu'elle ne cacha pas. Ses lèvres grimacèrent légèrement.

« Non en effet. Tu ne l'as pas été. Mais je préfère croire que tu étais sous une très mauvaise influence. » Répondit-elle sans prendre de pincettes.

Si Lou espérait qu'Eva lui fasse le cadeau de faire l'hypocrite en sortant des phrases toutes faites comme " ce n'était pas ta faute " ou " il n'y a rien à pardonner ", c'était qu'elle ne la connaissait vraiment pas. Sans colère ni rancœur, la jeune femme disait ce qu'elle pensait sans filtre, tout simplement. Ce serait malhonnête d'essayer de minimiser sa faute. Elle avait fait une erreur et elle devait l'assumer pour avancer. En agissant ainsi, Evangeline prenait le risque d'être cruelle et froide, mais en vérité elle agissait comme beaucoup de gens auraient du le faire avec Lou. Les mensonges hypocrites avaient ponctué son quotidien au point de l'y perdre. Ce dont elle avait besoin maintenant - et sur ça Eva n'avait aucun doute - c'était que quelqu'un soit honnête au risque d'être blessante. Ne pas faire de cadeau, ni de cachotteries.

« Ca ne veut pas dire que je ne t'aime plus. Disons simplement que je me voyais mal te dire que ça ne m'a rien fait. »

Une serveuse passa et prit leur commande, accordant aux demoiselles un instant pour penser à autre chose que leur conversation. Une fois de nouveau seules toutes les deux, Eva plongea son regard dans le sien comme pour la sonder.

« Tu as enfin compris que tu t'entourais des mauvaises personnes. C'est un premier pas dans la bonne direction. »

« Non en effet. Tu ne l'as pas été. Mais je préfère croire que tu étais sous une très mauvaise influence. »

Bon, au moins, ça avait le mérite d'être franc. En même temps, Lou n'en attendait pas moins d'Evangeline, et c'était notamment pour cette raison que la jeune femme avait tenu à renouer avec elle, parce qu'elle avait le mérite d'être honnête et que Lou avait le sentiment que c'était une vertu rare, pour ne pas dire en voie de disparition... et elle-même ne faisait pas exception à la règle.

Pour ce qui était d'avoir été sous très mauvaise influence, elle était du même avis, même si elle ne considérait pas que cela pardonne tout. Elle pouvait bien accuser Tom et Inès de tous les maux de la terre, prétendre qu'elle devait leur comportement qu'à leur seule présence dans son sillage, mais ce n'était pas le cas. Elle n'avait pas envie de se dédouaner de ses actes ou paroles passés. Elle avait juste envie de faire table rase et de repartir sur des bonnes bases, voilà tout.

« Ca ne veut pas dire que je ne t'aime plus. Disons simplement que je me voyais mal te dire que ça ne m'a rien fait. »

Lou l'écouta sans rien dire et sans même se vexer. Evangéline n'avait pas besoin de se justifier ni quoi que ce soit d'autre, elle devait se contenter de dire ce qu'elle pensait, et elle le faisait. Lou n'en attendait pas plus, ni moins, elle ne demandait que ça. Et elle obtenait que ce qu'elle voulait.

Elle savait bien que cette discussion ne serait pas une partie de plaisir. Mais en même temps, elle avait besoin de se faire remonter les bretelles. Et c'était gagné. Maintenant, elle espérait qu'Evangéline n'aurait pas le même comportement que tous les autres, à la prendre de haut sans comprendre qu'elle avait déjà évolué, qu'elle n'avait pas besoin de pointer du doigt ses erreurs, elle les avait déjà comprises.

« Tu as enfin compris que tu t'entourais des mauvaises personnes. C'est un premier pas dans la bonne direction. »

Elle hocha la tête. Elle n'avait pas besoin qu'on le lui répète, elle le savait. Mais soit, elle l'avait cherché, en fin de compte.

"Exactement", se contenta-t-elle de dire sans insister sur le sujet. Elle n'avait pas envie de passer des heures là-dessus. Même si elle pensait avoir fait les bons choix, ça lui faisait mal de ne plus être avec Tom, d'avoir perdu Ines, deux personnes qu'elle avait si profondément aimées.

"Alors, dis-moi, quoi de neuf ?"

Elle était là pour essayer de renouer une vieille amitié, pas pour retourner le couteau dans la plaie.

