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epuis qu'Ignatius avait appris à Agrippine la vérité sur son père, elle ne pouvait s'empêcher d'y penser, encore et encore. Bien sûr, sa vie restait la même, et ce n'était pas parce que ces révélations remettaient en cause beaucoup de ses décisions passées qu'elle comptait changer qui elle était ou son mode de vie, mais elle était malgré tout déterminée à découvrir qui était son père. Puisqu'elle ne comptait clairement pas demander à sa mère des réponses qu'elle ne lui donnerait sans doute pas de toute façon, il fallait qu'elle se débrouille autrement.

Le plus simple était certainement de s'adresser à un ou une de ses ami(e)s, quelqu'un qui la connaissait bien et depuis longtemps, et pouvait avoir potentiellement eu vent de son aventure extraconjugale (encore qu'Agrippine doutait fort que l'austère Wilhelmina Tuft aurait parlé de son adultère avec qui que ce soit). Elle avait arrêté son choix sur Esther Fitz. Bon ou mauvais choix, elle n'en savait rien, mais dans tous les cas elle se trouvait maintenant devant la porte des Fitz, en journée afin de s'assurée qu'elle tombe sur la femme et non sur le mari. Et elle obtint visiblement gain de cause puisque ce fut bel et bien Esther Fitz qui vint lui ouvrir.

-Madame Fitz, désolée de vous déranger, s'excusa-t-elle avec un léger sourire, plus pour la forme qu'autre chose, car en réalité, Agrippine n'éprouvait pas franchement de scrupules à aller déranger autrui. Elle était du genre à s'imposer et à mettre les pieds dans le plat, c'était comme ça. Vous ne savez peut-être pas qui je suis... Agrippine Tuft, je suis... j'étais une amie de votre fille.

C'était un mensonge, bien sûr. Même si Agrippine connaissait effectivement Pomona, on ne pouvait pas dire qu'elles soient les meilleures amies du monde, et pour cause, on ne faisait pas plus différentes que ces deux-là. Mais elle lui servait de dealer à ses heures perdues, ça comptait, non ? Puis, elle avait le privilège de savoir que la jeune femme était toujours en vie, mais ce n'était pas pour autant une confidence qu'il comptait faire à la mère éplorée. Elle n'évoquait la fille de cette femme que dans le but de la faire réagir afin qu'elle accepte de la faire entrer chez elle... Car forcément, il était possible qu'elle soit occupée ou ne veuille tout simplement pas accueillir la fille dévergondée de la ministre chez elle. Alors en évoquant Pomona, elle se disait qu'elle augmentait ses chances de capter l'attention de son interlocutrice.

-J'aimerais vous parler... Est-ce que je peux entrer ?

Quand elle le devait, Agrippine n'était pas trop mauvaise pour manipuler son monde. Après tout, il fallait savoir y mettre les moyens, parfois, quand on voulait obtenir ce qu'elle désirait. Et ce qu'elle désirait, en l'occurrence, c'étaient des réponses.

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grippine afficha un sourire quand son interlocutrice l'invita à entrer. L'air de rien, elle se disait qu'elle commençait par la bonne personne pour partir à sa petite chasse aux informations. D'autres amis de sa mère lui auraient sans doute claqué la porte au nez, justement parce qu'ils étaient amis avec sa mère... mais Esther, elle, avait un talon d'Achille facilement exploitable. Et ce talon d'Achille en question avait un nom : Pomona, et c'était une corde sensible sur laquelle la jeune femme avait l'intention d'appuyer sans la moindre vergogne. Elle ne voyait pas d'ailleurs pourquoi elle aurait des scrupules, elle ne connaissait pas cette femme et elle se fichait de Pomona... et en plus, si cette dernière mentait sur sa situation, ce n'était pas de sa faute après tout.

