Tina pourrait passer des heures ainsi, à regarder par l'embrasure de la porte son fils qui dormait paisiblement, enfin de retour à la maison. Ce tableau était presque irréel tant il était parfait. Elle n'aimait pas admettre avoir pensé ainsi, mais elle avait véritablement cru qu'elle ne reverrait jamais son fils, elle n'avait jamais été à ce point heureuse de s'être trompée.

Le temps s'était comme interrompu durant son absence, mais il était enfin de retour, la vie allait pouvoir reprendre son cours... à la différence près que cette terrible expérience avait forcément bouleversé leurs existence à tous... et certaines choses ne seraient peut-être plus tout à fait les mêmes au bout du compte.

Après un moment, elle se résigna à fermer la porte, avec le plus de douceur possible afin de ne pas réveiller Hyppolite. Elle n'était pas à l'aise avec l'idée de refermer la porte derrière elle, comme si ne plus l'avoir dans son champ de vision pourrait le faire disparaître à nouveau.

Elle ne savait vraiment pas comment elle allait parvenir à le supporter, quand Hyppolite reviendrait à Poudlard. Il était fort à parier qu'elle n'en dormirait pas de la nuit, les premiers temps, et qu'elle les harcèlerait à coup sûr de courriers en tout genre. Mais pour l'instant, elle ne voulait pas y penser, elle voulait seulement se réjouir du retour de son fils...

... Sans le pouvoir totalement. Parce que maintenant qu'elle ne se focalisait plus seulement sur lui, elle pouvait se laisser submerger par ces autres problèmes qu'elle ne pourrait pas fuir plus longtemps, et Norbert non plus, qui plus est.

Tina descendit les escaliers et se dirigea vers la cuisine, où elle se prépara une tasse de thé, de quoi se donner du courage avant de passer à l'offensive. Elle prépara une autre tasse, pour son mari, comme un prétexte pour aller le retrouver.

Elle se dirigeait vers son bureau, mais en jetant un coup d'oeil au salon, elle réalisa qu'il était là, et son coeur se serra aussitôt. Elle savait qu'elle pourrait tout simplement revenir vers lui et faire comme si de rien n'était. Mais c'était impossible, elle était trop entière pour prétendre ou se contenter de passer l'éponge.

Alors elle se rapprocha de lui, posa leurs deux tasses de thé sur la table la plus proche et engagea les "hostilités".

"Tu vas accepter de me parler, maintenant ?" demanda-t-elle sans y mettre plus de forme.

-Tina... Je suis désolé...

Ce serait certainement bien plus simple de lui en vouloir s'il ne l'était pas, mais il était évident qu'il l'était, et elle n'en avait jamais douté, elle savait même que toute la culpabilité qu'il avait ressentie, et qui avait augmenté au fil du temps, avait contribué à cette conclusion.

Mais il ne suffisait pas qu'il lui dise ce dont elle avait déjà conscience pour que tout soit annulé, pour qu'elle oublie l'immense solitude qu'elle avait ressenti pendant ces dernières semaines, ces derniers mois, même. Alors elle ne parviendrait pas à se contenter de simples excuses. Le propos était bien plus complexe, le problème bien plus profond. Si profond, en fait, qu'elle ne savait même pas s'ils seraient capables de le réparer, et c'était bien là tout le problème, en somme.

"Je sais que tu l'es", répondit-elle doucement pour bien lui faire comprendre qu'elle n'attendait pas de lui qu'il se répande en excuses. En vérité, d'ailleurs, elle ne savait même pas précisément ce qu'elle attendait, si elle attendait encore quelque chose.

Cette situation avait mis à jour un constat qu'elle appréhendait de devoir considérer comme immuable. Ce qu'elle pensait acquis, et depuis longtemps, concernant leur relation, prenait l'eau, à présent, et elle, elle ne savait plus quoi faire, mais dans tous les cas, elle savait une chose, il fallait qu'ils discutent. Même si ni l'un ni l'autre n'étaient forcément très doués pour la conversation.

"On a toujours pu compter l'un sur l'autre. On a tout traversé ensemble, et je m'étais persuadée que ce serait toujours comme ça. Mais au moment où j'avais le plus besoin de toi, tu n'étais pas là."

