Il arrive un moment, dans la vie de chacun, où la réalité nous rattrape. Où faire un bilan, positif ou négatif, semble être une tache impossible. C'est ce que je ressens aujourd'hui. Je sais que je ne peux m'en prendre qu'à moi-même pour tous ces ennuis. J'ai fait des erreurs et j'en paye le prix fort. J'étais prête à guérir de la perte du bébé. J'étais prête à encaisser la colère et le dégoût de Caleb. J'étais même prête à accepter s'il lui prenait l'envie que l'on se sépare définitivement. Mais une chose pour laquelle je n'étais pas prête et que je n'avais pas méritée, c'était le meurtre de ma tante. J'ai organisé ses funérailles, j'ai remercié les invités pour leurs condoléances, j'ai souris quand sur les photos quand on me l'a demandé, mais... La vérité c'est que je suis encore très loin d'être remise. Cependant, je n'ai pas pris de congé. Rester dans cette maison a un effet néfaste sur moi ces derniers temps. On l'a nettoyée plusieurs fois, mais il me semble encore parfois sentir l'odeur du sang. Je sais que c'est dans ma tête. Ce souvenir ne me quittera jamais totalement.

Appréhendant le weekend, comme chaque semaine, je suis rentrée un peu tôt et me suis installée face à la baie vitrée donnant sur le jardin. Ma tasse de thé fume sur la table basse mais je ne la boit pas. Perdue dans mes pensées, je laisse les minutes défiler. Lentement, la boisson refroidit bien loin du moindre intérêt de ma part. Tout serait bien plus simple si Abraxas n'était pas tombé amoureux de moi. Si je ne lui avait pas cédé stupidement. Si j'avais su rester fidèle au seul homme que j'aime. Tout simplement...si j'avais été plus forte. Ou plus honnête. Caleb a raison de me détester. Et pourtant j'aimerais vraiment pouvoir me blottir dans ses bras. Je regrette le temps où il avait ce pouvoir de tout consoler. A présent nous n'avons plus un seul contact. C'est à peine s'il arrive à me regarder. Je ne l'en blâme pas. Je ne peux plus me regarder non plus. Au bout de ce qui doit être des heures, j'entends la porte d'entrée s'ouvrir. Ma voix s'élève machinalement pour prononcer ces quelques petits mots du quotidien, qui n'ont plus l'air d'avoir vraiment de sens.

« Bonsoir Caleb. »

Peut-être qu'il ne me répondra pas. Je l'aurai bien mérité.

Je n'ai jamais lésiné sur mes heures de travail. Je suis un perfectionniste, alors j'ai de toute façon tendance à penser que tant que je ne suis pas venu à bout d'une tâche que je me suis fixée, il est de mon devoir d'insister jusqu'à obtenir le résultat idéal. Les heures supplémentaires, depuis que j'ai intégré le département des Mystères au ministère de la Magie, ça me connaît, donc. Mais je dois tout de même admettre que, dernièrement, j'en abuse sans doute un peu trop. C'est plus simple comme ça. Quand je suis au travail, je ne pense plus à rien, ou en tout cas, j'occulte plus facilement les pensées qui m'assaillent. Je n'irai pas jusqu'à dire que cela m'aide à aller mieux... j'ai comme le sentiment que je n'irais plus jamais bien. Mais au moins, je me sens utile à quelque chose. Il y a quelque chose, en ce bas monde, sur laquelle j'ai prise, et je me concentre là-dessus, faute d'autre chose. Parce que pour le reste, ce n'est pas vraiment reluisant... Dans ma tête, ça tourne sans cesse, encore et encore. Les mêmes pensées, dévastatrices, obsédantes... Non, je n'ai vraiment pas hâte de rentrer chez moi. Mais quand faut y aller...