Agrippine entra donc et ne put s'empêcher d'adresser un regard curieux à tout ce qui l'entourait. Elle aimait bien pénétrer dans les lieux de vie d'autres personnes. Elle était franchement curieuse, et elle trouvait qu'on pouvait se faire une bonne idée d'une personne en pénétrant son intimité. Malgré tout, elle n'eut pas le temps d'explorer les lieux en détails. Elle avait attisé la curiosité de son interlocutrice, elle ne mit pas bien longtemps à le comprendre. Et ça parce qu'elle avait prononcé le nom magique, même si elle n'était pas du tout venue pour cela, bien loin de là.

-Eh bien, commença Agrippine, faisant mine d'être embarrassée alors qu'elle ne l'était en réalité pas du tout, consciente du fait que ce petit numéro avait beaucoup était une piste à explorer, et qui valait bien la peine, oui, de se jouer d'une femme qui pensait avoir perdu son enfant pour toujours. Je voudrais vous parler de ma mère... Avec ce qui est arrivé à Pomona, j'ai compris que la vie était courte, et je ne veux pas... disparaître un jour sans avoir réussi à me rapprocher d'elle.

C'était cruel d'agir de cette façon là, mais peu importe. La jeune femme se fichait bien de la méthode, elle ne pensait qu'au résultat, et ce résultat la rongeait. Et si cette femme, face à elle, avait conscience de qui était son père ? Et si elle se trouvait en présence d'une personne qui était au courant de toute l'histoire ? Si c'était le cas, elle ne pouvait absolument pas passer à côté, loin s'en faut.

-Le problème, c'est que je ne la connais pas du tout. Et vous deux, vous êtes proches...

Elle choisissait à dessein cette approche qui n'était pas totalement frontale. Elle ne voulait pas se faire rembarrer sans chance de nouvelle tentative. Elle avait un milliard de questions en tête, et elle avait besoin de réponses, point final, et elle était prête à touti pour les obtenir. A absolument tout, véritablement.

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était quitte ou double, et Agrippine en avait parfaitement conscience : soit son interlocutrice se sentait, comme elle l'espérait, personnellement touchée par l'excuse de la rouquine et décidait par conséquent de lui faire confiance, soit elle prenait sa stratégie pour de l'indélicatesse (et indélicate, Agrippine l'était bel et bien) et dans ce cas, sa stratégie tombait à l'eau... Une chance pour elle, cette femme manifestement affectée par la mort de sa fille (qui était à vrai dire sacrément en forme pour un zombie, Agrippine avait pu en attester) avait choisi de se montrer conciliante et de l'aider.

Tant mieux, tant mieux. Agrippine n'avait pas beaucoup de pistes à poursuivre, elle ne pouvait pas se permettre de gâcher celles qui se présentaient à elle. C'est que des vieilles fréquentations de sa mère, il y en avait très peu avec qui Agrippine se voyait taper la discute sans passer pour extrêmement suspecte... ce qu'elle était, une fois de plus. Alors soit, puisque Esther Fitz lui avait ouvert une fenêtre, Agrippine allait défoncer la porte, c'était dit, c'était admis, et elle ne comptait pas y aller de main morte pour ce faire.

La jeune femme ne se fit pas prier pour prendre place quand la mère éplorée lui suggéra de s'installer. Cela avait quelque chance de prendre un certain temps et elle le savait pertinemment, alors autant prendre ses aises, même si elle ne comptait pas sortir de son rôle pour autant. C'était beaucoup trop important, elle ne pouvait pas tout gâcher en se laissant avoir par ses (sales et tenaces) manières habituelles. Elle devait la jouer fine et elle le savait pertinemment. Et le pire, c'est qu'elle ne pouvait même pas être certaine que tout ceci servirait à quoi que ce soit. Mais bon, qui ne tente rien n'a rien, c'est bien connu. Au moins, Esther lui posait une question générale, qui autorisait donc Agrippine à mener la conversation comme cela l'arrangeait. Autant dire que, pour la peine, la dernière des intentions de la jeune femme était de s'en priver. Elle avait trop à y gagner et elle le savait.