Nullement dupe face au brutal changement de sujet de conversation, Eva ne s'en formalisa cependant pas. Il était inutile de rentrer dans le tas en devenant insistante. En bonne serdaigle, elle préférait une approche plus subtile et réfléchie. Loin d'avoir les idées embrouillées par leur amitié - si tant est qu'on puisse encore définir leur relation comme telle - elle n'avait pas l'intention d'abaisser ses remparts de défense face à Lou. A présent, Eva savait qui était réellement Tom et sa charmante petite bande de sorciers élitistes. Comment faire confiance à Lou, qui non contente d'avoir participé à tout cela de près ou de loin, gardait en plus tous leurs secrets alors même qu'elle disait ne plus rien leur devoir ? La réponse était toute trouvée : elle ne pouvait pas. Pas encore en tout cas. La méfiance d'Eva était pleinement justifiée, combien même elle n'en montrait pas encore toute l'étendue à Lou.

« Je cherche du travail au ministère et je me suis fait de nouveaux amis intéressants. » Répondit-elle, aucunement décidée à rentrer dans les détails pour le moment.

Dorénavant un membre à part entière et investi de la résistance, Eva ne pouvait pas parler à la légère de ses nouveaux camarades et encore moins de leurs activités. Les boissons arrivant enfin à leur table offrirent à Eva une occasion rêvée de détourner l'attention de Lou de cette conversation risquée.

« J'en rêvais ! Tu m'en diras des nouvelles. » Dit-elle sur un ton réellement enjoué.

Cette boisson figurait parmi ses favorites. Elle trempa ses lèvres dedans avec une joie non dissimulée et se badigeonna par la même occasion sa lèvre supérieure et le bout de son nez de crème fouettée. Gênée, elle attrapa sa serviette et se débarbouilla avec le plus de dignité possible. Mais trêve de sucreries immensément trop caloriques, Eva n'en avait pas fini avec son " amie " et pour lui tirer les vers du nez, il allait falloir abaisser quelques barrières malgré tout. Rebâtir les fondations d'une amitié.

« Écoute... Je suis désolée que ça n'ai pas marché comme tu le désirais. Mais je suis contente de retrouver mon amie. Tu m'en veux pas trop de profiter de ton malheur ? » Déclara-t-elle en la regardant dans les yeux.

Quelque part, Eva ne mentait pas. Son amie lui avait manquée terriblement. A vrai dire, elle lui manquait toujours, car cette fille avec laquelle elle était en train de papoter en dégustant une boisson chaude, ce n'était pas vraiment la Lou qu'elle avait connue. Quelque chose la rattachait toujours aux mangemorts. Mais quoi exactement ? Hormis, bien sûr, quelques secrets sombres au point de donner la chair de poule.

« Je cherche du travail au ministère et je me suis fait de nouveaux amis intéressants. »

Voilà qui suscitait un grand nombre de questionnements dans l’esprit de Lou. Evangéline avait fait simple et concis, mais la vert et argent n’aurait pas été contre plus de précisions. Quel genre de travail au ministère ? Dans quel département ? Le ministère concernait tant de branches différentes que cette seule réponse lui laissait un petit goût insatisfait en bouche.

Même si du reste elle n’était pas surprise de savoir que la jeune femme cherchait du travail, ce que s’épargnait de faire la grande majorité des femmes de leur génération : elle était forte, indépendante, fonceuse, sûre d’elle, le genre à ne laisser personne d’autre qu’elle-même décider de son destin. Le genre de personnalité qu’elle admirait, qui l’inspiraient, et dont elle avait vraiment besoin de s’entourer.

Sur ses nouveaux amis intéressants aussi, elle avait plein de questions. Quels amis ? Qu’est-ce qui les rendait si intéressant ?

Un nombre incalculable de questions à poser freiné par l’intervention du serveur qui déposa les boissons devant elles. Les fameux chocolats chauds, donc. Lou observa sa tasse avec un mélange de curiosité et de circonspection. Ce qui est sûr, c’est que ça sentait bon.

« J’en rêvais. Tu m’en dirais des nouvelles ! »

Lou esquissa un sourire en réponse avant de tremper ses lèvres dans le fameux breuvage.

Et Merlin, c’était effectivement délicieux. Lou aurait bien fait un commentaire à ce sujet, d’ailleurs, mais Evangéline avait repris la parole, prononçant quelques mots qui savaient être à la fois agréables et douloureux.

