Si je comprends très bien l'opinion des asociaux qui préfèrent demeurer seuls et fuient à tout prix toute interaction sociale, il est évident en revanche que je ne me reconnaîtrais jamais en eux. Moi, j'ai besoin de contact humain, j'ai besoin de parler, constamment, sans doute trop, même, j'ai besoin de ce brassage de pensées, de paroles et d'opinion. Depuis que Will vit sous mon toit, je suis servie de ce côté-là, et ça me convient très bien, je dois le dire. Rien ne me satisfait plus que d'avoir quelqu'un avec qui échanger de bon matin, et tant que ma protégée ne se lassera pas de moi, elle ne devrait pas compter sur moi pour me lasser d'elle. En attendant, donc, oui, j'adore parler aux autres, mais aussi écouter ce que les autres ont à me dire, car certaines conversations savent me faire évoluer en même temps que m'enrichir (moralement, j'entends, n'imaginez pas qu'on me rémunère pour être un moulin à paroles de compétition), et cela à plus d'un titre. Tenez, par exemple, ma dernière conversation avec Lyzzie a ravivé ma volonté de lancer une action que j'ai à l'esprit depuis un moment mais pour laquelle je n'avais encore rien mis en place.

Les questionnements de mon amie m'ont rappelé l'importance que cela aurait de rendre obligatoires les cours d'étude des Moldus (et de ne pas attendre la troisième année d'étude à Poudlard pour les dispenser, au passage), et je me dis que je devrais m'y pencher sérieusement pour pouvoir envisager une mise en place d'ici la rentrée scolaire prochaine (je fais des plans sur la comète, je le sais, mais c'est plus fort que moi, j'ai toujours procédé de cette façon-là en réalité, et parfois, à quelques occasions assez rares, ça m'a réussi). Mais pour cela, je sais que je dois faire une enquête de terrain, pour développer un argumentaire en béton armé. J'ai donc choisi de venir à Pré-au-Lard un week-end où j'ai appris qu'une sortie scolaire des élèves de Poudlard était prévue. Sur place, je marche dans les rues du village, jusqu'à croiser un visage sympathique et qui me semble abordable.

-Excuse-moi ! Tu es élève à Poudlard, pas vrai ?

Question rhétorique, car je détermine bien à son âge et à son uniforme scolaire que oui, elle est forcément étudiante à Poudlard.

D'accord, je veux bien reconnaître que je l'ai cherché, celle-là !
Quand mon interlocutrice me rétorque qu'elle est une licorne je souris franchement. Elle a du répondant, cette fille, et je dois bien avouer que ça me plaît. J'adore les personnes qui ont de la repartie et la langue bien pendue, c'est généralement les personnes avec lesquelles je m'entends le mieux, avec qui, en tout cas, le courant à le moins de mal à passer, et ça m'arrangerait bien que le courant passe avec mon interlocutrice en l'occurrence. Donc d'accord, elle est élève à Poudlard, comme son accoutrement et sa présence ici le laissent trop deviner. Elle me précise aussi qu'elle est à Poufsouffle. Ce que j'avais deviné aussi à sa tenue. Poufsouffle est une maison que j'estime beaucoup. C'est la maison des férus de justice et d'égalité, donc des gens que j'estime. Bon, moi, j'ai fait mes classes à Gryffondor. Je pense que c'est mon côté tête brûlée y a été pour beaucoup, et ça ne s'est pas arrangé avec le temps, en plus.

-Tu aurais du mal à te souvenir de moi, je lui réponds alors. Elle semble assez âgée, elle doit être en sixième année au moins, en septième année plus sûrement, mais malgré tout, ça ne suffit pas pour que nous nous soyons croisés dans les couloirs de l'école, au mieux, elle était en première année et moi en septième, logique qu'elle n'ait aucun souvenir de ma personne. J'ai quitté Poudlard depuis pas mal d'années, maintenant.

Et cette affaire ne me rajeunit pas, mais alors pas du tout il faut bien le reconnaître, j'ai l'impression que j'ai empoché mes ASPIC hier, et en même temps qu'une éternité s'est écoulée hier, vraiment. Il faut dire qu'il s'en est passées, des choses, entre-temps. Je suis notamment passée par la case prison, et ça, c'est quelque qui vous change à tout jamais.

