T

errence reconnaissait que Will lui posait une colle, et elle n'en était pas peu fière. C'était exactement le but qu'elle poursuivait, justement. Elle voulait que son interlocuteur soit destabilisé, elle voulait le placer face à des questionnements auxquels il n'était pas habitué. Il n'y a qu'ainsi qu'elle pensait qu'elle parviendrait réellement à le cerner. Le fait qu'il ne soit pas dans ses habitudes de s'exposer, de parler de lui la rassurait, quelque part. Elle se disait donc qu'elle ne s'était pas trompé à son sujet. Il y avait plus à voir sur lui que ce qu'il montrait à la face du monde. Et donc, il se pourrait bien qu'il soit bel et bien digne de l'intérêt qu'elle lui portait... Elle finirait peut-être par le regretter, mais à l'heure actuelle, elle ne pouvait s'empêcher d'apprécier... à ses risques et périls. Ceci dit, même si, à demi-mot, il admettait qu'il pouvait y avoir des choses à raconter sur lui-même, il n'avait pas l'air de vouloir se dévoiler. Il se dérobait. Et plus il se dérobait, plus elle avait envie d'en savoir plus.

-Oh, détrompe-toi, j'ai tout un tas de défauts, affirma-t-elle dans un sourire.

Will n'était pas du genre à se dévaloriser, elle considérait avoir conscience autant de ses atouts que de ses tares, mais elle était comme tout le monde, elle avait son lot de qualité et de défauts. Et si elle décidait de mettre ces derniers en valeur en cet instant, ce n'était pas pour partir à la chasse aux compliments (elle n'avait manifestement pas besoin de faire le moindre effort en ce sens, les compliments pleuvaient d'eux-mêmes depuis les débuts de cette conversation - ce qui était tout de même plutôt agréable, la jeune femme ne pouvait le nier) mais avec une idée bien arrêtée en tête, et qu'elle ne comptait pas lâcher de sitôt...

-Je suis trop curieuse, bornée, et je n'hésite pas à insister encore et encore jusqu'à obtenir ce que je souhaite.

Ca plus encore de nombreux autres défauts, mais si elle évoquait ceux-là spécifiquement, ce n'était bien évidemment pas pour rien, mais parce que tous justifiait son attitude à l'heure actuelle et laissaient entendre à son interlocuteur qu'elle n'avait pas la moindre intention de lâcher prise. Elle était bien décidée à obtenir les réponses à ses questions, à acculer son interlocuteur jusqu'à ce qu'il n'ait plus d'autres choix que de se confier à elle. Peut-être que ça le mettrait mal à l'aise, mais ce n'était pas pour la déranger. A dire vrai, elle le trouvait plus charmant quand il se montrait déstabilisé que lorsqu'il faisait preuve d'une bien trop grande confiance en lui.

-Tu n'as pas répondu à ma question.

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I

nviter Terrence à se dévoiler n'avait pas été une mince affaire, mais il semblait tout de même que Will soit parvenue à ses fins, réussissait peu à peu à percer la carapace qui entourait son interlocuteur pour découvrir qui il était vraiment, au-delà du dragueur invétéré et sûr de lui qui faisait peut-être en cet instant tout son possible pour ne pas repartir bredouille de cette petite... chasse à la femme. Pas de bol pour lui tout de même, même s'il devait se montrer convaincant, elle ne repartirait pas à son bras, c'était hors de question et ce serait contreproductif. Mais tout de même... il en ressortirait quelque chose... de peut-être plus important que ce qu'elle soupçonnait à l'heure actuelle. Sa réponse était en tout cas bien plus satisfaisante que toutes les précédentes et Will se disait qu'elle avait bien fait d'insister. Elle ne s'était pas trompée sur son compte, il avait bel et bien plus à offrir que ne le laissaient soupçonner ses atours avantageux et sa prose de dragueur invétéré.