Elle ne lui disait rien qu'il ne sache déjà, elle en avait parfaitement conscience, mais elle devait quand même le verbaliser. Parce que ce n'était pas comme si ça n'avait aucune importance ou comme si elle pouvait avoir admis cela et juste passer à autre chose. Le retour de leur fils était un soulagement et un immense bonheur, mais il ne permettait pas de passer l'éponge sur son comportement. Pour le nombre de fois où ils avaient veillé l'un sur l'autre, où ils s'étaient tirés de mauvais pas, où ils s'étaient même sauvé la vie, son incapacité à se reposer sur elle, à la laisser se reposer sur lui, l'avait blessée.

-Je me sentais coupable. On était en train de perdre Hyppolite, j'avais peur de te perdre aussi.

Tina n'avait pas besoin d'entendre les explications de son époux pour en connaître la nature, et elle savait qu'il ne cherchait pas à se dédouaner de quoi que ce soit, que c'était bel et bien ainsi qu'il avait appréhendé la situation. Mais elle avait beau le savoir, l'avoir compris tout de suite, même, ça ne changeait absolument rien à la situation. Elle savait de quelle façon il avait pensé, ce qu'elle déplorait, c'était justement qu'il ait pensé de cette manière.

Bien qu'atypique, Tina n'avait jamais estimé leur couple fragile, et pour cause, ils avaient affronté tant d'obstacles, s'étaient prouvé leur attachement de tant de façons depuis le jour où ils s'étaient rencontrés, qu'elle n'avait aucun doute quant à ce qu'ils valaient, quant à ce qui les liaient.

Mais Norbert, lui, avait douté. Il avait forcément douté, sans quoi il lui aurait fait confiance, et bien assez pour savoir qu'elle n'irait jamais lui reprocher une chose pareille. Bien sûr, en situation de crise et d'urgence, on est sans doute pas à même de réfléchir convenablement, de la bonne manière, mais tout de même, s'il y avait bien une épreuve, au cours de leurs vies, qu'ils auraient dû affronter à deux, c'était celle-là.

"Je sais.", répéta-t-elle une fois encore.

Il allait sans doute se lasser de l'entendre prononcer ces mots, mais c'était en effet la vérité. Elle savait, et elle n'attendait pas de lui qu'il se justifie.

Et c'était bien cela, le souci. Elle ne savait pas ce qu'elle attendrait de lui, puisque des excuses, même sincères, n'y suffiraient pas le moins du monde. Elle ne savait pas si quelque chose pourrait suffire, à ce stade, et cette pensée avait quelque chose de vraiment angoissant.

"J'ai aussi cru qu'il avait fugué, au début, tu sais." Elle préférait être honnête tout de même, elle n'allait pas prétendre non plus que les appréhensions de son mari étaient totalement infondées. "Mais si tu crois vraiment que j'aurais été capable de t'abandonner, alors tu ne me connais pas si bien que ça, tout compte fait." Elle marqua une pause, éloquente. Elle n'aimait pas ce qu'elle s'apprêtait à dire. "Ou bien c'est moi qui ne te connais pas si bien, finalement."

-Personne ne me connaît mieux que toi.

Tina, malgré la situation, avait envie de croire que c'était vrai. Norbert était un homme complexe, et parvenir à le cerner lui avait pris de nombreuses années, mais elle avait vraiment estimé en être arrivé à ce stade de complicité dans leur relation qui faisait qu'elle pouvait être l'égale de sa soeur quand il était question de sonder ses pensées. Elle le connaissait, oui, et elle le comprenait effectivement. 

Elle le comprenait assez pour lui pardonner certains comportements que d'autres jugeraient trop hâtivement, et pour accepter aussi ce qu'il était et faisait de lui un homme loin de correspondre aux définitions répandues du mari idéal, mais qui faisaient de lui son mari idéal. Jusqu'à maintenant...

Comprendre son attitude, admettre qu'elle correspondait à ce qu'il était, cela semblait revenir à la cautionner, et elle ne le pouvait pas. Son comportement lui avait fait beaucoup trop de mal, et elle ne pouvait pas se contenter de ces seules explications. Elle ne pouvait se contenter d'aucune explication. Il s'était renfermé sur lui-même et, dans la foulée, l'avait mise de côté. C'était difficile à vivre.

-Dis-moi ce que je peux faire...

Si seulement elle le savait... si seulement elle en avait un début d'idée... mais en vérité, elle se sentait totalement perdue. Ses certitudes avaient été ébranlées, et elle se posait beaucoup de questions sur l'avenir... sur leur avenir. Et à ces questions, elle n'avait aucune réponse.

