Lou avait hésité. Si elle trouvait un certain attrait aux habituelles sorties à pré-au-Lard, elle y avait perdu goût, dernièrement... ce qui allait certainement avec la manière globale qu'elle avait de percevoir les choses, le monde qui l'entourait, et les autres, aussi.

C'était comme se réveiller d'un sommeil apaisant, mais aux rêves beaucoup trop dangereux (et dont elle avait toujours connu les dangers, même s'il avait été plus simple de prétendre qu'ils n'existaient pas, ou qu'ils n'avaient pas d'importance). Et dans le monde des éveillés, toutes ses habitudes étaient vaines, tous ses sentiments étaient biaisées, toutes ses émotions étaient... fausses. Au point qu'elle ne supportait plus rien ni personne.

Tom lui manquait, c'était un constat quotidien, mais les moments qu'ils partageaient avant, eux, ne lui manquaient pas. Ce n'était jamais ce qu'elle avait préféré dans leur relation - ou devrait-elle dire ersatz de relation -, non, elle préférait... l'attente de ces moments, la façon toute singulière qu'elle avait de les idéaliser, elle aimait... aimer... Et cette comédie réconfortante, quelle avait depuis oubliée.

Pour le reste... Ses camarades l'agaçaient, et ses présumés amis plus encore, à commencer par Inès. Elle ne l'aurait jamais cru elle-même tant elle avait été capable de l'admirer, mais leur dernière conversation lui restait en travers de la gorge et n'avait que peu de chance de s'effacer en un coup.

Alors ce n'était certainement pas pour leur compagnie ou passer du temps avec eux qu'elle avait décidé de se rendre à Pré-au-Lard, plus parce qu'elle avait besoin de changer d'air, et qu'elle espérait vaguement, justement, pouvoir avoir affaire à d'autres personnes. Ce n'était pas forcément, ni le lieu, ni le milieu idéal, mais une tentative pour du beurre restait une tentative malgré tout.

Sans but particulier à l'esprit, elle errait de boutiques en boutiques, sans vraiment avoir quoi que ce soit à acheter, d'ailleurs, une manière de s'occuper l'esprit et de prétendre ne pas être en train de ne rien faire. Elle n'avait besoin que de marcher ou regarder quelqu'un plus de deux secondes pour s'attirer des commérages inutiles, alors après tout... Le regard égaré, elle n'avait pas remarqué qu'on la suivait de près. Elle n'avait pas davantage attention au vendeur qui décida de l'interpeller. Et pas elle seulement.

- Mesdemoiselles, je peux vous aider?

Tout comme Miyria, Lou eut le réflexe de se tourner vers l'autre "mademoiselle" avec qui il avait cru qu'elle se trouvait. Elle l'observa, lui donna le sentiment de la reconnaître. Lou, elle, éprouvait un sentiment étrangement familier. Et de toute évidence, oui, elle était supposée la connaître, apparemment.

- Lou était là avant moi, je peux attendre..

Lou se tourna vers le vendeur, se contenta de lui adresser quelques mots pour lui dire qu'elle ne faisait que regarder, puis porta son regard sur Miyria.

"Excuse-moi... on se connaît ?"

- Ah oui, ce sont les cheveux, c'est ça?

Lou fronça les sourcils. Les cheveux ? Comment ça, les cheveux ? Enfin, il ne fallut pas longtemps pour qu'elle comprenne, ou en tout cas pour que son interlocutrice joigne le geste à la parole, rendant tout à coup son propos plus limpide.

L'espace de quelques courtes secondes, une cascade de cheveux longs et blonds glissèrent le long de sa nuque, et tout à coup, oui, le lien devint plus simple à faire. Elle n'irait pas jusqu'à dire, pour autant, que son amie d'autrefois était devenue d'un coup identique au souvenir qu'elle avait d'elle, non, parce que quelque chose en elle avait tout de même radicalement changé, au-delà de ses cheveux ou de ses yeux, quelque chose d'indicible. Mais malgré tout, oui, face à cette démonstration, elle comprit, avant même que la jeune femme ne reprenne la parole.

-C'est moi, Miyria, Miyria Alliane.

Lou ne savait pas finalement ce qui était le plus improbable. Qu'elle n'ait pas réussi à la reconnaître d'emblée, qu'elle la croise après tout ce temps, alors qu'elle s'était plus ou moins fait à l'idée qu'elle ne la reverrait plus jamais (sans forcément s'en attrister d'ailleurs, elle avait fait une croix sur elle bien avant que celle-ci ne disparaisse du jour au lendemain), ou qu'elle s'adresse à elle comme si des années d'animosité puis d'absence n'avaient pas rendues impossible la moindre conversation entre elle.

Va savoir ce qu'elle avait fait durant ce long silence radio, mais il était évident qu'elle en était ressortie changée, et ce n'était définitivement pas qu'une question de coupe et de couleur de cheveux.

Quel hasard de se croiser ici, comme ça, quand même, surtout après tant de temps...

Comme pour s'occuper les mains, sans doute pour ça, Miyria s'affairait à récupérer des objets au hasard des étalages en ne faisant sans doute que prétendre y trouver de l'intérêt. Lou serait tentée de faire de même de son côté, mais ça n'allait pas forcément les avancer.

Seulement, après tout ce temps, hasard ou pas... elle les imaginait bien davantage s'ignorer, et elle était étonnée de la facilité avec laquelle son interlocutrice l'avait rappelée à son bon souvenir alors qu'elle avait eu une occasion en or de filer de son côté sans que jamais la vert et argent réalise face à qui elle s'était trouvée.

"J'avais cru comprendre que tu avais quitté l'Angleterre...", finit-elle par articuler avec ce qu'il lui semblait falloir de distance adéquate, à la fois curieuse de sa réponse et peu convaincue de sa question.

On a beau dire que le hasard fait bien les choses, Lou, pour sa part, avait en fin de compte rarement eu l'occasion de le constater.