Quand j'arrive sur place, Lena est dans le salon, elle contemple la baie vitrée d'un air absent. C'est... courant. Et à chaque fois, il baigne une aura de détresse, de désespoir... Je vois bien qu'elle est malheureuse. Je devrais vouloir la consoler, la rassurer... Mais si vous voulez la vérité... Je lui en veux terriblement d'oser être malheureuse. Oh, je sais qu'elle est sincère, et elle a de bonnes raisons d'aller mal, elle aussi, mais j'ai le sentiment que sa tristesse est supposée éclipser la mienne, et je hais ça. J'aimerais avoir légitimement avoir le droit d'être malheureux sans que l'on me punisse avec son malheur à elle. Est-ce que je voudrais pour autant qu'elle parade chez nous, tout sourire, comme si de rien n'était ? Non... en fait, je ne sais pas ce que je veux. Je n'en peux plus, de tout ça... Elle me salue, je daigne lui répondre, sans enthousiasme.

-Bonsoir, je réponds très froidement, en daignant tout de même m'installer à côté d'elle.

Je n'ajoute rien, j'attrape le journal et fais mine de me plonger dedans. Je n'y arrive tout simplement pas.

La réponse de Caleb est brève, froide, sans appel. Je peux sentir que ce simple mot lui demande des efforts incommensurables de courtoisie. Je me demande s'il ne préférerait pas me jeter de la vaisselle au lieu de me saluer. Je déglutit mais ma gorge reste irrémédiablement serrée. Je sens mon époux s'asseoir à côté de moi, mais je n'ose pas vraiment le regarder ou faire le moindre mouvement. Il y a une telle tension négative entre nous que je crains que la moindre étincelle mette le feu aux poudres. Pourtant, je le sais, nous ne pouvons pas laisser cette situation s'éterniser. Je ne sais pas pour lui, mais moi toutes ces histoires affectent mon travail. Autant à la bibliothèque que chez les mangemorts. Je ne dis pas qu'il faut effacer ce qui est arrivé. Cela n'arrivera jamais. Mais peut-être qu'il faudrait recommencer à pouvoir se parler. Comme toutes les fautes sont les miennes, je pense que je devrais faire le premier pas, et pourtant j'ai le sentiment que j'ai bien fait assez de dégâts comme ça sans en rajouter. Je mordille nerveusement ma lèvre en écoutant le froissement de papier du journal que Caleb est en train de faire semblant de lire. Je sais qu'il ne lit pas. Il n'en est pas capable. Tout comme moi, il est crispé et plongé dans ses pensées sombres. Prenant mon courage à deux mains, je soupire et me lance.

« Ne crois-tu pas que nous devrions parler ? » Je murmure, la voix un peu enrouée.

Voilà, la bombe est amorcée. Honnêtement ma question est un véritable appel à la critique, mais finalement je crois que je préférerais qu'il crache son venin, qu'il me dise mes quatre vérités, qu'il me traite de tous les noms et qu'il évacue enfin toute cette colère qui l'étouffe. J'encaisserais sans broncher. Je l'ai mérité. Si seulement ça pouvait le soulager un peu. Mais rien n'est jamais aussi simple que ça. On n'apprend pas à l'école comment réparer une relation brisée, à retrouver une confiance bafouée. Peut-être est-ce impossible. Peut-être suis-je au delà de tout pardon. Je ne suis même pas certaine d'avoir le droit de m'excuser ou d'avoir des regrets. Caleb est bien plus malheureux que moi, et il n'avait rien demandé, rien fait pour mériter cela. Je savais au moment même où il m'a sourit pour la première fois, que je ne le méritait pas.

« Peut-être que nous devrions envisager la séparation. » Je souffle.

Je n'en ai pas envie. Rien que prononcer ces mots m'arrache le cœur et me serre la poitrine.Ma vie sans Caleb ? Je ne l'imagine pas. Et pourtant c'est moi qui ai tout saboté. J'aurais du y réfléchir avant de faire toutes ces stupides erreurs. Je récolte ce que j'ai semé.

« Tu mérites tellement mieux que ça. »

Je refoule mon agacement quand Lena observe qu'il serait grand temps qu'ils parlent. En vérité, je pense la même chose, il faut crever l'abcès, quoi qu'on décide pour la suite, c'est assez évident qu'on ne peut pas continuer de cette manière, mais pour être tout à fait honnête... je trouve culotté de sa part d'initier le dialogue comme si j'avais toujours été celui qui refusait de parler. C'est elle qui m'a caché sa liaison jusqu'à me mettre au pied du mur, et même à ce moment-là, elle n'a pas eu le cran de me parler de sa fausse couche, il a fallu que je l'apprenne de la part d'une tierce personne. Malgré tout, c'est la vérité, on n'a pas le choix, soit on en parle posément et on trouve une solution, on met tout à plat et on tente de repartir sur des bases plus solides. Soit... on admet que c'est inutile.

