Je n'ai pas du tout réfléchi. Je n'ai pas de façon censée d'expliquer mon geste. C'est de revoir Norbert, c'est de croiser la route de Porpentina... ça a comme ravivé une vieille blessure, ravivé une rage ancienne que je n'arrivais plus à faire taire alors. J'ai considéré lucidement ma vie, puis j'ai prêté attention à la sienne, et je me suis alors sentie comme submergée d'une rage folle et improbable. On peut le dire, j'étais en état de crise. De celles que je commence à un peu trop bien connaître au fil du temps. Mais si l'initiative a été faite dans ce genre d'accès de colère... eh bien, le geste en lui-même a été totalement contrôlé. Les jours ont passé, mais ma détermination, farouche, est demeurée exactement la même. J'avais besoin de prendre une revanche, pas sur eux mais sur la vie. J'avais besoin de faire mal, de marquer ma présence dans leur vie par l'absence de leur rejeton. Alors j'ai agi.

J'ai attendu, patiemment, assise sur un banc, engoncé dans ma veste sombre et mon chapeau dissimulant mon visage (on n'est jamais trop prudent) que le Poudlard-Express ramène les élèves vacanciers jusqu'à la gare de Pré-au-Lard. Finalement, le train s'est arrêté, les élèves sont sortis, et je l'ai repéré. Le petit ange... Enfin, le gosse au visage d'ange, en tout cas, à qui on donnerait sûrement Merlin sans concession. Le portrait craché de son père... Cette pensée réveille en moi des sentiments contraires. Mais dans tous les cas, j'agis avant tout. Discrètement, je m'avance vers lui, suffisamment pour que mon sortilège de confusion l'atteigne lui et personne d'autre. Et ça marche, égaré comme je le souhaite, il erre sur le quai jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que nous deux. Alors, j'attrape son bras et je le fais transplaner jusqu'à mon appartement. Sur place, je lui ai fait boire une potion, juste ce qu'il faut pour l'endormir un peu. Il est chez moi, mais j'ai pas la moindre idée de la manière dont je vais m'occuper de lui. Je n'ai pas tant cherché à me l'accaparer qu'à attendre les conséquences. Quelque part, je rends un fier service à Norbert, même si je doute qu'il l'envisage ainsi, évidemment. Je pense le connaître encore assez pour le savoir, en l'occurrence.

En attendant qu'il se réveille, je me prépare un thé et feuillète le dernier exemplaire de la Gazette du Sorcier que j'ai acheté le matin même. C'est alors que j'entends du mouvement. Je tourne mon regard vers le couloir, où Hyppolite tentait visiblement de passer discrètement. Dommage pour lui, j'étais aux aguets.

-Ah, tu es enfin réveillé, je m'exclame dans un léger sourire. Je l'observe un instant avant de reprendre. Viens, approche, je ne vais pas te manger, tu sais.

Je prends tout mon temps pour dévisager ce gamin avec lequel je vais devoir combiner dans les temps à venir... qu'est-ce qu'on ferait pas pour... Pour quoi d'ailleurs ? Se venger ? Attirer l'attention ? Se sentir vivant ? J'aurais du mal à répondre concrètement à cette question, mais en attendant, la situation est telle qu'elle est. Le gamin est là, transi de peur, et je dois faire avec. On ne peut pas douter, en le regardant, du fait qu'il est le fils de son père, il lui ressemble beaucoup au même âge. La même absence d'assurance se laisse découvrir aussi. Mais ça doit être bien logique, au fond, quand on découvre avoir été victime de kidnapping. N'ayant jamais connu cette situation moi-même, je ne peux jamais que le présumer, mais je m'en doute tout de même. En attendant, le pauvre gosse a l'air désemparé et terrifié. Il m'attendrirait presque, surement parce qu'il me fait penser à son père, d'ailleurs. Mais ce n'est pas pour autant que je compte changer mon fusil d'épaules, ça va sans dire.

-Je m'appelle Leta, réponds-je sans prendre la peine de me cacher sous un faux nom. Tout l'intérêt de mon petit stratagème réside dans le fait qu'on finisse par connaître l'identité de son auteur. Oui, cela risque de m'attirer à nouveau des ennuis, et moi qui ai à peine quitté Sainte-Mangouste, je n'ai pas forcément envie d'y retourner. Mais je suis dedans, maintenant, alors je ne peux plus faire marche arrière. Je suppose que tes parents ne t'ont jamais parlé de moi. Et c'est bien dommage, moi, je trouve que je vaux la peine d'être connu, quand même. Mais je les connais bien, ton père, surtout. Je marque une légère pause. Il m'a pris beaucoup de choses... je trouvais équitable de lui rendre la pareille.