-T'as un peu de temps devant toi ? Je travaille sur un sondage,
j'essaie de recueillir le plus d'opinions et de témoignages possibles. J'affiche un fin sourire. Si tu acceptes de répondre à mes questions, je te paye une bièraubeurre.

Je souris quand Johanna m'affirme qu'elle ne crache jamais sur une bièraubeurre gratuite. J'espère bien, c'est mon seul argument de vente un tant soit peu valable (parce que je me doute que le coup du sondage, ce n'est pas particulièrement séduisant ou vendeur, mais bon, je sais bien qu'il faut encore que je progresse quant au fait de me "vendre", c''est une de mes grandes résolutions pour l'année 47). Moi, en tout cas, je sais que je serais capable d'accepter une bièraubeurre d'à peu près n'importe qui du moment qu'elle est gratuite (mais à part ça, n'allez surtout pas imaginer qu'on puisse facilement me corrompre, hein !). Bref, elle accepte, et ça me va très bien comme première approche, en espérant qu'elle comprendra ma démarche... mais je n'ai pas trop de doute à ce sujet quand j'entends mon interlocutrice me questionner. Tiens, une curieuse et une bavarde comme moi. Parfait, on devrait bien faire la paire, du coup, et puisque je m'apprête à la passer au grill, j'estime de bonne guerre de me livrer à l'exercice en premier.

-Carlotta, réponds-je pour commencer, décidant de répondre aux questions de mon interlocutrice dans le désordre, en commençant par celle dont la réponse est la plus évidente. L'air de rien, les autres sont un peu plus cotons, je l'admets. Je ne travaille pas... enfin, pas à proprement parler. Mais mon engagement est comme un travail à plein temps pour moi, et je ne prends du coup pas le temps de chercher un vrai travail. Mais difficile d'expliquer que je suis une activiste qui vit sur l'héritage de ses parents. J'aimerais bien qu'elle entende ce que j'ai à lui dire avant de... développer ce qui clairement me caractérise le plus. Cela dit, je n'arrive pas l'expliciter différemment. Apprendre à se vendre, apprendre se vendre, vous dis-je. J'imagine que tu pourras penser que mes intentions sont personnelles, mais en vérité, mon but est beaucoup plus général que ça. Autant le dire, je considère participer au bien commun, et tant pis si ça fait prétentieux (ou si ça l'est). Je crois que ça va être un peu long à expliquer, admets-je quand nous passons les portes des Trois-Balais. Est-ce que ça te va si je te pose d'abord mes questions avant de répondre aux tiennes ? Je n'attends pas vraiment sa réponse et m'installe à une table un minimum tranquille (dans la mesure du possible un jour de sortie scolaire). Pour commencer, une question simple : est-ce que tu suis les cours d'étude des Moldus ?

J'affiche un sourire satisfait quand mon interlocutrice accepte de répondre à mes questions avant de me poser les siennes. C'est sûrement mieux comme ça, oui. J'ai rien contre les gens curieux, hein, bien au contraire, même. Mais si nos questions s'entremêlent, et surtout si Johanna enchaîne les siennes comme elle l'a fait l'instant d'avant, on ne va vraiment pas s'en sortir. Il faut bien que la conversation reste un minimum audible, distinguable. Elle m'affirme, cela dit, comme un avertissement, qu'elle n'arrivera pas à s'empêcher de me donner des réponses détaillées. Elle n'a vraiment pas à s'excuser pour cela, bien au contraire. Je préfère largement ça. J'ai parfois affaire à ce genre de personnes qui ne savent pas répondre aux questions qu'on leur pose autrement que par oui ou par non, sans jamais aucune précision et avec ça, on aboutit généralement aux réponses les plus barbantes que l'on puisse concevoir au monde. Avec la jeune jaune et noir, je n'aurais visiblement pas ce soucis, et elle me le prouve d'entrée de jeu puisque dès la première question, elle ne manque pas de se montrer très bavarde, ce qui me va bien, surtout que j'en apprends un peu plus sur elle de cette façon.

