En ce moment, le moins qu'on puisse dire, c'est que le travail ne manque pas, bien au contraire, et je ne serait pas contre une petite période d'accalmie alors que la tempête souffle de tous les côtés. Mais je ne me fais pas d'illusions, bien sûr. Je sais très bien ce qu'on attend de moi, et ce que j'attends de moi-même aussi, et je me dois de me montrer efficace et performant en toutes circonstances. J'ai tout intérêt à être au meilleur de mes performances, car notre département est assailli, dernièrement. Il faut dire aussi que l'épisode du Manoir des téméraires et le décès du ministre de la Magie n'ont rien arrangé du tout. Comme si la situation n'était pas assez complexe comme cela, je me suis retrouvé dans la position délicate de dire qu'on n'avait pas pu prévoir l'attaque parce que ces attaques étaient imprévisibles. D'autant plus que la marque à la tête de mort n'a pas brillé dans le ciel, cette fois, ce qui a laissé tout le monde un peu circonspect, moi le premier. Le nombre de nos ennemis augmente de jour en jour. Je compte bien me montrer à la hauteur, mais comment m'assurer que je le sois ? Sans compter que, à titre personnel, je ne suis pas ménagé non plus. Depuis la visite d'Herbert dans mon bureau, et bien que j'ai essayé mille fois de le contacter, je n'ai toujours pas la moindre nouvelle de mon fils, Andrew, qui se dérobe définitivement à ma vigilance et j'ai bien peur qu'il lui soit arrivé sort terrible. Et à côté de ça, le sort de Purdey n'a pas l'air de s'améliorer. Caelan donne très bien le change, et sa jeunesse est un atout dans la situation actuelle, mais ce n'est pas suffisant, bien sûr. Je ne suis pas vraiment ménagé, en ce moment, mais je ne ménage pas mes efforts. Il le faut. Les situation les plus graves exigent les mesures les plus drastiques. Cette maxime a fonctionné en tout temps, et personne n'oserait affirmer qu'elle n'est pas d'actualité en ce moment.

Concentré sur mes dossiers, je n'ai pas entendu la porte de mon bureau s'ouvrir. En fait, je ne constate la présence de mon vieil ami que lorsque sa voix résonne dans mon bureau parfaitement rangé. Je relève la tête et un sourire sincère se découvre sur mes lèvres. Voilà une visite inattendue qui va me réconcilier avec une journée qui a très mal commencé.

-Henry ! Déjà de retour ?

Je le charrie un peu, il a l'habitude de disparaître un moment, et on ne sait jamais vraiment quand on le reverra. C'est une situation au sujet de laquelle j'aime bien le charrier, gentiment bien sûr.

-Va pour une pause, alors. Tu m'offres un café ?

Pour être tout à fait honnête, je serais parfaitement capable de me contenter du café de la salle de repos du département de justice magique, puisque c'est de lui que je m'abreuve quasi constamment quand je suis à mon travail, moi qui fonctionne complètement au ralenti quand je n'ai pas suffisamment de caféine dans mon organisme. Le café n'est pas si dégueulasse que ça, d'ailleurs, il l'était beaucoup plus avant que je devienne directeur du département de criminologie, en tout cas. Maintenant, je veille au grain, du mieux possible. si je dois carburer au café toute la journée, je tiens à ce que ce soit le meilleur café possible. Mais je n'insiste pas. Je préfère largement quitter le ministère le temps de me poser dans un café, tranquillement, avec mon ami de longue date, à qui j'ai vraiment beaucoup de choses à dire, puisque nous ne nous sommes pas vus depuis très longtemps tous les deux. Je n'aime pas forcément abandonner mon poste, mais je partirai plus tard, c'est tout. Je ne me fais donc pas prier et suis Henry jusqu'au café où j'ai bien l'intention de le voir m'inviter. L'endroit est agréable, en même temps, je savais que Henry ne nous emmènerait pas n'importe où. Ce doit être l'un de ces endroits où il a l'habitude d'écrire. Je le comprendrais facilement, un tout cas, dans des lieux comme ça, il n'y a sans doute pas besoin de chercher l'inspiration, l'inspiration vient naturellement à vous, tout simplement. Une fois que nous sommes installés, Henry me demande quoi de neuf. Beaucoup de choses. Tellement de choses. Je ne sais même pas par quoi commencer. Avec Henry, je sais que je peux parler de tout, mais je n'ai pas envie de l'accabler trop vite avec mes problèmes.