Je m'apprête à dire quelque chose... mais elle me prend de court, et quand elle suggère que nous devrions nous séparer, mon sang ne fait qu'un tour. Je voulais faire l'effort d'en discuter, peut-être même de trouver des solutions, mais au final, la solution, Lena l'a déjà décidée pour nous. Elle veut rompre, divorcer... Je ne vais pas mentir en disant que je n'y ai pas songé. Bien sûr que j'y ai pensé, et si je n'ai rien fait en ce sens, c'est uniquement parce que je l'aime toujours même quand elle me fait du mal... Un divorce briserait sa réputation, la mettrait plus bas que terre... je n'ai pas voulu ça pour elle. Mais je crois bien que c'est ce qu'elle veut pour nous. Ou bien tente-t-elle de me retourner le cerveau ? Elle suggère la séparation pour que le mot soit lancé et que je m'y oppose ? Une fois encore, j'ai l'impression que c'est elle la victime dans l'affaire, pas moi. Est-ce que je mérite mieux ? Honnêtement, je ne sais pas. Mais je ne mérite pas ça... Peut-être que c'est ce qu'il nous faut malgré tout... quelque chose comme... un électrochoc.

-Tu as raison, je dis après un moment, reposant vivement mon journal sur la table. On n'a qu'à divorcer.

Je ne suis pas sûr d'en avoir envie. En fait non, je n'en ai pas envie, mais je n'ai plus envie de vivre comme ça non plus. Si Lena, au lieu de proposer de sauver notre couple, suggère d'office de l'enterrer, c'est sûrement qu'il est déjà trop tard de toute manière.

Je sens que ma proposition vient d'activer une sorte de bombe. La colère et la peine de Caleb sont palpables. Je m'en veux terriblement de lui causer autant de mal. Je suis persuadée qu'il nous faut crever cet abcès avant que l'un de nous atteigne un point de non-retour, mais en sentant les émotions dévastatrices de mon époux, je crains qu'il ne soit déjà trop tard. J'avoue que proposer une séparation n'est pas le plus intelligent à faire, surtout quand on ne le désire pas vraiment, mais je ne savais pas quoi dire d'autre. Je reste persuadée que Caleb serait bien plus heureux sans moi à ses côtés, mais d'un autre côté, est-ce bien à moi de décider ce qui est le mieux pour lui ? Il est bien assez grand et assez intelligent pour prendre ce genre de décision tout seul. Je n'ai malheureusement pas le temps de pleinement regretter mes paroles car la réponse de Caleb tombe sur mon comme la lame d'une guillotine. Mon souffle se coupe. C'est comme si une lance avait transpercé mon cœur. Divorcer... Divorcer... Ce mot résonne dans ma tête, violent et glacé, presque assourdissant.

« Je... »

Ce n'est que lorsqu'une goutte d'eau tombe sur ma main que je réalise que je pleure. Je n'avais même pas remarqué que mes yeux s'étaient remplis d'eau. D'un revers de cette même main, j'essuie mes joues. Je ne veux pas qu'il pense que j'essaye de l'attendrir. Je ne dois pas pleurer. C'est moi qui ai tout fait de travers, c'est moi qui ai tout détruit. Je n'ai pas le droit de faire la victime à présent. Je déglutit et ravale mes sanglots inutiles. Si quelqu'un devrait pleurer de douleur ici, c'est Caleb. C'est lui qui a le plus souffert. Moi, ce mal, je l'ai mérité.

« Je n'en ai pas envie. » Je murmure, la voix un peu enrouée malgré tout.

C'est la pure vérité. Même si c'est moi qui ai proposé la séparation, je ne crois pas que je le pensais vraiment. Je voulais peut-être qu'il dise lui-même qu'il n'en avait pas envie, mais c'était bien égoïste de ma part d'attendre qu'il me demande de rester alors que c'est moi qui ai tant de chose à me faire pardonner. Je l'aime. Je l'aime tellement que c'en est horriblement douloureux. Il ne se passe pas un instant sans que je pense à lui. Ca me perturbe dans mon travail, ça me perturbe dans mes devoirs de mangemort. Et quelque part, je pense que ça perturbe Caleb encore plus. On ne peut pas continuer comme ça. Je crains que nos problèmes de couple finissent par agacer Tom et nous attire de gros ennuis. J'ai déjà goûté à la punition de notre maître et je ne veux pas revivre ça. Vraiment pas.