Il lui confia ne pas avoir de rêves, ou plutôt estimer qu'il serait vain d'en avoir, puisque ces rêves ne s'accompliraient jamais, puisque sa voie était d'ores et déjà toute tracée. Elle l'observait d'un oeil neuf. Lui qui avait été si prompt un peu plus tôt à se vanter de son nom et du prestige de sa famille paraissait bien moins enclin à présent à pavoiser à ce sujet. Bien sûr, il pourrait lui mentir, parce qu'elle s'était montrée révulsée par tout ce qu'incarnaient les familles dites de sang pur, mais ce n'est pas ainsi qu'elle l'interprétait. En vérité, elle était parfaitement convaincue de sa sincérité. En fait, depuis les débuts de leur conversation, elle était convaincue qu'il n'avait été à aucun instant aussi honnête que maintenant. Il était prisonnier, "piégé" comme il le disait si bien lui-même. Sa vie avait été décidée à l'avance par sa naissance et il pensait ne rien pouvoir y faire. Sans doute même que ça ne lui déplaisait pas complètement, car après tout, qui refuserait de jouir d'une fortune colossale et d'une réputation bien établie ? Sauf qu'il lui manquait une chose primordiale, la liberté.

-Tu as plus de raisons de rêver que n'importe qui, alors, répliqua Will avec sincérité. Ce qui à ses yeux était parfaitement vrai. Au moins, cela lui permettrait de s'évader, même en pensées. Si les plans de tes parents ne te conviennent pas, alors change-les, rien n'est impossible. Crois-moi, aucun destin n'est tout tracé...

Le sien, par exemple, avait fondamentalement changé du jour au lendemain, quand ses parents avaient été la cible arbitraire de mages noirs, et sans cet événement, elle ne serait pas là ici et maintenant. Et si elle n'avait pas été là ici et maintenant... là encore, sa vie aurait été sensiblement différente.

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W

ill pourrait peut-être prendre ombrage de la remarque de Terrence, mais ce ne fut pas le cas. La jeune femme n'était pas forcément la personne la moins susceptible du monde, mais en l'occurrence, elle était si persuadée d'avoir raison qu'elle n'allait certainement pas se laisser diminuer par les propos du jeune homme. Si, si, ils vivaient sur la même planète, mais en revanche, il semblait assez évident qu'ils ne venaient pas du même monde... et c'était en partie ce qui... oui bon, disons-le, ce qui l'attirait, chez Terrence. Pas le fait qu'il soit riche et qu'elle puisse être vénale, hein, mais le fait qu'il ait peut-être plus envie de rejoindre le monde auquel Will elle-même appartenait que ce qu'il osait l'admettre. Parce que c'était difficile de renoncer à son petit confort et à ses habitudes pour changer de vie. Will en savait quelque chose pour avoir été contrainte à cela. On ne lui avait pas laissé le choix, on l'avait mise devant le fait accompli, contrainte de tout changer. Elle en était ressortie meurtrie, blessée, mais plus déterminée et plus forte également.

-Je n'ai jamais dit que c'était facile, répondit simplement la jeune femme, je dis juste que c'est possible.

Ce qu'il lui confirmait à sa manière, puisqu'il lui laissait entendre que d'autres, dans la même situation que lui, avaient renoncé à leurs privilèges pour recouvrir leur liberté... et en avaient bien évidemment souffert, car ils avaient été privés de tous leurs privilèges d'autrefois... ce n'est pas pour autant que c'était une mauvaise chose. Si ces privilèges étaient si étouffants, alors, pourquoi s'en extraire serait si terrible.

-Et qui te dis que toutes ces personnes ont regretté ? Elle était inarrêtable. Elle avait envie de creuser le fond du problème, elle avait envie que le Terrence qu'elle découvrait à travers son discours soit celui que tous auraient le loisir de voir et découvrir un jour. Ce qui ne plairait pas à tout le monde, c'est certain. Mais les personnalités les plus... controversées étaient celles qui lui plaisaient le plus. Pas pour rien qu'elle s'entendait bien avec Carlotta... Même si, une fois de plus, elle ne le devrait pas vraiment. Donc c'est pour ça, finalement, que tu te caches derrière tes airs de jeune premier arrogant, ajouta-t-elle sans oublier de le fixer intensément. T'as la trouille d'être libre.

Ce qui se comprenait. La liberté, c'était certes grisant, mais avant tout, c'était terrifiant, on ne pouvait le nier, et en l'occurrence, il avait énormément à perdre. Elle ne pouvait comparer son exemple au sien. Elle, elle avait certes tout perdu, mais contre sa volonté. Lui, ce n'était pas la même chose, il perdrait tout par choix. Et peut-être que c'était plus simple de ne pas choisir, en effet.