-Eh bien... Agrippine faisait mine de réfléchir, mais en vérité, elle avait bien en tête les questions qu'elle voulait poser et elle n'avait pas réellement d'hésitation à ce sujet.

Elle savait précisément vers quoi elle se dirigeait et ce qu'elle escomptait en tirer. La seule incertitude dans l'affaire était qu'il lui était impossible de savoir si elle obtiendrait gain de cause. Elle espérait en un miracle, mais elle se doutait que ça n'allait pas être simple, que le nom de son père biologique n'allait pas lui être révélé juste comme ça, en un claquement de doigt. Eh, en vérité, elle ne savait même pas si elle était capable de l'entendre... si vite, si tôt... Mais elle espérait au moins avoir quelques pistes, pour ne pas avoir fait tout ça pour rien.

-J'aurais voulu savoir comment elle était avant... Avant ma naissance, je veux dire. Elle a beaucoup changé ?

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grippine ne savait vraiment pas quoi attendre de la réponse de son interlocutrice. Elle avait toutes ses questions bien en tête, elle ne savait pas, en revanche, ce qu'elle ferait des réponses qu'elle obtiendrait peut-être. La jeune femme tenait à comprendre, elle avait besoin de savoir, il fallait qu'elle détermine l'identité de son père. Elle ne saurait expliquer précisément pourquoi, mais c'était pour elle d'une importance absolument primordiale. Elle avait besoin d'éléments clairs, au moins de pistes... mais avec la réponse que lui donna Esther, elle ressentit au final plus d'incertitudes qu'autre chose.

Mrs Fitz commença par affirmer que Wilhelmina n'avait pas vraiment changé, ce qu'Agrippine ne voulait pas croire. On changeait forcément au fil de sa vie, pas vrai ? Encore que... elle n'avait pas forcément d'exemples très probants de ce cas de figure dans son entourage. Certes, elle-même était passée de la gamine déterminée à tout faire pour rendre ses parents fiers à l'adolescente insupportable bien décidée à emmerder le monde... mais elle était bloquée à ce stade depuis ses douze ans environ. Donc peut-être que madame la ministre n'avait peut-être pas tant changé que ça, en effet. Ou peut-être bien que oui. Après sa naissance.

-Triste... ? répéta Agrippine, prise de court par cette réponse à laquelle elle ne s'attendait absolument pas.

Elle assimilait beaucoup de sentiments négatifs à sa génitrice : la colère, le dégoût, le mépris... mais la tristesse ? Elle n'en avait jamais vu... Ou n'avait jamais voulu en voir... Il n'avait pas été difficile pour elle de se convaincre que ses parents, son père comme sa mère, avaient été monstrueux, et les gens monstrueux n'étaient pas malheureux, ils ne souffraient pas, ou bien de souffrances superficielles, qui n'avaient pas grand rapport avec les souffrances qu'ils infligeaient eux-mêmes.

Est-ce que c'était vrai ? Est-ce que sa mère avait été plus triste après sa naissance ? Peut-être... Et pourquoi, dans ce cas ? Agrippine entrevoyait bien certaines réponses. Elle était sans doute triste parce que son mari trompé lui reprochait son adultère, elle était peut-être triste parce qu'elle devait élever un enfant qu'elle n'aimait pas.
... ou bien elle était triste d'avoir renoncé à son père ? Non, là, elle se faisait des films. Forcément, depuis qu'Agrippine savait que l'homme qui l'avait élevée n'était pas son père, elle ne pouvait que s'interroger sur la nature de la relation qui avait uni ses deux parents. Et une part d'elle avait envie de croire qu'elle était au moins née de l'amour de ses deux parents. Mais cette supposition se heurtait vite à une réalité plus violente. Non, son père était sûrement un amant de passage, une erreur de parcours... qu'elle avait passé le reste de sa vie à regretter, à cause d'elle. Et c'était pour ça qu'elle était triste...