-Eh bien... comme tu dois t'en douter, le travail ne manque pas, en ce moment. Même s'il a été en Inde ces dernières semaines, je pense qu'il n'a pas manqué de se renseigner malgré tout, alors il doit savoir, en fin de compte, qu'en ce moment, la Grande-Bretagne sorcière connaît des bouleversements très malvenus. J'ai envie de parler à Henry de l'Ysbridion, mais c'est encore trop personnel. Et... J'hésite un peu, mais bon, en même temps, Henry est un peu le seul à qui je peux en parler. Purdey est à l'hôpital. Elle est dans le coma...

Henry a toujours soupçonné mes sentiments à son adresse, il les a mieux cernés que moi-même, qui ait dû me prendre cette claque en pleine figure pour enfin ouvrir les yeux. Je sais, je ne suis pas très malin, quand je m'y mets. Je m'arrête là. Je pourrais aussi lui parler de l'absence d'Andrew, mais même si Henry est peut-être l'unique confident que je possède, je ne veux pas ouvrir le bureau des larmes non plus.

La réaction, la compassion de Henry sont sincères, je le vois bien, et j'apprécie qu'il sache faire preuve de cet empathie dont j'ai vraiment besoin, présentement. Je fais mine de rien, je garde contenance parce que je sais que l'on compte sur moi et qu'il n'est donc pas temps de faiblir, je n'ai pas le temps pour ça. Mais ce n'est pas pour autant que ça ne m'affecte pas, malgré tout. On voudrait être un roc, on voudrait être de glace, pour faire face à toutes les situations envisageables, y compris les pires... surtout les pires, en fait. Mais quand on est humain, on ne le peut pas... Et être humain, c'est ce qui nous distingue de l'ennemi, après tout. Enfin... je ne veux pas m'appesantir, mais ça me fait du bien, quand même, de parler de mes problèmes à un ami, un véritable ami... Je ne veux pas accaparer toute la conversation avec ça, mais tout de même, aborder le sujet librement me rassure un peu. Pour le reste, on verra plus tard.

-Un mage noir... C'est une longue histoire. Je ne peux pas vraiment en parler.

Déjà là, j'en dis beaucoup trop. Depuis la disparition des Wardens, je suis suupposé à être le seul à ne pas avoir complètement délaissé le bureau des Aurors et le combat contre le mal. Par cet aveu, je reconnais que Purdey n'avait pas vraiment baissé les armes. En même temps, je pense que ça ne surprendra pas spécialement Henry, qui connaît mon tempérament autant que celui de Purdey, même s'il la connaît moins. Il sait bien que nous ne sommes pas du genre à abandonner si facilement.

-Je n'étais pas là... j'ai rien pu faire.

J'essaie de participer à la grande majorité des opérations de l'Ysbridion, mais je ne peux pas abandonner mon poste aussi facilement que les autres. Et par conséquent, je n'étais pas présent, cette fois-là, et je le regrette. Je ne peux m'empêcher d'éprouver des remords alors même que je sais bien, très objectivement, que je n'aurais rien pu faire dans tous les cas. Purdey est la meilleure combattante d'entre nous tous, si elle n'a rien pu faire, je n'aurais sans doute pas pu en faire davantage. La culpabilité demeure, malgré tout... et je m'en veux de laisser Henry en subir les répercussions. Le pauvre joue le bureau des pleurs depuis son retour, plus que je l'imagine.

-Enfin... Raconte-moi plutôt ton voyage ! Comment c'était ?

Apparemment, le voyage de Henry s'est très bien placé. Je ne suis pas étonné de la place, je pense que tout voyage apporte son lot d'enrichissements. Et l'Inde doit être un pays incroyable, très stimulant intellectuellement. J'apprécierais de m'y rendre un jour, mais je ne pense pas que ça arrivera. J'aimerais découvrir de nouveaux horizons, mais je n'ai pas le temps pour voyager, ou si je dois voyager, ce sera pour me rendre en mission, en mission et rien d'autre. Un jour, si je prends ma retraite, qui sait. Mais plus le temps passe, plus la perspective de la retraite s'éloigne. Je ne suis pas fait pour rester inactif. Je pense qu'au final, ce moment n'arrivera tout simplement jamais. Tant pis. Ce n'est pas si grave. Je ne pense pas être un globe-trotter né quand même. Je tiens à mes repères, moi aussi, sans doute plus que Henry, qui bouge beaucoup plus. J'aime garder mon confort et mes petites habitude. Là-dessus, je pense vraiment que je suis un vrai traditionnaliste. J'ai ma routine et j'essaye de ne pas y déroger. Même si cette routine est bien souvent mise à mal par les circonstances, surtout en ce moment, où la vie me réserve vraiment des vertes et des pas mûres. Un léger sourire s'esquisse sur mes lèvres quand Henry me dit qu'il était grand temps qu'il rentre. Je me dis que je me suis peut-être un peu trop plaint. Je ne veux pas qu'il croie que je lui reproche d'avoir été absent dans une période difficile de ma vie, c'est vraiment loin d'être le cas. Mais il ne parle pas seulement de moi.