C'était difficile, pour Tina, dont le comportement pragmatique la poussait en temps normal à prendre des décisions raisonnées sur la base d'éléments concrets. Mais ce n'était pas pareil, cette fois. Elle ne pouvait pas faire coïncider la voix de sa raison avec la voix de son coeur, et ça lui faisait du mal, tout comme elle savait que ça faisait du mal à son mari.

Elle savait qu'il ferait tout pour réparer son attitude, elle savait qu'il s'en voulait, elle savait qu'il les aimait, elle et Hyppolite, mais pour une fois, pour la première fois, ce n'était pas suffisant.

"Je n'en sais rien...", soupira-t-elle, mal à l'aise. "Pour l'instant, on doit se concentrer sur Hyppolite, c'est tout ce qui compte. Ensuite, je..." Elle détourna le regard. "Il faut que je réfléchisse, je ne sais pas..."

-Tu... tu voudrais... rompre ?

Ces mots, prononcés par Norbert avec une sorte d'angoisse, firent manquer à son coeur un battement.

Pourtant, ce n'était pas comme si cette possibilité n'avait fait que l'effleurer pour sa part. Il fallait bien qu'elle l'avoue, et se l'avoue au passage, elle avait passé bien trop de temps à envisager la possibilité que leur relation ait bel et bien atteint son point de non-retour.

Elle y avait pensé, oui, longuement, à ce que devraient être leurs vies si d'aventure ils se séparaient. Tina et Norbert étaient ensemble depuis si longtemps à présent qu'elle avait entièrement désappris à vivre seule (même si ça n'avait jamais été vraiment le cas, elle était passée directement de sa cohabitation avec Queenie à son installation en Angleterre avec Norbert). Et même si le métier de son époux et le fait qu'Hyppolite était à Poudlard faisaient qu'elle vivait quand même très souvent seule, ce n'était pas pareil.

Elle se sentait presque incapable de le quitter, et en même temps... justement, est-ce que c'était l'habitude qui la retenait ? Et si c'était le cas, y avait-il autre chose que l'habitude ? Ses sentiments, bien sûr, parce que quoi qu'il doive advenir, Norbert resterait l'amour de sa vie, mais... quelque chose avait changé.

C'était une chose d'envisager la séparation, oui, c'en était une autre d'entendre Norbert l'appréhender. Elle savait qu'il ne prendrait pas cette décision pour eux, ni d'un commun accord avec elle, elle savait qu'il n'avait aucune envie de se séparer d'elle... et ça rendait tout ça encore plus éprouvant. Si elle devait vraiment prendre cette décision, et c'était évident qu'à ce moment-là elle ne pourrait s'empêcher de regarder en arrière et de s'en vouloir, elle ne pourrait s'en prendre qu'à elle même et à elle seule.

"Ce n'est pas ce que j'ai dit", répondit-elle doucement.

Ce n'est pas ce qu'elle avait dit, mais ça restait tout de même ce qu'elle avait très largement sous-entendu malgré tout... Mais elle n'était pas capable de prononcer ces mots, pas encore. Elle avait besoin de temps... et puisqu'il fallait laisser le même temps à Hyppolite de se remettre de son kidnapping, c'était sûrement une chance.

"Mais..." Il y avait forcément un mais, ça devait se passer comme ça. "Je sais pas... peut-être, oui..."

Elle ne pourrait pas continuer si elle ne parvenait plus à lui faire confiance... et à ce jour, elle n'était plus vraiment sûre d'en être capable.

-Je pourrais pas vivre sans toi, Tina.

Cette réponse serra le coeur de Tina. Elle savait que son époux ne saurait être plus sincère, et au fond, elle avait envie de penser que c'était bel et bien vrai.

Tous les deux n'avaient jamais été de ces couples fusionnels qui estimaient nécessaire de passer tout leur temps ensemble et qui étaient incapable de rester éloignés trop longtemps l'un de l'autre. Il était déjà arrivé à Norbert de s'absenter deux-trois mois, et elle n'avait eu que de très minces nouvelles de lui. Il lui manquait dans ces périodes, mais ce n'est pas pour autant qu'elle vivait ma cette situation. Elle était tout simplement heureuse quand il lui revenait, et durant tout ce temps, jamais elle ne remettait en question leurs sentiments, parce que vivre loin l'un de l'autre ne signifiait pas vivre l'un sans l'autre.