-C'est-à-dire ? Vous pensez que c'était à cause de moi ?

Les questions fusaient. Sans plus vraiment de rapport avec celles qu'elle avait voulu poser au départ.

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grippine avait beau répondre qu'elle n'avait pas été responsable du malheur présumé de sa mère, la jeune femme avait bien du mal à le croire. Et pour cause, Esther n'en avait peut-être pas conscience, mais Agrippine, elle, savait pertinemment que sa génitrice aurait voulu qu'elle ne vienne jamais au monde. Si vraiment elle avait été triste, c'était peut-être juste parce que du coup, elle avait cessé d'être la femme que son mari estimait digne d'elle... Dans tous les cas, elle le comprenait bien, cette conversation, ce n'était jamais qu'un sérieux coup d'épée dans l'eau, et c'était frustrant. Elle ne voyait personne dans l'entourage de Wilhelmina Tuft, autrement, qui serait vraiment capable de la renseigner sur ses fréquentations à l'époque... Elle était aussi près de retrouver son père que de gravir le mont Everest. C'était ce qu'elle croyait, c'étant ce qu'elle pensait, sans se rendre compte que la tâche allait lui être grandement facilitée en vérité.

Esther ne se souvenait plus trop de cette période, c'était bien sa veine. Mais ce n'était pas étonnant, bien sûr. La jeune femme se doutait que la tache n'allait pas être aisée. Elle était en train de déterrer un passé qui remontait à près de trois décennies. Même les principaux acteurs de cette mascarade élaborée devaient avoir la mémoire qui flanche, à ce stade. C'était le problème... Difficile de remonter aussi loin dans le passé. Elle aurait peut-être réussi à convaincre Elliott de cracher le morceau s'il avait encore été en vie, mais cet abruti fini avait décidé de casser sa pipe. Bref, elle n'était pas sortie de l'auberge, et on ne l'aidait pas franchement.

-Ne vous en faites pas, je comprends, répondit Agrippine en dissimulant sa frustration son couvert d'indifférence, comme si toute cette affaire n'était qu'anecdotique... Mais en même temps, elle n'y réussissait pas complètement. Parce qu'elle avait besoin de réponses, elle ne pouvait pas s'arrêter en si bon chemin. Elle devait au moins tenter le tout pour le tout. Même si je reste un peu sur ma faim, je l'avoue. Vous sauriez qui d'autre elle avait l'habitude de fréquenter, à l'époque ?

Elle insistait peut-être trop, et ça allait finir par paraître suspect, mais tant pis, Agrippine acceptait de faire avec. Ce n'était pas comme si elle avait quelque compte que ce soit à rendre à Esther Fitz. Et même si cette dernière devait décider de rapporter cette conversation à sa mère, au pire... au pire, ce serait plutôt drôle, en fin de compte, alors ce n'était pas comme si ça aurait de quoi déranger réellement Agrippine, en fin de compte. Elle, elle continuerait de mener sa petite enquête quoi qu'il en soit. Et en dernier recours, elle confronterait sa génitrice et trouverait les moyens de lui tirer les vers du nez, ne lui en déplaise.

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grippine afficha un fin sourire qui voulait dire "ce n'est rien" quand son interlocutrice déplora de ne pas pouvoir se montrer plus précise. La vérité, c'est que ce n'était pas rien, et que la rouquine se sentait un peu frustrée des réponses de l'amie de sa mère. Alors oui, elle n'allait pas lui reprocher de ne rien savoir, ce n'était pas de sa faute, après tout, si Wilhelmina Tuft était vicieuse et avait caché son jeu à tout le monde, y compris à ses meilleurs amis, mais elle avait tout de même l'honnête impression d'être en train de perdre son temps, et elle regrettait profondément de ne rien avoir à retirer de tout ça, même pas une petite bribe d'information qui pourrait l'aider à progresser.

