Un nouveau souffle. Voilà ce que Pomona avait gagné. Tout semblait plus simple et plus accessible à présent que la vérité avait été mise à jour auprès de ceux qui avaient la nécessité de l'entendre : la résistance savait qu'ils étaient toujours en vie, elle avait revu Henry, surtout, elle avait revu Seth... autant de situations qui ne pouvaient naturellement que lui redonner un peu de cette force qui avait eu tendance à lui manquer quand ils étaient à tâtonner jusqu'ici, victimes impuissantes d'événements sur lesquels ils ne réussissaient à avoir aucun contrôle.

En avaient-ils davantage à présent... ce serait trop s'avancer et faire preuve d'un optimisme excessif en l'affirmant. Certes, la situation était bien moins désespérée aujourd'hui qu'hier, surtout depuis que l'Ysbridion s'était joint à la danse. Mais il fallait rester cohérent et tout autant pragmatique. Rien n'était gagné. Ils n'avaient même pas remporté une bataille, alors la guerre, n'en parlons pas.

Ce qui n'empêchait pas Pomona d'être remontée en bloc. Le nez plongé dans un amoncellement de parchemins, elle griffonnait frénétiquement tableaux et schémas, ce qui avait toujours été sa manière bien à elle d'organiser ses pensées, et surtout de s'y retrouver. Les informations s'accumulaient, les options aussi, elle avait à coeur de les organiser selon la nouvelle configuration de la Résistance, du groupe des mangemorts, et de tout ce qui gravitait encore.

Elle était tout affairée à son ouvrage quand elle attendit la porte de la maison qui leur tenait lieu de quartier général s'ouvrir. Comme à chaque fois, Pomona se tendit. Depuis que le secret de leur cachette était ouvert à d'autres, il n'était pas rare qu'ils reçoivent l'une ou l'autre visite, le temps d'une mise au point, d'une réunion, ou autre, mais à chaque fois, c'était la même chose. La jeune femme appréhendait que le visiteur soit un intrus, ou pire, un ennemi. Les conséquences en seraient proprement désastreuses.

Elle tourna son regard vers l'entrée, se sentit soulagée en découvrant qu'il s'agissait d'Andreï. Soulagée mais pas moins surprise. Que faisait-il ici ? Il n'avait pas prévenu de son arrivée... S'était-il passé quelque chose ? Le statut d'agent double qu'endossait le vert et argent laissait place à bien trop de possibilités.

"Andreï ?" dit-elle en se levant pour l'accueillir. "Il s'est passé quelque chose ?"

-Salut.

Son ton était froid, mais au moins pas craintif, angoissé, ou quoi que ce soit d'autre qui puisse laisser soupçonner qu'il soit arrivé quelque chose de grave, qu'il ait découvert un élément significatif, positif ou non, ou que sa couverture soit en danger (ce qu'elle avait tendance à craindre constamment concernant Andreï).

Elle savait bien que cette situation était délicate, et pourrait bien n'être que ponctuelle, et Pomona, même si elle agissait d'une façon qui contredisait parfois la morale, tenait à protéger le statut et la couverture d'Andreï. Pour les bienfaits de la cause, avant tout, d'accord. Mais c'était ça qui comptait le plus dans tous les cas après tout, non ?

Elle attendait donc de savoir, bien consciente qu'il ne serait pas passé sans raison s'il n'avait pas une idée bien précise à l'esprit.

-Ca va être à toi de me le dire.

Bon, d'accord, en fait, il semblait qu'il l'accusait de quelque chose. Et même s'il avait de quoi, Pomona avait bien l'intention de s'en défendre, elle agissait pour la cause, elle faisait ce qu'elle devait, même quand des sacrifices étaient nécessaires.

Elle n'avait dérogé à cette règle personnelle qu'une seule fois. Une seul. Significative, mais seule. Et justement...

J'ai eu une discussion, avec Seth, tu sais, ton "collègue" mangemort.

Pomona sentit son coeur manquer un battement en entendant le nom de Seth. Seth, c'était son jardin secret, et elle aurait voulu qu'il le reste... Mais elle n'y comptait plus depuis que Christopher ou encore Henry étaient au courant (ce qui n'allait pas aranger ses affaires quand la vérité allait éclater).