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B

on, d'accord, Will n'y était pas allée avec le dos de la cuillère, c'est le moins qu'on puisse dire, même, mais tout ce qu'elle avait voulu, elle, c'était faire réagir son interlocuteur, et elle se disait qu'il ne devait pas avoir l'habitude d'être un peu bousculé... ce qui l'un dans l'autre ne devait pas franchement lui faire du mal. A force d'être conforté dans son statut et dans la perspective d'une voie unique et irréversible, il avait oublié qu'il était possible d'avoir des rêves, de l'imagination et toutes ces choses qui font le sel de l'existence. Certes, elle s'était bien douté que son interlocuteur n'allait pas accueillir sa remarque tout sourire, mais qui sait, elle le ferait peut-être réfléchir, même un petit peu, on ne sait jamais après tout. Quand il se défendit, en premier lieu, d'être arrogant, Will ne put s'empêcher de sourire. Bien sûr qu'il était arrogant, et beaucoup trop sûr de lui. D'accord, il avait conscience de ses charmes, et à ce titre ce n'était pas forcément de l'arrogance. Mais certaines de ses réflexions précédentes ne laissaient pas beaucoup de doute à ce sujet. Rien que le fait qu'il se croie irrésistible, déjà... Mais peut-être qu'il l'était un peu ?

Il affirma ne pas avoir la trouille non plus. D'accord, peut-être qu'elle s'était trompée sur ce point, mais elle espérait que non, parce qu'il perdrait en charme à ses yeux, dans ce cas. Mais elle pensait plutôt qu'il n'en avait pas conscience. Il ne comprenait pas que la liberté, ce n'était pas rien avoir, c'était pouvoir tout obtenir, sans restriction. Bien sûr, cela incluait de nombreux risques, ça n'avait rien d'évident et on pouvait s'exposer à des déconvenues plus ou moins dangereuses et éprouvantes, mais on en ressortait forcément grandi et plus au clair avec soi-même. Il s'auto-persuadait depuis si longtemps que ce n'était sans doute pas cette
conversation qui allait changer la donne, sans doute. Mais qui sait, peut-être qu'elle résonnerait plus tard, à un moment où il aurait besoin de se rappeler qu'un choix est toujours possible.

-Moi, par exemple, affirma Will sur le ton de la provocation, un fin sourire au coin des lèvres.

Bon, elle ne parlait pas forcément sérieusement, elle avait juste envie de le faire réagir, et le fait est, c'est vrai, que si il restait campé sur ses positions, s'il n'était pas prêt à se défaire de ses entraves familiales, alors, il ne l'aurait jamais, comme il semblait le désirer depuis le début de cette conversation. Parce qu'elle n'était pas de son monde, moins que ça encore... Mais dans tous les cas... elle ne devait pas l'avoir.

-Je crois qu'il vaut mieux que je te laisse à ton monde, ajouta-t-elle en se levant. Il est temps que je retourne au mien.

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ill mettait peut-être un terme un peu abrupt à la conversation, c'est vrai, mais en même temps, elle ne pensait pas qu'elle puisse obtenir plus de Terrence à l'heure actuelle, et elle était certaine que lui non plus ne pourrait pas obtenir plus d'elle. Au fond, elle espérait qu'elle aurait le loisir de le revoir, en d'autres circonstances, et qui sait, alors, ses propos auraient peut-être eu le temps de cheminer dans son esprit. En attenant, il n'y avait rien de plus à faire ou à dire, ils tourneraient en rond. Parce que s'il fallait vraiment leur trouver un point commun à tous les deux, c'était le fait qu'ils étaient bornés et s'il était possible de les déstabiliser, il était plus difficile de parvenir à leur faire adopter une autre position que celle qu'ils avaient décidé. Alors oui, peut-être que leurs chemins se croiseraient à nouveau, et alors, ils auraient d'autres choses à se dire. Ou bien peut-être qu'ils ne se croiseraient plus jamais, et alors, cette rencontre serait sans importance. Encore que Will n'en était pas sûre, parce que manifestement, Terrence lui faisait une forte impression... sinon, elle n'aurait pas laissé cette discussion durer si longtemps, elle aurait quitté cette table bien plus tôt. Alors que là, elle la quittait presque à contrecoeur, et manifestement, Terrence n'avait pas envie de la voir partir non plus. Il la retint par le bras, elle se surprit elle-même à frissonner à ce contact. Il soutenait qu'ils appartenaient au même monde. Mais il avait tort... Un tort légitime, il ne savait pas tout, il n'avait pas compris, encore... Ils étaient des ennemis naturels, pour tout ce qu'il avait bien voulu dire de lui, sans doute devrait-elle consentir à partager cela d'elle-même.