Elle se tenait à l'aune d'une grande révélation, qui pourrait très clairement changer le cours de son existence, et elle avait l'impression de se retrouver face à une porte fermée. Toutes les explications à son terrible passé se trouvait derrière cette porte, et elle ne réussissait pas à la forcée. On faisait difficilement plus frustrant que cela, en réalité.

Le sourire d'Agrippine changea un peu, et se fit plus cynique quand son interlocutrice affirma que son temps, sa mère l'avait surtout consacré à sa famille, que c'était ce qui importait. Elle devait le croire honnêtement, c'était ça le pire, mais en vérité, au bout du compte, Wilhelmina n'avait rien respecté, ni personne, même pas ce mari qu'elle avait prétendu aimer si fort. Et elle l'avait encore moins respectée, elle, l'enfant qui avait gâché son mariage et sa vie, elle qu'elle avait laisser se faire torturer, physiquement et psychologiquement sans réagir.

Finalement, il n'y avait qu'Ignatius avait aimé convenablement... et au final, vu l'état de leurs relations, elle n'était pas certain que ce soit quelque chose de particulièrement sain non plus, en fin de compte. Non, Wilhelmina n'était pas la parfaite mère de famille qu'Esther Fitz cherchait à dépeindre, et même si Agrippine prenait sur elle pour cacher autant que possible son ressentiment, difficile de ne pas laisser ne serait-ce qu'un fragment d'amertume faire surface sur le seuil de ses lèvres alors qu'on présentait sa génitrice comme la sainte qu'ellen 'était pas, et ne serait évidemment absolument jamais, et en aucune circonstance, c'était évident.

-Pas toute sa famille, ne sut-elle s'empêcher de rétorquer alors, même si cela sortait un peu de son rôle.

D'un autre côté, ce n'était pas comme si tout le monde ignorait l'animosité d'Agrippine Tuft envers ses parents, elle ne s'en était jamais cachée, et quelqu'un comme Esther fitz, si elle ne savait pas tout, devait au moins savoir cela, en fin de compte. Agrippine et Esther se faisaient la guerre en silence depuis presque le jour de sa naissance et sans doute avant. C'était ainsi.

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grippine devait déployer en cet instant des trésors de self-control afin de ne pas tout simplement exploser et cracher au visage de son interlocutrice tout le mal qu'elle pensait de sa génitrice. C'était tentant, en cet instant, de faire comprendre à Esther quel genre de femme était vraiment Wilhelmina Tuft, de lui montrer ses cicatrices, du lui apprendre toute l'histoire depuis le début. Avec pour conséquence de peut-être faire perdre à la ministre l'une des seules amies qu'elle possédait encore - et sans scrupule. Mais ce serait contreproductif. Elle était venue ici dans l'espoir d'en apprendre davantage au sujet de son père, afin de découvrir son identité. Même si elle commençait à croire que cette discussion n'aboutirait à rien, elle préférait tout de même éviter de se griller complètement au sujet de cette femme. Qui sait si cette situation ne finirait pas par lui retomber dessus.

Et puis, elle pouvait comprendre ce qui motivait Esther Fitz à s'exprimer ainsi. Elle essayait de soulager sa conscience du mieux qu'elle le pouvait, parce qu'elle aussi n'avait pas été une mère idéale pour sa fille qu'elle pensait morte, à présent. Mais il y avait une grande différence entre Esther Tuft et Wilhelmina Tuft : Esther avait profondément aimé sa fille, même si elle n'avait pas su le lui montrer de la bonne manière. Alors que Wilhelmina Tuft n'avait jamais aimé que son fils et aurait préféré que sa fille meure dès la naissance... ou plutôt qu'elle ne soit jamais venue au monde. A une époque, cette pensée la faisait souffrir, plus maintenant.