Entendre Andreï le qualifier sans détour de "mangemort" en disait déjà trop long sur la suite de leur dialogue. Et elle sentait déjà peser sur elle le poids d'accusations qu'il n'avait pas encore formulées.

Est-ce qu'il était au courant ? La façon dont il avait prononcé le mot... "collègue"... Ou...

Il suffisait, au fond, de prononcer le nom de Seth pour l'accabler. Le fait qu'elle ne l'ait pas dénoncé quand Andreï lui avait appris toute la vérité, le fait qu'elle ait encouragé Seth à condamner June en dépit de l'amitié qu'il avait pour le jeune homme (et qui n'était de toute évidence plus à l'ordre du jour, sans doute grâce à elle)...

"Et donc ?" répliqua-t-elle d'un ton qui se voulait détaché, mais était, en réalité, bien loin de l'être.

Elle pensait savoir où ils se rendaient, et ça n'avait rien de bon pour elle.

-Et donc, je comprends mieux pourquoi il est toujours en liberté.

Au moins n'y avait-il plus aucun doute possible, Pomona ne voyait bel et bien qu'une seule façon d'interpréter les propos d'Andreï... Il savait que Seth et lui étaient... avaient été, disons (mieux valait que l'actualité de leur relation demeure un secret pour tout le monde, même si ce le serait difficilement pour McDowell, qui avait organisé leurs retrouvailles), ensemble.

Elle n'était pas étonnée qu'il le prenne de cette manière... et il avait de bonnes raisons, en effet. Il avait dû tirer de ces révélations et des circonstances les conclusions qui s'imposaient... et Pomona avait foi dans les capacités de déduction du jeune homme. Il avait sûrement compris.

Ce qui étonnait davantage Pomona, c'est que Seth se soit ainsi confié à qui que ce soit sur la nature de sa relation avec elle... mais en même temps, ce n'était vraiment pas le plus important, dans l'affaire.

Les premières accusations d'Andreï tombaient déjà, et c'était d'autant moins plaisant qu'elle ne pouvait pas vraiment le contredire : oui, Pomona n'avait pas dénoncé Seth, et oui, elle aurait dû le faire, elle n'avait pas la moindre excuse pour cela.

Je te vois encore me faire la morale parce que j’aurais dû te dire que c’était un mangemort, pour la Résistance… mais t’en avais rien à foutre, de la Résistance. T’as pensé qu’à toi.

Là, en revanche, Pomona n'était vraiment pas d'accord. OK, c'est vrai qu'elle avait manqué de l'objectivité et de l'intégrité qu'on attendait d'elle dans cette affaire, mais en attendant, ce serait mentir que de prétendre que la résistance n'était pas sa priorité.

Elle avait tout sacrifié à la résistance, elle en avait fait son fer de lance, son combat quotidien. Qu'un accès de faiblesse condamne tous ses autres actes, qui eux avaient toujours été tournés vers le même objectifs, ce n'était pas agréable.

Tout le monde te vois comme un putain de messie, mais en vrai, t’es juste une menteuse et une manipulatrice née, tu vaux pas mieux que lui.

D'accord. Elle en prenait pour son grade. Elle ne pouvait pas dire qu'elle ne l'avait pas cherché. Est-ce que vraiment, tout le monde la prenait comme une sorte de "messie" ? Elle en doutait, mais elle savait qu'on lui conférait une importance qui dépassait ce qu'elle se serait jamais cru capable d'endosser.

Elle redoublait d'efforts, chaque jour, pour être à la hauteur de ce que l'on attendait d'elle... mais ça ne suffisait pas toujours. Elle n'avait pas demandé à tenir ce rôle, on le lui avait attribué. Mais ce serait mentir que de prétendre en revanche qu'elle l'avait refusé.

Entendre qu'elle ne valait pas mieux que lui... (lui, Voldemort ? Seth ? Qu'importe) Honnêtement, elle en avait assez d'entendre cette myriade d'accusations à son égard. Elle n'en avait pas tant mérité.

Avoue que t’aurais pu sauver June. T’as juste été égoïste.

Bien sûr. Pomona l'attendait, le moment où il parlerait clairement du sujet qui l'affectait vraiment. June, bien sûr. Il était évident qu'il s'agirait d'elle. Et c'était elle l'égoïste.