« Ecoute, je suis désolée que ça n’ait pas marché comme tu le désirais. Mais je suis contente de retrouver mon amie. Tu ne m’en veux pas trop de profiter de ton malheur ? »

Lou parvint à esquisser un nouveau sourire malgré tout. Est-ce que les choses n’avaient pas marché comme elle le désirait ? En un sens non, parce que justement, son problème était qu’elle ne désirait rien. Elle se protégeait dans l’ombre de ceux qui lui permettaient de ne pas songer à ses propres rêves, à ses propres désirs… Elle savait que ça finirait comme ça. C’était douloureux, oui, mais elle ne voulait pas revenir en arrière.

"Je ne suis pas vraiment malheureuse, tu sais… Juste un peu déprimée", répliqua-t-elle, ce qui lui semblait bien résumer sa situation. Elle était sûre de ses choix, vraiment. Mais oui, Tom lui manquait, Ines lui manquait, c’était comme ça. Mais ça passerait… "Et je suis contente aussi de retrouver mon amie." Elle marqua une pause, son sourire se fit un peu plus amusé. "Même si je ne suis sans doute pas aussi intéressante que tes fameux nouveaux amis."

Juste une façon de lui faire comprendre qu’elle n’avait pas occulté les premiers mots qu’elle avait prononcés si facilement.

A dire vrai, Eva ne cherchait pas uniquement du travail au ministère comme elle l'avait annoncé à Lou. Grace à ses nouveaux contacts, elle allait aussi avoir la possibilité de postuler à la Gazette du Sorcier. Elle ne savait juste pas encore de quel côté elle allait vouloir s'engager. Peut-être que le journalisme pourrait lui permettre d'avoir plus d'infos et d'aller davantage sur le terrain. D'autant plus que la résistance avait déjà plusieurs membres infiltrés au ministère. Autant répartir leurs forces un peu partout, même si elle avait fait ses études pour rejoindre le département des mystères, elle pourrait tout aussi bien mettre ses talents à profit dans une carrière journalistique. Sa décision n'était pas encore prise.

Quand Lou lui répondit qu'elle n'était pas malheureuse mais plutôt déprimée, Eva haussa un sourcil curieux. La dépression ne faisait-elle pas partie d'un sentiment de mal-être ? Être déprimé, n'était-ce pas en quelque sorte être malheureux ? Certes elle n'était pas très douée en psychologie, mais la serdaigle avait l'impression que son amie jouait un peu sur les mots.

« N'est-ce-pas lié ? Être déprimée ou être malheureuse, c'est un peu la même chose non ? A quelques détails près. » Demanda-t-elle, réellement curieuse.

Même lorsque la conversation était sérieuse, Eva ne pouvait pas faire taire sa nature. Elle aimait comprendre et apprendre. Pourquoi est-ce-que Lou avait-elle besoin de préciser son état, alors que les deux termes étaient si proches et si étroitement mêlés ? Et puis accessoirement, insister sur ceci lui permettait d'ignorer la remarque de son amie concernant ses " nouveaux amis " dont elle ne souhaitait pas parler davantage.

La résistance lui faisait confiance et il était hors de question de bafouer cette confiance avec une alliée de Tom. Malgré toute bonne volonté, Eva restait méfiante. Et si Lou mentait ? Et si elle travaillait toujours pour Jedusor en prétendant le contraire ? La sorcière n'avait pas l'intention de se faire piéger comme une débutante par quelques larmes. D'autant qu'elle savait Lou capable d'être une excellente comédienne lorsque c'était nécessaire. Pour se donner une contenance, Eva plongea à nouveau ses lèvres dans sa tasse de chocolat chaud et se délecta de la boisson agréablement sucrée.

« Hmm... » Soupira-t-elle d'aise.

Rien n'adoucissait aussi bien une telle conversation qu'une boisson chaude en plein hiver.

Eva n'en dit pas plus sur ses nouveaux amis... Lou ne releva pas, et décida de ne pas poser plus de questions. Même si elle était curieuse, elle pouvait parfaitement comprendre que son interlocuteur ne veuille pas lui en dire davantage. Toutes les deux revenaient de loin, il était après tout normal qu'elles gardent leurs jardins secrètes et ne se sentent pas prêtes à tout partager.

Après tout, Lou aussi avait de nouveaux "amis" au sein de l'Hydre desquels elle ne se verrait pas parler à son interlocutrice... même si elle n'imaginait pas les amis d'Eva appartenir à un groupe réactionnaire. Pour le coup, elle avait tort.

Alors non, elle n'insista pas, et laissa plutôt son interlocutrice lui faire remarquer ce qui était bel et bien un fait, elle jouait sur les mots. En même temps, s'il s'agissait de deux mots différents, c'était bien qu'ils n'avaient pas exactement le même sens.