C'était mon intention, provoquer chez elle un déclic et l'entendre me dire qu'elle ne veut pas divorcer, même si c'est elle qui a parlé de nous séparer pour commencer. Est-ce que je suis satisfait qu'elle réagisse ainsi. Je n'en sais rien. Une part de moi me dit que c'est bien la preuve qu'elle a cherché à me manipuler l'instant d'avant, en évoquant la séparation dans l'unique but de m'entendre m'y opposer, ce que je n'ai pas fait, à contrecoeur. Une autre est quelque part soulagée de savoir qu'elle ne veut pas divorcer, ce qui semble prouver qu'elle m'aime toujours... Ou bien c'est sa situation qu'elle souhaite préserver ? Un divorce jetterait l'opprobe sur elle... Oui, c'est bête, mais même si elle me le prouve et me le répète, je ne sais plus sûr qu'elle m'aime vraiment ou m'ait déjà aimé un jour.

C'est le problème : comment avoir à nouveau confiance en elle ? Je lui ai tout donné, et en retour, j'aii été trompé, on m'a menti. Je ne vais pas prétendre être blanc comme neige, pas avec ce que je lui ai fait, mais c'est trop dur à encaisser malgré tout, comme sont insupportables à voir les larmes qui coulent le long de ses joues. Je déteste la faire souffrir... et en même temps j'ai envie de lui faire du mal. Je ne sais pas, c'est complètement malsain...

-Qu'est-ce que tu veux, exactement, alors ? je demande en tournant vers elle un regard peut-être moins dur que celui que je cherche réellement à afficher.

Car oui, je ne comprends pas ce qu'elle désire. Me faire souffrir ? C'est pour ça qu'elle m'a tout dit ? S'éloigner de moi ? C'est pour ça qu'elle a parlé de se séparer ? Faire table rase ? Mais on ne peut pas effacer ce qui s'est passé, c'est impossible. Je veux entendre ce qu'elle a à dire, même si je ne sais pas si je vais réussir à la croire dans tous les cas. C'est un autre de nos trop nombreux problèmes : comment réparer la confiance qui a été brisée ? Je veux faire l'effort de lui refaire confiance, mais je n'y arrive pas. Au-delà de la trahison pure, il y a les mensonges. Je n'oublie pas. Je devrais, mais je n'y arrive pas.

S'il y a un bon moment pour dépasser sa petite personne, c'est celui que je suis en train de vivre à l'instant. Là, tout de suite, je n'ai plus d’intérêt pour mes propres sentiments, mes propres émotions. Il y a juste cette phrase qui tourne et tourne encore dans ma tête, à m'en rendre chèvre. Je ne veux pas perdre Caleb. Je ne veux pas le perdre. Je ne veux pas vivre sans lui. Même si pour cela je devais traverser l'enfer, subir d'autres doloris, ramper à ses pieds, supplier son pardon, je le ferais. Je ferais n'importe quoi. Je serais prête à tout avouer, même les plus petits et sombres secrets. Pour ne plus jamais rien lui cacher. Et quelque part, je sens que c'est là que je dois commencer si je veux reprendre sur des bases saines. Je ne dois plus rien lui cacher. Il n'aura plus jamais confiance en moi si je ne peux pas lui rendre la pareille. Un soupir m'échappe alors que je cherche le courage de me lancer.