"J'aurais pu sauver June.", décida-t-elle de répliquer de but en blanc, d'un ton calme et posé, pour contraster avec la colère affichée d'Andreï. "Seth m'a parlé de cette affaire, de ses soupçons. Et je l'ai encouragé à arrêter June." Son interlocuteur n'allait pas aimer, tant pis. "C'est simple, Andreï, soit je laissais accuser June, soit je prenais le risque qu'en creusant plus loin, on découvre ton implication dans le décès de ta mère. Alors oui, plutôt que de vous envoyer tous les deux à Azkaban, je t'ai protégé. Appelle ça de l'égoïsme, mais sache que je ne l'ai pas fait pour toi mais pour cette résistance de laquelle je n'aurais selon toi rien à faire."

-Eh bien la résistance va se passer de moi. Hors de question que je continue.

La réaction d'Andreï n'avait rien d'inattendu. Elle n'était pas acceptable pour autant. Pomona se doutait bien qu'à trop tirer sur la corde, celle-ci pourrait bien céder. Andreï était un espion au-delà d'efficace, et sa capacité à passer entre les mailles du filet un peu plus chaque jour l'impressionnait honnêtement. Il avait fait preuve de self-control et de stratégie, des qualités qu'elle n'avait pas songé à lui prêter avant de mieux le connaître.

Mais malgré tout, Andreï restait un jeune homme fragile. C'était un fait que Pomona n'avait jamais ignoré, mais qui se confirmait bel et bien en la circonstance. Cela se comprenait. Avec tout ce qu'il avait vécu, n'importe qui serait fragilisé... et il avait au moins fait le choix de s'emparer de sa colère, de sa rancoeur... et de l'utiliser au meilleur escient, jusqu'à maintenant.

Il était hors de question que la Résistance se prive d'Andreï, ils avaient besoin de lui, de quelqu'un de parfaitement infiltré parmi les mangemorts, qui puisse les informer du mouvement de l'intérieur. Ils ne pouvaient certainement pas passer à côté d'un outil de cette ampleur.

- Tu peux pas disposer de la vie des gens comme tu l'entends, putain...

Non, et c'était bien le souci. Parfois, Pomona se surprenait à penser que tout serait plus simple de cette façon. Mais il fallait ménager avec les états d'âme et les sentiments de chacun, y compris les siens à elle, et c'est là que le socle sur lequel reposait toute leur organisation pouvait être fragilisé, voire céder.

Ce n'est pas qu'elle voulait disposer de la vie des autres, elle se battait même pour la liberté de chacun, mais parfois, elle avait le sentiment qu'à moins de combattre le feu par le feu, ils n'avanceraient jamais. C'était contesté, c'était contestable, mais Pomona n'avait jamais prétendu être une sainte, un messie ou quoi que ce soit, elle se contenter d'analyser chaque situation et d'en retirer la solution qui lui semblait la plus viable à l'application.

"Arrête, Andreï.", soupira Pomona. "Tout ça, ça va au-delà de toi, de moi ou de June et tu le sais très bien. Tu l'as vu de l'intérieur, tu le sais mieux que personne." Elle marqua une légère pause. "Tu peux partir si tu veux, la Résistance te garantira sa protection malgré tout. Je n'ai jamais empêché qui que ce soit de partir si c'était trop difficile." Ce qui était vrai, personne n'avait l'obligation d'être lié à la résistance pour toujours. Mais elle ne voulait surtout pas qu'Andreï s'en aille. "Mais tu te trompes d'ennemi."

-J'en suis pas si sûr.

Ce qui était compréhensible en soi, en effet. Pomona avait déjà menti par le passé à Andreï, rien ne pouvait lui garantir qu'elle n'était pas en train de lui mentir de nouveau au bout du compte... C'était légitime que de se poser des questions et de ne pas vouloir se faire avoir.

Cela dit, Pomona trouverait assez injuste d'être ainsi jugée sur son comportement, qui au fond n'avait visé qu'à défendre les intérêts de la Résistance, justement (même si la méthode pouvait paraître parfaitement contestable, ce que la jeune femme voulait bien admettre), comme si cela discréditait tous les efforts qu'elle avait fait jusqu'ici.