« N'est-ce-pas lié ? Être déprimée ou être malheureuse, c'est un peu la même chose non ? A quelques détails près. »

Si elle ne le vivait pas, elle serait tentée de dire que ce n'était pas la même chose, non... mais elle le vivait. Et le distingo, elle le faisait par conséquent sans aucun problème.

Le "à quelques détails près" n'était pas anodin, en l'occurrence, car c'étaient ces détails qui faisaient au bout du compte toute la différence.

"Possible... Ce que je voulais dire c'est... que je crois que je vais être heureuse, je suis même sûre que je vais l'être. Mais ça prend du temps. C'est pas facile de... faire le deuil de ses sentiments."

Même si c'était idiot d'avoir même nourri ces sentiments, même si n'importe qui pouvait la pointer du doigt en la qualifiant d'abrutie finie. Même s'il lui restait encore beaucoup de chemin à faire... Tant pis qu'ils n'aient pas été réciproque, elle n'avait pas fait semblant d'aimer, elle avait réellement aimé.

Mais elle savait ce qui était bon pour elle, elle savait ce qui ne l'était pas. Tirer un trait sur certaines choses s'avérait franchement douloureux, difficile. Mais c'était une étape nécessaire, comme le fait de se faire remonter les bretelles par les amis qu'elle avait négligés ou avec lesquels elle s'était franchement mal comportée.

Pour le coup, Eva fut prise un peu de court par les paroles de Lou. Elle aurait aimé pouvoir continuer à avoir cet air assuré et moralisateur qui lui collait aisément à la peau, mais en fait elle ne saurait juger sa vieille amie sur les différentes manières d'oublier des sentiments. Pourquoi ? Parce qu'elle n'en avait pour ainsi dire jamais eu. Pas de relation. Avec personne. Non pas qu'elle en soit incapable ou en manque de prétendants. Plusieurs garçons s'étaient intéressés à elle à Poudlard, mais elle ne vouait de l'intérêt qu'à ses études et à sa soif d'apprendre de nouvelles choses. Si Lou avait délaissé beaucoup de choses pour vivre ce qu'elle pensait être le grand amour, Eva avait au strict opposé presque aucune expérience sur le sujet. Légèrement mal à l'aise à ce propos, elle grimaça un peu et bu une gorgée de chocolat pour se donner une contenance.

« Si tu le dis. Je serais bien mal placée pour te conseiller en rupture difficile. Donner un avis sans avoir vécu soi-même la chose, ce serait bien trop hypocrite et indigne de mes préceptes. » Expliqua-t-elle calmement.

Ses paroles étaient précises et son ton mesuré. Même lorsqu'elle admettait ne pas tout savoir, Evangeline préférait rester digne au maximum. Pourtant elle n'en était pas spécialement fière. Sur bien des aspect, Lou lui inspirait de l'admiration. Elle était plus naturelle, plus sociable qu'elle. Peut-être pas avec les bonnes personnes, certes, mais quand même. Elle ne pouvait pas en dire autant d'elle-même.

« Je ne peux qu'imaginer que c'est compliqué et te croire sur parole. En tout cas si tu es si sûre de pouvoir être heureuse bientôt, j'en suis ravie. »

Un sourire sincère s'étira sur ses lèvres. Peut-être le premier réel geste amical et chaleureux depuis le début de leur conversation. Progressivement, l'ancienne serdaigle commençait à se détendre. Après tout, Lou avait l'air d'avoir vraiment besoin d'une amie et elle semblait prendre ses reproches avec une grande patience. Peu de gens pouvaient encaisser la franchise d'Eva sans s'offusquer face à ses remarques qui manquaient parfois de tact. Lou avait visiblement toujours ce don qui avait aidé à les lier déjà par le passé. Un bon point pour leur relation à venir.

« Si tu le dis. Je serais bien mal placée pour te conseiller en rupture difficile. Donner un avis sans avoir vécu soi-même la chose, ce serait bien trop hypocrite et indigne de mes préceptes. »

Fallait-il avoir connu soi-même quelque chose pour aposer un jugement sincère dessus ? Lou n'avait pas une opinion aussi tranchée sur la question qu'Evangeline, mais elle n'était pas surprise d'entendre l'avis de son amie (si elle l'était encore sur la question).

Evangeline était une jeune femme droite, honnête, intègre... et sans doute par trop cartésienne. Mais c'était typiquement de ce genre de personnes que Lou avait le plus grand besoin de s'entourer ces dernier temps, alors ça lui allait en fin de compte très bien.