Il me parle de Pomona. Je me doute, qu'ils se sont parlés depuis son retour, elle doit même être la première personne à qui il a parlé, puisque la jeune femme habite chez son oncle, après tout. Et j'imagine qu'il a fait un saut chez lui pour ne serait-ce qu'y déposer ses affaires avant de faire quoi que ce soit d'autre. Je suis surpris d'entendre ce qu'il a à me dire à ce sujet. Il m'apprend qu'elle ne va pas bien du tout... C'est vrai que ces derniers temps, elle m'apparaissait plus fatiguée que d'habitude, mais je ne m'étais pas posé plus de questions que cela. Après tout, elle travaille comme une acharnée... Là, je remarque que je suis visiblement passé à côté de quelque chose, ce qui ne me plaît pas du tout.

-C'est-à-dire ? je lui demande prudemment.

Elle n'a pas voulu dire grand-chose... C'est logique et je me reprocherais presque d'avoir suggéré que Pomona puisse s'être livrée si facilement à quelqu'un, même si ce quelqu'un était son oncle. Pomona n'est pas une bavarde, elle garde beaucoup de choses pour elle, elle contient ses émotions, mais c'est pour tout dire pour ces raisons qu'elle m'inspire de la sympathie. Elle est avare en mots et préfère observer que se faire observer. C'est le genre de personnalités que j'affectionne tout spécifiquement et qui justifient qu'elles soient plus difficile à cerner et à comprendre. Je m'en veux quand même, cela dit. Je me prétends grands interprète de l'âme humaine et quand un de mes proches est dans la panade, je ne vois rien. Ces derniers temps, j'ai tendance à penser que c'est bien trop récurrent d'ailleurs. Henry n'a donc pas pu complètement tirer les vers du nez de sa nièce, mais je ne m'y trompe pas (n'allez pas me faire croire non plus que je me trompe si fréquemment que ça) : il a tout de même compris quelque chose, et la question qu'il me pose ensuite ne laisse aucun doute à ce sujet, d'ailleurs. Est-ce que ça aurait un rapport avec un de ses collègues ? Je fronce les sourcils. Si c'est le cas, alors mes dons d'observation sont encore plus en berne que je ne l'avais soupçonné, finalement. Mais j'attends de savoir où Henry veut en venir plus précisément.

-Eh bien... plutôt bien, je dirais. C'est vrai qu'elle ne se mêle pas spécialement au reste de ses collègues, mais je n'ai rien noté d'anormal. Je m'entends parler et j'ai l'impression que c'est Henry qui a pris le rôle de l'interrogateur et moi de l'interrogé. Je n'aime pas être à cette place spécifique, j'avoue que je m'y sens un peu inutile, il est vrai. Elle passe beaucoup de temps avec Seth, c'est son référent au bureau des Aurors, mais pour le reste...

Est-ce que ça veut bien tilter, maintenant ? Non. Et c'est idiot. Je pourrais soupçonner quelque chose entre eux, pourtant, parce que, clairement, ces deux-là, solitaires dans l'âme, ce sont peut-être un peu trop bien entendus sur les affaires qu'ils ont eues en commun. Et pourtant, non, je n'ai jamais envisagé qu'il ait pu se passer quoi que ce soit entre eux. Ce n'est pas très malin, je l'admets. Malheureusement, je ne le suis pas toujours.