C'est une explication comme une autre, moi-même ne suis pas certaine qu'elle soit la bonne, mais elle fera très bien l'affaire. Tout ce que je veux pour le moment, c'est faire la connaissance de ce fichu gosse que je vais le faire pendant un bon moment.
-Tu t'en doutes, tu es chez moi. Je marque une pause. Viens t'asseoir, ça ne sert à rien de rester debout, ou de t'enfuir, d'ailleurs, j'ai pris mes précautions.

Au fond, j'aurais bien aimé que les propos que je viens de prononcer attisent suffisamment la curiosité de mon jeune interlocuteur pour qu'il m'assomme de questions concernant ses parents. J'aurais pris un immense plaisir à lui dire la vérité, ma vérité, du moins, devrais-je dire, mais je considère qu'elle a tout autant de valeur que celle de mes détracteurs. Sauf que le "pauvre petit" est encore trop mal et trop intimidé, visiblement, pour poser les questions évidentes. En lieu et place de cela, il me pose d'autres questions. Elles sont peut-être évidentes aussi, mais l'ennui avec celles-là, c'est que je n'ai pas la réponse. Je déteste vraiment être incapable de ça. Cette confusion, dans ma tête, ça m'évoque mes crises les plus violentes, et je ne veux pas y céder. Je n'ai pas du tout envie de retourner à Sainte-Mangouste... ni à Azkaban, dans le pire des cas, encore moins pour le plaisir de ce petit morveux... mais en même temps, c'est quand même légitime qu'il se demande ce que je compte faire de lui. Même si j'en ai foutrement aucune idée. Je n'ai pas réfléchi, j'ai agi, c'est tout.

-Qui a dit que j'allais te faire quelque chose ?

D'accord, en posant cette question, je suis de mauvaise foi, puisqu'il est manifeste que j'ai bel et bien fait quelque chose, déjà, sans quoi il ne serait pas là, en ma présence, quand il devrait être à Poudlard auprès de ses petits camarades, à se plaindre de son père absent, qui l'est pour de bonnes raisons qu'il ne peut évidemment pas comprendre, que moi j'ai toujours comprises. C'est l'une des choses qui m'apparaissent le plus absurdes dans tout cela. Je l'ai toujours compris, moi, j'ai compris sa passion, sa soif d'horizon et de solitude, son incapacité à mener une vie de famille. Norbert n'a jamais été un père, ni un mari. On a voulu le cantonner à ce rôle, mais moi je sais vraiment qui il est. Mais ça ne répond pas à sa question. Dans tous les cas, je ne sais pas, non, ce que je vais lui faire.

-Selon toi, qu'est-ce que j'ai comme intentions à ton égard ?

Je suis très curieuse d'entendre sa réponse. En fait, je trouve cette tournure bien plus amusante.

Comme il est mignon, à faire mine de rassembler un courage qu'il ne possède pourtant pas dans l'espoir de me tenir tête. Est-ce qu'il pense vraiment qu'il suffit d'agir de la sorte pour que je le libère ? Non, bien sûr que non. D'ailleurs, je ne sais même pas quelles seront les conditions de sa libération (s'il doit vraiment y en avoir, mais ce n'est pas dit, je vais peut-être juste me contenter d'attendre et le rendre à ses parents une fois que je me serais assurée que leur petite famille était bien éclatée en ce qu'il fallait de nombreux morceaux. Ce que j'ignore, c'est qu'il ne m'ont pas du tout attendue pour commencer ce travail de leur côté. Et avec brio, c'est à noter), alors il ferait bien juste de se calmer et d'attendre que le temps passe. Cela dit, j'aime bien sa petite tentative, j'ai vraiment l'impression de retrouver Norbert à son âge, je me demande s'il se rend compte de combien il lui ressemble. Je me demande s'il apprécierait de l'entendre. Peut-être pas, en vérité ?

-Ne fais pas semblant, tu n'as même pas encore passé l'âge de quitter les jupons de ta mère, je réplique avec un sourire amusé.

D'une, il n'y a pas d'âge pour les devinettes de toute manière, de deux, je pense bien qu'Hyppolite est un candidat idéal à ce genre d'exercice, quoi qu'il puisse prétendre. Je trouve charmant qu'il fasse mine d'être ce qu'il n'est pas pour se donner une contenance, mais il faudra quand même qu'il admette les fait, et que cela lui plaise ou pas. De toute manière, il ne va avoir que cela à faire dans les prochains temps, alors je me dis que ça a tout de même de bonnes chances de lui rentrer dans le crâne, à un moment donné. En attendant, pour passer ce temps, j'ai bien envie de le connaître un peu mieux. Mais je sens bien qu'il ne va pas facilement se laisser faire, pas grave. Moi aussi je n'ai que ça à faire, alors je peux bien tuer le temps en essayant de le bousculer un peu. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de bien difficile à faire, donc tant qu'à faire.