Je ne comprends pas tout de suite où elle veut en venir avant qu'elle ne m'explique que ses deux parents sont des sorciers, et que donc, pour elle, l'étude des Moldus, c'est chacun des moments qu'elle passe avec eux. J'adore sa mentalité. Et je l'estime chanceuse. J'aurais aimé évoluer et grandir parmi les Moldus, j'aurais pu d'office tout comprendre d'eux et de leur culture. Mais à la place, j'ai dû me forger mes connaissances seule, loin des a priori tenaces de certains sorciers, malheureusement. Car il est vrai que certains ont vraiment une intelligence limitée quand il devient question de ceux qui n'ont pas de pouvoirs magiques.

-J'ose penser que tu es quand même tombée sur des documents très anciens, je remarque, amusée. J'ai suivi les cours d'étude des moldus durant ma scolarité, et notre professeur était plus que compétent. Si je ne me trompe pas, c'est toujours le même, mais je peux bien me tromper, je ne suis pas forcément très renseignée sur la vie à Poudlard, même si je me rattrape bien en un coup, là. Il y a de l'intolérance des deux côtés, c'est évident. Et justement... je pense que cette intolérance tient pour beaucoup d'une réelle désinformation, d'a priori bêtement négatifs, d'un côté comme de l'autre, d'ailleurs. C'est l'un des objectifs de mon sondage, tu vois. Je pense que si tout le monde pouvait recevoir un enseignement approprié à ce sujet, cela pourrait déjà apaiser une partie des tensions. Tout le monde n'a pas la chance d'avoir grandi auprès de parents moldu comme toi.

Je suis surprise d'entendre que les documents évoqués par Johanna datent d'il y a une semaine à peine. Je l'avoue, je n'y crois pas spécialement, ça me semble très absurde, surtout que pour avoir une vision si rétrograde des Moldus, il faudrait n'avoir jamais mis les pieds dehors. Au sens plus que littéral du terme. Il y a des idiots partout, mais même les sorciers les plus arriérés question progrès et égalité des chances peut savoir que ces informations sont fausses. Non, je pense que ces documents ont été sortis de leur contexte, surtout que maintenant qu'Albus Dumbledore est directeur de Poudlard, je le vois mal nommer n'importe qui à ce poste (ni à aucun poste, d'ailleurs). Dans le cas contraire, il faudra que j'envisage de proposer mes services à cette bonne vieille école, ce cours aurait de fait vraiment besoin d'un dépoussiérage dans les règles de l'art. Je retiens mes commentaires tout de même, comme quand elle m'apprend que ses parents sont banquiers, même si j'aurais plein de questions à lui poser sur eux qui pourraient avoir le don de la faire fuir. On va éviter ça, hein !

Je la laisse ensuite poursuivre son discours et je lui reconnais un tempérament fougueux et passionné qui me fait penser à moi. J'adore voir cette flamme s'allumer dans d'autres regards, dans d'autres coeurs. Dans ces moments-là, je sais que je ne suis pas seule et que ma voix non plus n'a pas à tout porter de mon unique chef. On est d'accord, le cours d'étude des moldus devrait être obligatoire, au moins pour ceux qui n'ont pas pu approcher d'assez près cette matière primordiale. Bon j'avoue, je ne comprends pas tout de ce que Johanna me dit, mais je pense saisir ce qui est vraiment essentiel : le fait qu'elle en veut, et le fait que nos idées convergent parfaitement.

-Des tracts, j'en fais et distribue régulièrement, malheureusement, ils n'ont pas toujours l'effet que je souhaiterais. Et pour ce qui est du journal, j'adorerais... mais ça exige des moyens que j'ai pas, en tout cas pas pour l'instant. Et vu comme je me ruine en frais d'avocats depuis peu, ça ne va pas s'arranger.

Je m'apprête à ajouter autre chose, tant que Johanna, pleine d'enthousiasme, m'en laisse l'opportunité, mais la pauvre renverse son verre... et on dirait qu'elle s'est légèrement blessée.

-Est-ce que ça va, ta main ?