Henry n’insiste pas, ou ne semble plus décidé à insister, mais moi, à côté de ça, je cogite. Je me rends compte que je suis passé à côté de quelque chose d’important.. Et je n’aime pas ça. C’est supposé être mon métier, de cerner les individus, et je côtoie Pomona tous les jours, pourtant, je n’ai absolument rien remarqué.. Je pourrais mettre cela sur le compte du fait que la jeune femme a toujours été très secrète et impassible. Mais Henry, lui, vient tout juste de rentrer, et il a tout de suite constaté que quelque chose n’allait pas. Qu’est-ce que Pomona a bien pu lui dire ? Je n’en sais rien, mais c’est sûr, je vais d’autant plus garder l’œil à présent. En espérant ne pas avoir mis trop longtemps quand même. Il me dit que son attitude n’a peut-être pas de rapport avec ses fréquentations, et du coup, je me dis que ça doit être le cas au contraire. Est-ce que quelque chose m’aurait échappé ? Entre Seth et Pomona ? … Je dois me faire vieux, je passe à côté des évidences. Ou bien je me laisse déborder… l’Ysbridion… Purdey… c’est vrai que j’ai eu la tête ailleurs, et c’est mon plus grand tort.

-C’est ce que j’ai toujours fait, je réponds alors quand Henry me demande de garder un œil sur elle.

Et c’est le cas, enfin, je considère que c’est bel et bien le cas, parce que ce n’est pas la première fois que mon ami me fait cette demande. Dès que je l’ai prise sous mon aile, j’ai eu le sentiment d’avoir une vraie responsabilité à son adresse, surtout quand Henry est en déplacement. Même si Pomona est bien assez intelligente et indépendante de se débrouiller seule. Elle n’a pas forcément besoin qu’on veille constamment sur elle, mais n’importe qui a besoin de soutien. Et l’avenir proche va m’apprendre qu’en fait, j’aurais dû être beaucoup plus vigilant que cela. J’ai échoué à la tâche.

-Mais je redoublerai de vigilance, je lui affirme avant d’embrayer, parce qu’il faut quand même que je fasse mon petit interrogatoire pour comprendre exactement sur quoi m’appuyer. Elle ne t’a pas dit grand-chose, mais elle a bien dit quelque chose, non ?

S’il veut vraiment que je l’aide à protéger sa nièce, qui a certainement de la chance de l’avoir pour ange gardien au vu de son bagage familial, j’ai besoin d’avoir tous les éléments en main, même si je commence à comprendre à deviner.

Les préjugés que l'on peut avoir sur autrui... Je fais ce que je peux pour m'en préserver, car je sais qu'ils ne font jamais de bien, qu'ils aveuglent tout un chacun, et que quand on travaille dans mon domaine, il faut dépasser les a prioris pour avoir la bonne vision des choses, et donc des personnes que je prends le parti de cerner. Pourtant, il y a des préjugés desquels je ne suis pas épargné, à commencer par certains qui concernent effectivement Pomona. Je crois bien la connaître, pourtant, mais j'admets que quand il m'apprend qu'on lui a brisé le coeur, eh bien... je tombe des nues. C'est idiot, rétrospectivement, mais je ne l'imaginait pas préoccupée par la moindre affaire de coeur. Pour la peine, je ne lui ai même pas envisagé de vie sentimentale. Et cela donne un nouvel éclairage à toute la situation.

Je comprends mieux la question de Henry, et du coup, je m'interroge. Seth et Pomona ? Nooon... Si ? Ceci dit, s'il n'est question que de rupture sentimentale, et même si je suis curieux, force m'est de reconnaître que ça ne me regarde pas. Mais Henry pense différemment, il pense qu'il y a autre chose, et j'accepte sans mal de me ranger à son opinion. Surtout que je ne peux pas lui donner tort. Si elle va vraiment mal, je refuse de croire qu'elle le doive à une seule et unique rupture sentimentale. Il y a d'autres choses. Ou une autre chose. Peut-être que c'est lié, peut-être que nous nous trompons, mais je crois qu'il ne faut pas prendre cette possibilité à la légère. Je considère en tout cas que ce serait une erreur de notre part.

-Bien..., je soupire, assimilant l'information et décidé à agir en fonction. On va tâcher de découvrir quoi.

Maintenant, il est de retour et moi je serai complètement attentif. Je pense que j'aurais plus de facilités maintenant à démêler tout ça maintenant que j'ai entre les mains ces informations qui m'échappaient jusqu'alors. De bien maigres informations, mais qui ont le mérite de m'ouvrir les yeux sur quelque chose que je n'ai pas forcément voulu voir avant cela, et que je dois bien reconnaître maintenant. Je jette un rapide coup d'œil à ma montre. Malheureusement, le devoir m'appelle.

-Je vais devoir retourner travailler. On se revoit vite ?

Avant qu'il ne parte je ne sais pas où exactement.