Et elle aussi, pour sa part, n'était vraiment pas certaine de savoir un jour vivre sans Norbert. Si elle envisageait douloureusement la rupture, ce n'est pas pour autant qu'elle s'estimait vraiment capable de vivre sans Norbert. Elle savait parfaitement se débrouiller seule, et gérer Hyppolite seule, parce qu'elle s'était suffisamment débrouillée par ses propres moyens, mais ça ne voulait pas dire pour autant qu'elle s'estimait capable de poursuivre son existence sans être avec lui...

Elle avait cette impression d'être complètement folle, masochiste. Elle savait que se séparer de Norbert, ce serait souffrir d'une peine immense. Mais alors, pourquoi se comporter ainsi ? Parce qu'elle souffrait déjà, en fin de compte. Elle les sentait comme au bord du gouffre, et elle craignait d'être celle qui les y précipiterait, tout en estimant qu'il n'y avait sans doute pas d'autre possibilité quoi qu'il en soit. Ou alors, il fallait que quelque chose change. De sa part, de la sienne. Des efforts à fournir qu'il était complexe d'expliquer... sans savoir en déterminer totalement la nature quoi qu'il en soit.

"C'est pourtant ce que tu as fait ces derniers mois", trancha-t-elle en baissant le regard.

Elle n'avait aucune envie d'en arriver là, mais elle craignait fort qu'il ne soit trop tard, et même si elle n'avait pas non plus envie de l'accabler, elle n'était pas capable de faire autrement.

-Je sais, je suis désolé...

Tina se doutait qu'elle l'entendrait souvent encore, qu'il était désolé, et elle savait qu'il le pensait vraiment, qu'il était totalement mortifié par la situation. Il était désolé, c'était vraiment évident, et elle le savait avant même qu'il le dise, mais le problème, avec les excuses, c'est qu'elles ne pouvaient qu'arriver, forcément, à posteri, quand le mal était déjà fait.

Et là, le mal était tel qu'il était difficile de savoir s'il saurait être réparé ou non. Il était désolé, elle le savait, elle pourrait le lui répéter encore à son tour, comme une sorte d'échange sans fin, sans conclusion qui puisse être digne de ce nom, rien qui puisse être satisfaisant ou les rassurer vraiment.

-Mais c'est la vérité.

Cela aussi, elle le savait. C'était le souci, dans leur échange. Ce qu'ils se disaient, ils le savaient déjà, tous les deux. Ils le savaient beaucoup trop bien. C'était la vérité, effectivement. Il tenait à elle, il n'avait pas voulu lui faire du mal. Il n'imaginait surement pas pouvoir vivre sans elle.

Et elle non plus de son côté. Mais ne pas pouvoir vivre l'un sans l'autre, cela ne signifiait pas forcément qu'ils étaient encore capables de vivre l'un avec l'autre. Ils allaient devoir y réfléchir, y réfléchir très sérieusement. Mais il y avait une certitude, la situation telle qu'elle était ne pouvait pas durer, c'était aussi simple que ça.

C'était vraiment difficile, à la limite du supportable, et quand elle voyait son mari dans cet état, Tina finissait par avoir le sentiment d'être quelqu'un de cruel, d'être la personne à blâmer dans cette affaire alors même que le calvaire qu'elle avait vécu ces derniers mois était encore trop récent pour qu'elle l'ait oublié ou en ait amenui l'impact.

-Tina... Je t'aime...

Ces mots lui brisèrent le coeur. Bien sûr que c'était vrai, évidemment que c'était vrai. Cela ne pouvait que l'être. Mais malgré tout, quelle douleur que de l'entendre. Pourtant, ça devait être les mots les plus agréables du monde. Mais ils prenaient une valeur très différente et particulière, à présent.

Tina aussi aimait Norbert, plus que tout. Rien ne devrait entacher cela, mais ils se retrouvaient dans cette situation où l'amour ne suffisait pas. Elle n'avait jamais vraiment compris cette maxime avant de vivre cette situation. Et maintenant, elle y était, bel et bien. Et elle aurait aimé ne jamais avoir à vivre ça un jour.

"Tu vas devoir me le prouver", soupira-t-elle, attristée de ce constat, passant une main dans ses cheveux naturellement ébouriffés. "Je suis fatiguée... Je vais aller me coucher. Tu prendras l'autre chambre d'amis, d'accord ?"

Puisque Jacob était déjà dans la première. Pour le moment, elle n'avait plus la force d'en discuter. Il fallait qu'elle fasse le vide. Qu'elle fasse le point.