Elle ne voulait pas passer pour un héros ou un martyre, mais c'était vrai qu'elle avait donné sa vie à la résistance. Alors oui, elle n'avait pas été correcte, et surtout, elle s'était laissée dépasser par ses sentiments pour Seth, mais ce n'était pas pour autant qu'elle ne savait pas reconnaître ses priorités. Elle savait pertinemment ce qu'elle devait faire ou non, ce qui importait ou pas. N'en déplaise à son interlocuteur... qu'elle voulait tout de même convaincre de rester.

J'ai plus confiance en toi, je sais même pas si t'es vraiment de notre côté.

Pomona serra les poings. Que son intégrité soit remise en cause, c'était vraiment trop pour elle, surtout après tout ce qu'elle avait fait. Elle considérait franchement qu'elle méritait bien mieux que ça. Et en tout cas un minimum de considération, c'est sûr.

"Pense ce que tu veux de moi, Andreï, mais je t'interdis de remettre en cause mon implication ici." Sa voix tremblait légèrement, et elle n'aimait pas ça. Elle n'allait tout de même pas se laisser décontenancer, si. "J'ai failli mourir pour la Résistance, alors ne commence pas à me dire que je prends ça à la légère, que je suis passée à l'ennemi ou je ne sais quoi..."

Elle tenta de se contrôler un peu. Elle ne voulait pas non plus que cette situation vire au pugilat. Ils avaient tous deux leurs torts, et elle n'allait pas prétendre que les griefs à son encontre étaient sans fondement. Elle était seulement lasse de justifier son comportement, encore et encore.

-Je te dis ce que je pense, c'est tout.

Possible, oui… Possible également qu’il parle sous le coup de la colère et qu’il ne pense pas absolument tout de ce qu’il disait. Dans tous les cas, ils n’étaient pas dans les bonnes conditions ni dans les bonnes dispositions, pour s’exprimer posément, que ce soit l’un ou l’autre. En tout cas la jeune femme avait le sentiment que son interlocuteur s’était un peu calmé, et elle considérait que c’était un bon début, que c’était même une excellente chose.

Et s’il le pensait vraiment ? Sa franchise était tout à son honneur, dans ce cas, mais il faudrait tout de même qu’elle parvienne à inverser la tendance, d’une façon ou d’une autre. Elle pensait quand même qu’Andreï avait l’intelligence de savoir pour quoi il devait se battre, de comprendre ce qui importait précisément.

Faut que je réfléchisse. Honnêtement, je sais plus ce que je veux faire, là...

Même si cette réponse n’était pas forcément très engageante, Pomona la trouvait plutôt encourageante, en réalité. Elle préférait cette réponse à un désistement définitif de la part de son interlocuteur. Il allait y réfléchir, et elle pensait qu’en pesant le pour et le contre, il comprendrait où se trouvait son intérêt, il comprendrait que la cause qu’il défendait transcendait toutes leurs considérations personnelles, le moindre de leurs problèmes.

Elle pourrait insister, lui donner une foule d’arguments afin de lui faire comprendre que sa place était auprès de la Résistance, mais elle se disait que plus elle s’obstinerait à le convaincre, moins il serait réceptif à son message. Plus elle insisterait, moins il se laisserait convaincre, ne serait-ce que par esprit de contradiction, parce qu’elle était la dernière personne dont le jeune homme puisse vouloir écouter les conseils.

Elle hocha donc seulement la tête avec gravité. Elle avait dit qu’elle le laisserait libre de ses choix, et c’était le cas. Ce même si, au fond, elle savait pertinemment ce qu’elle attendait de lui. Et ça ne changerait bien évidemment pas.

"Comme tu voudras", se résigna-t-elle donc simplement.

La jeune femme n’avait rien à ajouter. Andreï devait faire la part des choses, réfléchir à la situation. Et Pomona ne pouvait pas grand-chose de plus pour lui. Elle l’observa un moment. Elle ne savait pas s’il était définitivement calmé ou si elle devait s’attendre à une nouvelle crise de nerfs de sa part. Dans le doute, elle restait sur ses gardes.

"C’est tout ce que tu avais à me dire ?"