« Je veux tout te dire. Plus de secrets. Pose moi toutes les questions qui te torturent l'esprit, même les plus douloureuses. Je te promet de répondre à tout avec honnêteté. Si c'est ce qu'il faut pour avoir ta confiance à nouveau, je veux bien m'ouvrir entièrement. »

C'est risqué. Il y a tant de choses qu'il ignore, que j'ai cru bonnes de lui cacher pour son propre bien. Mais je ne peux pas continuer comme ça. Et pourtant, me mettre à nu de cette façon est probablement ce que j'estime le moins naturel pour moi. J'ai porté des masques toute ma vie, pour me protéger. Mais si je pense avoir besoin de me protéger de Caleb, c'est que je ne l'aime pas vraiment. Je dois lui faire confiance, si je veux qu'il le fasse en retour. Pour réparer ce qui a été brisé, je suis prête à tout avouer, tout expliquer, tout déterrer au grand jour. Ma plus grande crainte, c'est qu'une fois mon sac vidé, il ne veuille vraiment plus de moi. Que je ne sois plus celle qu'il aimait. Je ne veux pas être seule. Je ne veux pas vivre sans Caleb. Je ne PEUX pas vivre sans Caleb. Il est la seule chose qui soit réelle dans mon existence.

Tout me dire, plus de secrets. J'ai envie de dire qu'il était temps. J'aurais voulu que nous n'ayons pas à en passer par là pour qu'elle se montre totalement transparente à mon adresse. Cela n'aurait rien retiré aux raisons pour lesquelles elle m'a menti, et qui sont toujours aussi douloureuses à encaisser, mais au moins, je n'aurais pas l'impression que l'intégralité de notre mariage a été une sorte de vaste blague.

Est-ce que sa sincérité suffira à ce que je lui refasse confiance pour de bon ? Je n'en sais rien, mais je me dois de tenter le coup, malgré tout. J'ai le sentiment de ne pas avoir beaucoup d'autres options. Et certaines questions me torturent depuis beaucoup trop longtemps. Si je les garde encore pour moi, je crois que je vais tout simplement exploser. Alors je vais saisir cette occasion. Peut-être que tout mettre à plat va nous faire du bien... enfin je crois. De toute manière, je ne suis plus à ça près. Je suis prêt à tenter n'importe quoi pour améliorer la situation. Je ne peux plus vivre comme ça. On ne peut plus vivre comme ça.

-T'étais amoureuse de lui ?

C'est la première question qui me vient, mais c'est aussi celle que je me pose le plus. Abraxas m'as assuré le contraire, ça ne veut pas dire pour autant qu'il disait vrai ou qu'il avait raison. Lui, de son côté, l'aimait, ou pensait l'aimer, il me l'a dit, tout comme il m'a appris (chose que je ne savais pas entre autres après notre première conversation avec Lena) que leur liaison avait commencé bien avant que je ne me raproche d'Elena. Forcément, je m'interroge sur le fait qu'elle n'ait pas continué bien après.

Mon regard est planté dans celui de Lena, l'exercice n'est pas simple, mais je veux m'assurer qu'elle se montrera totalement sincère avec moi. Est-ce que je serais vraiment capable de la croire sur parole sous prétexte qu'elle m'a assuré qu'elle se montrerait sincère. Je n'en sais honnêtement rien. Mais au point où j'en suis, ça ne me coûte pas grand-chose de lui laisser une chance. J'ai peut-être l'occasion d'avoir les réponses à mes questions, je ne vais pas passer à côté.

Ah. Nous y voilà. Je m'attendais un peu à cette question, mais peut-être pas d'entrée de jeu. Enfin je peux comprendre que ça le démange de savoir si en plus de l'avoir trompé avec mon corps, je l'ai aussi trompé avec mon cœur. Calmement, je soutiens son regard qui ne me lâche pas. Je l'avoue, pendant une minute j'hésite à couper court à la discussion en répondant un bête " non ". Mais ça ne serait pas complètement honnête et je lui ai promis de l'être. Lentement, je me tourne sur le canapé pour faire face à Caleb et croise mes jambes en tailleurs. Après tout, je suis chez moi, je n'ai pas l'obligation de m'installer comme une grande dame et je sens que cette conversation va durer un moment. Quitte à faire ça, autant se mettre à l'aise.

« Au début, je le croyais. Après le désastre de ma relation avec Vincent, la gentillesse d'Abraxas m'a fait du bien. Peut-être parce que j'étais vulnérable...j'ai confondu mes sentiments. C'est quand je suis tombée amoureuse de toi que j'ai compris la différence. Vous n'étiez pas comparables. C'est pour ça que j'ai dit à Abraxas que je ne voulais plus qu'on se voit de cette manière. » J'explique.