-C'est fou comme tu ressembles à ton père. Il était comme toi, à ton âge. Je pousse un soupir. Je t'ai déjà dit de venir t'asseoir, qu'est-ce que tu attends ?

Enfin, le mioche consent à s'asseoir. Bien, tant mieux. Il commençait vraiment à m'agacer, à rester debout, comme ça. Je veux bien qu'il soit stressé, qu'il ne comprenne pas ce qui lui arrive, que ça ne lui plaise pas. Mais qu'il s'agite ou pas n'y changera rien, donc autant qu'il prenne sur lui, hein ? J'entrevois déjà en cet instant comme sa présence risque de m'incommoder à plus d'un titre dans les prochains jours (voire les prochaines semaines, je ne sais pas encore trop à quel moment je vais accepter de rendre le garnement à ses parents ni sous quelles conditions précisément), il va falloir que j'envisage de mandater quelqu'un pour prendre la relève quand j'aurais besoin de souffler un peu, car je sens que le gamin va m'épuiser sans même avoir besoin de faire quoi que ce soit de particulier. Juste par sa simple présence. Un tour de force, pas vrai ? Et pourtant, il est relativement calme par rapport à ce qu'il pourrait être. J'oublie pas que je suis face à un gosse qui vient de découvrir qu'on le séquestre, pas de quoi sauter au plafond, je peux l'entendre, je peux le concevoir. Dans une certaine mesure... Mais en même temps, je ne pense pas que ce soit à moi de faire des efforts pour autant. A force de faire des allusions pas subtiles à ses géniteurs, il accepte enfin de me demander comment je les connais. Mes lèvres s'étirent en un sourire honnête. Cette question, j'avoue humblement que je l'attendais, que je l'espérais, parce que j'aimerais bien saper l'opinion qu'Hyppolite peut avoir de ses parents, même s'il ne m'a pas attendu pour cela, en fait (brave petit).

-Ton père et moi avons été à Poudlard ensemble. Nous étions très proches, tous les deux. Je marque une légère pause. Puis il a changé... Il m'a trahie et n'a plus eu qu'une seule chose en tête... mais tu dois savoir de quoi je parle.

Lui, l'adolescent en perte de repère, fruit de sa génération, tout disposé à la révolte contre une figure paternelle qu'il avait jusqu'alors estimée et portée aux nues. Forcément, j'en profite et ne m'en cache pas. Je compte encourager des démons qu'il possède déjà. Avec fierté. Je veux lui détruire le moral et ses restes de conviction avant de la rendre à ses parents.

Mon sourire s'élargit quand j'entends Hyppolite me rétorquer que l'enlever n'est pas la meilleure manière d'attirer l'attention de son père, puisque justement, de l'attention, Norbert ne lui en accorde pas... Je n'en étais pas certaine, mais j'aurais parié là-dessus, et ça me confirme ce que je pensais déjà : Norbert n'a jamais été fait pour être père, l'existence même d'Hyppolite est une totale aberration, une absurdité sans nom. Forcément, le jeune garçon exagère, je n'aurais quand même pas la bêtise de croire que Norbert ne constaterait pas l'absence de son propre fils, mais je pense que l'électrochoc ne fera pas de mal à mon... vieil ami. Il va réaliser que le rôle de père ne lui convient pas, il va comprendre qu'Hyppolite est une erreur de parcours, ses relations avec Tina vont se déteriorer, toutes les fondations déjà fragiles de sa petite vie de famille vont s'effondrer, et moi je vais en rire et me délecter du spectacle. Le propos du petit poufsouffle me confirme ce que je pensais déjà, et donne du sens à ma décision prise totalement sur un coup de tête. Du coup ça me va très bien.

-Ce n'est pas des paroles élégantes pour un gosse de ton âge, répliqua-t-elle, même si elle ne s'en offusquait pas et s'amusait plutôt de se dire que le gamin devait se dire qu'il était ultra-dissident en utilisant des noms d'oiseaux comme celui-là. Je n'ai pas l'intention de lui demander de contenir son langage pour autant. Contrairement à ce que tu pourrais penser, je ne fais pas ça pour "emmerder" ton père (sa mère, en revanche, c'était peut-être autre chose), je fais ça pour lui ouvrir les yeux.