Elle avait cessé de rechercher l'approbation ou l'amour de sa mère. Dorénavant, elle s'en moquait, ça n'avait plus aucune importance à ses yeux. La jeune femme avait compris ne jamais avoir été aimée, elle avait admis cette évidence, et elle savait aussi que ça lui avait forgé le caractère. C'était comme ça. Alors non, ce n'était pas une question de ne pas savoir comment s'y prendre. C'était une question de ne pas savoir comment se débarrasser d'une gamine gênante qui lui agitait sous le nez le fait qu'elle n'était pas une femme irréprochable. Clairement, Agrippine ne laisserait même pas le bénéfice du doute à sa mère. Mais pour la forme, elle allait faire semblant du contraire.

-Peut-être... C'est pour ça que je suis venue vous voir. J'aimerais réussir à... créer un lien, entre elle et moi. Je me suis dit que ce serait plus simple en comprenant qui elle était avant... moi.

Mais elle devinait qu'Esther ne lui en dirait malheureusement pas plus que ce qu'elle avait déjà dit... même si elle cherchait à abattre ses dernières cartes.

-Je suis prête à tout entendre à son sujet, même des informations embarrassantes. Je suis une adulte maintenant, je sais que l'erreur est humaine. J'aimerais la rendre... plus accessible.

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grippine croyait dans la sincérité de son interlocutrice quand cette dernière affirmait qu'elle comprenait sincèrement sa démarche, et ça ne l'arrangeait pas, car ça voulait dire aussi qu'elle était complètement sincère quand elle ajoutait qu'elle n'avait rien de plus à lui dire au sujet de sa mère. Fais chier. Ce n'était pas forcément surprenant, mais ça faisait chier quand même. Mais qu'attendre d'autre de la part de Wilhelmina Tuft, d'un autre côté, quand on y réfléchissait. Même si ses placads étaient remplis à ras-bord de cadavres si bien qu'il était plus que difficile de réussir à les fermer encore sans que rien ne dépasse (un orteil ou deux, quoi), elle n'était pas capable d'assumer ses actes. Ce devait être à peine si elle acceptait de les reconnaître pour elle-même, alors les avouer à quelqu'un d'autre, même à une amie proche... vous pensez ! Non, Agrippine en était à présent entièrement convaincue : Esther Fitz ne savait rien des infidélités de son amie, et elle ne soupçonnait rien de la nature de ses fréquentations passées. Bref, ce n'était jamais qu'un coup d'épée dans l'eau. Chiant, mais pas étonnant. Si elle pouvait obtenir les réponses à ses questions en un claquement de doigts, ça se saurait. Encore que...

-C'est possible, oui, répondit Agrippine, pour la forme. Mais en vérité, elle n'y croyait pas une seule seconde, vraiment pas.

Aller parler à sa mère ? La bonne blague ! Jamais de la vie. Les quelques conversations qu'elles avaient pu avoir toutes les deux depuis l'émancipation d'Agrippine s'étaient toutes achevées de la même manière, et c'était à peine si on pouvait les qualifier de conversations. Il n'y avait aucune raison pour que ça change vraiment, même. Surtout parce qu'en vérité, Agrippine n'avait aucune envie de faire des efforts à sa mère. Peut-être que si elle mettait de l'eau dans son vin, elles seraient toutes les deux capables de trouver un terrain d'entente. Mais ça n'arriverait pas. Non, ça n'arriverait pas parce qu'Agrippine n'en avait pas envie, tout simplement.

Wilhelmina Tuft n'était pas la responsable directe de tout ce que la jeune femme avait subi dans son enfance, mais elle en était le témoin silencieux, et aux yeux de la jeune femme, c'était tout aussi grave. Elle ne lui pardonnerait jamais ses silences et ses regards détournés. Non, elle ne voulait pas parler à sa mère ni la confronter. En revanche, elle voulait retrouver son père, cet homme que l'on avait privé d'une fille en même temps qu'on l'avait privé d'un amour paternel dont elle avait toujours manqué.

-Merci de votre aide malgré tout... Et encore toutes mes condoléances. Votre fille était quelqu'un de bien, dit-elle histoire d'achever tout ceci sur un peu de pathos qui lui paraissait bienvenue.

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