Bon, apparemment, sa main va bien. Apparemment, elle est seulement une maladroite dans l'âme. Je ne risque pas de le lui reprocher, c'est quelque chose que je comprends très bien, d'ailleurs, la maladresse dont je suis capable parfois ne fait pas toujours bon ménage avec mes intentions, mes ambitions, à mon grand regret. Enfin, je m'épanche un peu trop sur moi, non ?Visiblement oui, et ça je le constate dès que Johanna revient sur ce que je viens d'affirmer. Je me rends immédiatement compte que j'aurais dû garder ces histoires de frais d'avocat pour moi. C'est un souci que je rencontre souvent. Dès que je me sens en confiance avec quelqu'un, j'ai tendance à m'oublier, à trop m'oublier et à m'exprimer sans filtre. Je ne considère pas que ce soit une mauvaise chose, pour ne rien vous cacher, parce que quelque part, je rejette tant l'hypocrisie que je me reprocherais d'en faire preuve moi-même. Ce serait quand même faire deux poids deux mesures, mais j'ai conscience que je peux faire fuir les gens parfois, surtout avec mes choix de vie un peu... extrêmes.

-Encore heureux, je réplique légèrement pour ne pas donner à cette conversation une ampleur plus dramatique que nécessaire. Je serais bien incapable de faire du mal à une mouche. Mais y a pas forcément besoin de tuer quelqu'un pour faire un petit détour par Azkaban. Et cela, je l'ai malheureusement appris à mes dépens... Bon, quoi qu'il en soit, ça n'a pas l'air d'avoir outre mesure dérangé Johanna qui embraye rapidement sur de nouvelles questions. Décidément, je crois bien qu'elle est inarrêtable, celle-là ! Franchement, ce n'est pas forcément pour me déplaire. Je ne me suis pas complètement penché sur la question encore, je t'avoue... C'est un peu compliqué, parce qu'imposer un double cursus aussi lourd à n'importe quel élève serait tout de même très lourd, et pas sans conséquences sur son moral. J'imagine que ce ne sera de toute manière pas envisageable tant que les mentalités n'auront pas évolué en profondeur.

Et c'est là que j'interviens. Ou fais tout pour intervenir quoi qu'il en soit. Et j'y crois, j'y crois dur comme fer. Il me semble que ça se voit, non ?

[justify]C'est toujours agréable d'avoir affaire à des personnes qui comprennent exactement mon point de vue, c'est malheureusement trop rare. J'ai l'intention que les choses changent, parce que je considère que cette incompréhension globale repose sur des on-dit et des préjugés ancrés culturellement qui pourraient bien vite être oubliés pour peu que l'on prenne les choses en main. Ce qui, une fois de plus, est mon intention. Entendre Johanna affirmer que mes idées sont bonnes et pourraient bien être efficaces, ça me conforte bien évidemment dans mes opinions, même si elles n'avaient pas forcément besoin de ça non plus. En tout cas, je le sais, je le sens, je suis sur la bonne voie. Alors je ne vais rien lâcher, évidemment.

-J'ai l'intention de prendre rendez-vous avec le professeur Dumbledore pour lui parler de tout ça, on verra bien ce que ça donne.

Je sais que je n'ai pas forcément plus de légitimité que mon interlocutrice. Je ne suis personne... si ce n'est une criminelle aux yeux de certains, juste parce que j'ai dans l'intention de faire éclater la vérité (ce n'est pas juste mais c'est comme ça). Mais j'ai la détermination, la motivation, et tout ce qui s'ensuit. Alors pourquoi ne pas y croire, hein ?

-Si jamais j'ai besoin d'aide, j'hésiterai pas à faire appel à toi.

J'ai toujours besoin d'aide, mais il faut surtout que je vois en quoi elle pourrait m'aider efficacement ou non. Je me suis engagée sur un chemin dangereux, je n'y mêlerais jamais personne sans faire preuve d'une très grande précaution. Il n'y a que me concernant que je prends aveuglément tous les risques.

-Je t'en prie, je ne te retiens pas, j'ajoute quand la jaune et noir me fait comprendre qu'elle doit y aller. Cette conversation a été plutôt plaisante et constructive, mais mon rôle, après tout, n'est pas de prêcher des convertis mais aussi de convaincre des sceptiques. Alors j'ai encore beaucoup de travail devant moi également. Et mon petit sondage à poursuivre. Courage pour tes révisions. Oh, et soigne-moi cette main, tu veux bien ? j'ajoute, amusée.

Parce qu'elle a beau dire j'ai quand même l'impression que sa main en a pris un coup, exactement.