L'électrochoc est un peu tardif, même si je l'estime nécessaire depuis longtemps. C'est sûrement le fait d'avoir revu Norbert et Tina récemment qui m'a décidé à passer à cet extrême qu'on trouvera peut-être un peu violent. Mais dans électrochoc, il y a choc, il faut que le coup soit vif, brutal et totalement inattendu et je pense que je ne m'en suis pas si mal sortie. Moi-même je ne m'y étais pas attendue, alors ça veut tout dire

A force de m’agacer au sujet de mon petit kidnappé, je n’ai pas vraiment cherché à cerner les points communs qu’il peut avoir avec son illustre père, mais là, pour une fois, je les trouve assez flagrants. Bon, nous faisons à peine connaissance et je n’ai pas les meilleurs a priori du monde sur ce gosse, il est normal que je ne l’ai pas forcément envisagé de cette façon-là, mais au moins, il a hérité de son paternel la qualité que je lui trouve la plus importante, donc une curiosité à l’épreuve des situations les plus dangereuses. Cette curiosité qui peut pousser Norbert à faire le tour du monde en solitaire pour approcher des créatures réputées très agressives, il l’a à sa façon en acceptant d’écouter ce que sa kidnappeuse peut avoir à lui dire sur les raisons de son enlèvement. Il en demande même plus que ce que j’avais l’intention de lui accorder. J’apprécie, même si je n’ai pas l’intention de répondre malgré tout.

Je veux bien lui laisser des pistes, mais c’est surtout des questions que j’aimerais bien le voir répéter à ses parents, et pour ça, je sais qu’il faut que j’en dise juste assez pour que les pensées moulinent dans sa petite tête, mais pas beaucoup plus, sans quoi ça pourrait finir par être assez dangereux pour moi. Je ne suis pas sûre qu’il goûte à toutes les subtilités de mon histoire. Parfois, souvent, je me dis que je suis la seule à les comprendre, et je trouve cela dommage, car elles sont totalement édifiantes selon moi. Je vais donc me contenter d’une réponse qui ne va pas plaire à Hyppolite (en même temps ce n’est pas le but) et qui aura peut-être en plus, cerise sur le gâteau, le don de l’angoisser un peu. Je l’espère bien, puisque c’est là précisément ce que je souhaite. Et si l’intimidation peut faire qu’il se tient à carreau, j’y aurais tout gagné.

-Sur le fait que ton existence est une erreur, Hyppolite, je réponds alors avec un air de satisfaction sur le visage.

Je le toise et m’amuse d’avance de sa réaction, même si elle ne sera peut-être pas aussi cocasse que dans mes pensées. Les pensées ont parfois bon dos et bon usage. En même temps, même si je m’amuse à le faire réagir, ce n’est pas pour autant que je ne pense pas ce que je dis. L’existence d’Hyppolite est bel et bien une erreur. Moi, je ne fais que la réparer.

Mais c'est qu'il serait capable de mordre, le petit humain. C'est dingue, tout de même ! Je me demande si ce sont ses parents qui lui ont appris ses mauvaises manières, mais comme je n'imagine ni Norbert, ni Goldstein (elle a beau être devenue une Dragonneau, elle restera toujours une Goldstein à mes yeux) tenir ce genre de langage. Je pense qu'il a dû se faire son éducation tout seul dans son coin, sûrement parce que personne ne s'est soucié de la faire pour lui au préalable, tout le monde dans son coin. Alors forcément, ce n'est pas pour rien que la situation est ce qu'elle est, et ce n'est pas pour rien que j'affirme et répète que ce gamin ne sert à rien ni à personne. Il peut bien jouer à un jeu puéril de "c'est celui qui dit qui est", mais ça ne change rien à ce que je pense. De toute façon, son comportement n'aura pas d'incidence sur la suite, ce n'est pas question. Je souris quand même quand elle me dit qu'il a de meilleures raisons d'exister que moi. Je n'ai pas dit le contraire. Mais ce n'est pas pour autant qu'il a raison. Au contraire.

-Tu es mignon, je remarque avec un sourire grinçant. Je suppose qu'il est mignon au sens le plus strict du terme. Mais la vérité, c'est qu'il m'agace. Il parle trop. Je crois que je préfèrerais juste qu'il soit... terrifié et muet, parce que là, je ne sais pas dans quoi je me suis embarquée, exactement, mais j'ai comme la sensation que je le regretterais à plus d'une reprise, au final. Mais tu es un peu idiot, j'ajoute sans considération. Et fatigant. J'ai libéré une chambre rien que pour toi. Qu'est-ce que tu dirais d'aller voir ailleurs si tu t'y trouves ?

Je sais qu'il va bien falloir que je me le coltine à d'autres moments. Mais là, pour l'instant, ce que je veux, c'est qu'il me laisse respirer un peu. J'ai toujours eu besoin d'avoir mon espace rien qu'à moi. Je n'ai pas su faire autrement que de le partager, parce que je ne savais pas où le mettre ailleurs.

Parfois, la stratégie a du bon. J'avoue, j'en ai manqué.