Quand on en venait au champ des sentiments, Lou considérait, pour sa part, que personne ne saurait être en position de juger personne. Car, à la vérité, elle était convaincue qu'il y avait une multitude de sorte d'affections et de douleur. L'amour, c'était une notion vaste, vague... Et elle n'était pas certaine que qui que ce soit vive l'amour de la même manière. C'était sûrement pour cela que ce sentiment était si difficile à décrire, et sûrement pour cela aussi qu'il y avait une multitude d'histoires d'amour, et aucune pour ressembler à une autre.

Il était déjà difficile d'évoquer ses propres sentiments en temps normal, alors dans cette situation encore plus. Elle avait envie de convaincre son entourage de son nouvel état d'esprit, mais elle se doutait que c'était sans doute impossible. Le plus facile, c'était sûrement de dépasser le sujet, et de passer à un autre. Elle avait encore mal, oui, mais elle n'avait pas de regrets pour autant. Elle avait refermé le chapitre Tom. Et elle ne comptait pas le rouvrir un jour.

« Je ne peux qu'imaginer que c'est compliqué et te croire sur parole. En tout cas si tu es si sûre de pouvoir être heureuse bientôt, j'en suis ravie. »

Si elle la croyait sincèrement sur parole, c'était déjà ce qui importait. Cela ne faisait pas tout, mais Lou avait quand même la faiblesse de croire que son interlocutrice avait sincèrement envie de se réjouir de son bonheur.

Lou afficha un sourire en retour avant de reprendre la parole.

"Je le suis déjà un peu si on est réconciliées", répondit-elle simplement avec un fin sourire.

Elle grapillait des moments de bonheur, l'un après l'autre. Jusqu'au moment où elle serait heureuse et en harmonie avec elle-même. Sans avoir encore conscience du fait que, contrairement à ce qu'elle pouvait imaginer, c'était une autre relation qui pouvait lui rendre cette harmonie.

Comme toute personne ayant atteint son âge, Eva avait fait des erreurs dans sa vie. Certaines qu'elle aimerait pouvoir effacer pour arranger les choses, d'autres qui au contraire avaient servi à faire d'elle qui elle était à présent. Ces dernières, elle était consciente qu'elle ne devrait jamais tenter de les réparer. Ces cassures dans son passé, ces fractures dans son sillage, voilà ce qui était vraiment important, ce qui définissait son existence. Mais peut-être que haïr Lou était une erreur sur laquelle il fallait qu'elle revienne, avec compassion et patience. Après tout, la haine n'arrivait jamais s'il n'y avait pas eu de l'affection à la base. Finalement son ancienne amie méritait probablement une nouvelle chance, elle qui avait fait tant d'efforts pour sortir du gouffre malfaisant dans lequel elle s'était autrefois égaré.

« Je pense que nous le sommes. » Répondit-elle calmement.

Oui, la sorcière n'était plus spécialement en colère. Il restait toujours un peu d'amertume, inoubliable après tant d'années de blessures, mais elle était confiante. Ces mauvais souvenirs allaient disparaître avec le temps, surtout si les deux jeunes femmes prenaient le temps d'en créer de nouveaux, plus positifs. Après tout, il ne restait que cela à faire : y croire. Un acte de foi aveugle envers Lou, voilà ce qu'elle était en train de faire. Elle voulait lui faire confiance, envers et contre la déception que celle-ci lui avait apporté à l'époque. Si elle avait véritablement changé, Eva tenait à être celle l'aidant à reprendre pied du bond côté de la vie. Soulevant délicatement sa tasse de chocolat chaud, elle trinqua contre celle de Lou avant d'en boire une nouvelle grande gorgée. Elle approchait de la fin de sa boisson.

« A notre amitié alors. Pourvu qu'elle tienne pour de bon cette fois, et nous empêche l'une comme l'autre de nous égarer dans les ténèbres. »

Car les ténèbres étaient de plus en plus présents autour d'elles. Nouvellement membre des résistants, Eva en était de plus en plus consciente et persuadée. Avoir une amie sur qui compter était désormais une perspective toute aussi rassurante qu'essentielle. Pour montrer sa bonne foi, elle paya les deux consommations quand un serveur passa près de leur table. Un acte de générosité et de confiance qui n'était pas gigantesque, histoire de commencer doucement.

[HS : Je pense que tu peux clore le sujet avec ta réponse ]