Ma voix est encore un peu enrouée, mais il n'y a plus d'hésitation dans mes paroles. En vérité, ça me fait du bien de vider mon sac. Je ne sais pas si c'est ce que Caleb désirait entendre, mais je n'ai jamais dit que la vérité serait entièrement satisfaisante. J'espère qu'il saura retenir le principal : une fois amoureuse de lui, j'ai su qu'il était le seul et que je n'en voulais pas d'autre dans mon cœur.

« Il n'y a eu qu'une seule stupide...STUPIDE erreur. Et c'est cette stupide erreur qui a tout gâché. Je suis toute aussi coupable qu'Abraxas pour cet accident. J'ai essayé de réparer les choses mais tout a commencé à s'effondrer. Je ne voulais pas te faire de mal. » Je soupire.

C'est vrai. A aucun moment j'ai voulu faire de la peine à Caleb, ou même à Abraxas pour ce que ça vaut. Je sais qu'il était amoureux de moi. Me voir choisir Caleb, son ami, ça a du être douloureux pour lui. J'ai vraiment tout gâché du début à la fin. S'il n'y avait pas eu cet orage pour me précipiter dans les bras de notre ami, peut-être que je n'aurais jamais cédé à ses charmes et rien de tout ceci ne serait arrivé. Mais voilà, c'est arrivé. J'aimerais pouvoir retourner dans le passé, mais je ne peux pas non plus. Tout ce que je peux faire, c'est m'excuser et ne plus jamais déraper comme je l'ai fait. Est-ce que Caleb acceptera ces conditions ? Je ne lui en voudrai pas si c'est trop pour lui. Accessoirement, je n'oublie pas qu'il a probablement d'autres questions comme celle-ci et je crois que j'y suis préparée. Je n'ai plus spécialement peur. Ca me fait du bien de parler enfin de tout ça.

Je crois qu'aucune des réponses que Lena aurait pu formuler aurait vraiment été capable de me soulager, parce que dans tous les cas, les faits restent les faits. Mais en tout cas, entendre que Lena avait vraiment pensé être amoureuse d'Abraxas (quand je sais en plus que ce dernier était aussi amoureux d'elle), c'est loin, bien loin de me rassurer. Parce que ça confirme ce que je présumais déjà. Leur relation n'a pas été que physique, elle a aussi été sentimentale, émotionnelle. Et elle a beau me dire ensuite qu'elle n'était pas vraiment amoureuse, qu'elle a compris ce que c'était en tombant amoureuse de moi... j'ai du mal à me dire qu'elle est sincère. Si vraiment elle m'aimait tant que ça, pourquoi retomber dans ses bras à lui, alors ?

Qualifier ça d'erreur, d'accident, je trouve ça facile. L'un comme l'autre avaient entièrement conscience de ce qu'ils faisaient, l'un comme l'autre avaient conscience de qui ils allaient blesser, ils avaient juste décidé qu'ils s'en fichaient. Elle est tout aussi coupable qu'Abraxas, je le sais, elle ne l'apprend pas. Si je ne l'ai pas rejetée comme j'ai rejeté mon meilleur ami, enfin, celui que je considérais comme tel, c'est que nous sommes liés par quelque chose de sacré, et que je respecte par-dessus tout. Et oui, j'ai toujours des sentiments pour elle, comme je ne me suis pas mis à totalement haïr Abraxas d'un seul coup. Tout n'est jamais tout noir ou tout blanc. C'est ce qui rend la situation si compliquée à supporter.

-C'est réussi, je remarque, quand Elena m'assure qu'elle ne voulait pas me faire du mal. Je l'espère bien, du moins, qu'elle ne soit pas à ce point cruelle. Elle n'a pas voulu me faire de mal, n'empêche que j'ai mal, vraiment mal. Et je ne trouve rien pour apaiser ma douleur. Il me faut un déclic, quelque chose. Mais ce n'est pas encore gagné. Tu sais ce pourquoi je t'en veux le plus ? C'est pas le fait de m'avoir trompé il y a une éternité, quand on venait juste de se mettre ensemble, ça j'aurais pu être capable de te le pardonner. C'est le fait que tu me mentes sans arrêt, et sur des choses graves, en plus. Comment je suis sensé te faire confiance, après ça ?