-Je ne suis pas comme toi, répondit-elle en détachant les yeux de son bras pour le lever vers le jeune homme qui cherchait à la retenir. Ce n'était pas déplaisant de le voir tant insister alors qu'elle n'avait pas forcément été très tendre avec lui, mais en même temps, il allait sans doute complètement changer d'attitude en comprenant une bonne fois pour toutes où elle voulait en venir, exactement. Je ne plaisantais pas, Terrence, je ne suis pas une sorcière. Je suis une moldue.

Bon, la première phrase aurait sans doute suffi, mais comme ça, au moins, c'était clair et net, et il n'y avait plus la moindre question à poser. Elle compromettait sa couverture, soit, mais elle ne pensait pas que ça lui causerait du tort dans l'immédiat. Et si dissimuler qui elle était était devenu un exercice quotidien pour elle, elle n'avait pas l'intention de jouer à ce jeu-là alors qu'elle venait d'exhorter Terrence à la sincérité.

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ill se doutait que la réaction de Terrence face à la vérité serait forcément... violente, impulsive, directe, et pas forcément agréable. Malgré tout, elle ne s'était pas attendue à ce que cette réaction lui fasse autant de mal. Ce geste de rejet, alors que sa main cessait brusquement d'agripper son poignet, devait la conforter dans tout ce qu'elle pensait déjà des sorciers. Ils étaient intolérants, violents envers les siens, irrécupérables. Elle avait voulu le regarder différemment. Séduite, elle s'était surprise à vouloir croire qu'il n'était pas comme tous ces proclamés sangs-purs qui s'endormaient sur leurs titres et prétendus mérites... Elle voulait croire qu'il saurait se remettre en question... Elle n'y croyait plus trop à présent. Il n'était peut-être pas pris au piège de convictions parentales, il n'était peut-être pas différent comme elle l'avait pensé. Il la méprisait, comme l'avaient méprisé ceux qui avaient assassiné ses parents de sang froid, comme la mépriseraient sans doute tous les sorciers à qui elle apprendrait qu'elle était une moldue... exception faite de Carlotta, bien sûr... mais en même temps, Will avait tout de même l'impression que dans le genre, son hébergeuse providentielle était aussi bien souvent méprisée. Ses yeux jusqu'ici baissé sur leurs bras se relevèrent pour se plonger dans ceux de Terrence, qu'elle regarda avec une immense dureté. Au moins, elle était fixée. Cette rencontre avait été une perte de temps, elle ne l'engageait à rien de bon. Elle se sentait à la fois déçue et humiliée. Deux sensations qui n'avaient absolument rien de plaisantes.

-Tu n'as pas besoin de me le demander.

Elle hésita à clôturer son propos par un "Adieu, Terrence" qui aurait sans doute fait beaucoup trop mélodramatique, mais elle s'abstint. Il ne méritait pas non plus le moindre mélodrame. En vérité, il ne méritait rien du tout. Et il n'y avait sans doute pas de quoi en faire tout un plat. Rien qu'une bête rencontre malheureuse qui n'avait pas la moindre chance de mener où que ce soit. Elle s'était laissé beaucoup trop facilement séduire par le baratin de ce beau jeune homme, elle avait voulu trouver des circonstances atténuantes où il n'y en avait aucune, parce qu'elle n'avait pas voulu admettre qu'il puisse lui plaire...pour rien. Juste parce qu'elle avait besoin de plaire, peut-être. Juste parce qu'il avait du charme, à son corps défendant... Il n'y avait pas besoin de donner à cette réponse une valeur qu'elle ne devrait pas avoir, qu'elle ne devrait jamais avoir. Sans prononcer le moindre mot, elle tourna donc les talons et quitta les lieux sans demander son reste. Elle espérait bien ne plus jamais croiser le chemin de son interlocuteur, ou alors elle ne savait vraiment pas ce qu'il adviendrait d'elle.

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