C'est sans fin. Chaque fois que j'ai l'impression d'avoir touché le fond, chaque fois que je me dis que, au point où j'en suis, il ne pourrait rien m'arriver de plus (pas de pire, le pire, c'est mon quotidien), les événements s'enchaînent et semblent prendre un malin plaisir à me donner tort. Admettre que Lena m'a trompé avec un meilleur ami, est tombée enceinte de lui et ma caché aussi bien sa relation que ssa grossesse et la perte du bébé, c'est déjà beaucoup, et ça aurait largement suffi pour que la situation me paraisse insurmontable. Mais voilà que Pomona disparaît, et encore maintenant, je ne réalise pas, je ne veux pas réaliser que je ne la reverrai plus jamais. Vous en voulez encore ? Très bien, très bien. Pearl, la tante de Lena, est morte. Mettons-nous bien d'accord, je n'avais pas de sympathie particulière pour cette femme, il n'empêche qu'elle faisait partie de notre quotidien, et ce qui affecte Lena m'affecte aussi. Même si je ne peux m'empêcher d'en vouloir à l'assassin de cette femme, moins par souci de vengeance et en sa mémoire que parce qu'elle m'oblige à en vouloir à une épouse en deuil, et je m'en veux de ne pas être capable de la soutenir totalement, parce que je souffre trop encore de sa trahison.

Quand j'essuie quelques larmes furtives d'un revers de manche alors que chacun y va de son discours en l'honneur de Pearl, ce n'est pas ma tante par alliance, que je pleure, c'es ce surplus d'émotion, cette accumulation, que je n'arrive plus à gérer. Et ça, encore, ce n'est rien, je le sais. Je suis en deuil, oui, mais pas de qui l'on croit, et je fais de mon mieux pour nier encore, ce qui m'était étrangement plus simple quand Pomona était encore là que maintenant qu'elle n'est plus (rien que d'y penser, une boule de rage m'obstrue la gorge). Cette réception en l'honneur de Pearl était mon initiative, mais c'est absurde. Ma famille est là, Et j'aimerais être seul. D'ailleurs, je trouve dès que je le peux une excuse pour m'éclipser. Ce qui a l'air de fonctionner. Personne ne me pose de question quand je sors dans le jardin, prenant une grande bouffée de cet air froid et piquant de ce début de mois de janvier. C'est alors que je vois une silhouette approcher. Je la reconnais, mais je ne peux cacher ma surprise. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle vienne. Ma tante n'irait clairement pas pleurer sa tante.

-Leta ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

Je ne peux évidemment accorder aucun crédit aux propos de ma tante quand cette dernière affirme qu'elle n'aurait manqué cette "petite sauterie" pour rien au monde. Enfin si, peut-être qu'elle tenait absolument à être présente, mais si c'est le cas, je suis convaincue que ce n'est pas du tout dans l'optique de présenter ses condoléances à l'égard de toute la famille. Il y a longtemps que Leta est considérée comme la mauvaise graine de notre arbre généalogique, et je doute fort que quiconque à l'intérieur ait vraiment envie de la voir ou de la voir accaparer l'attention qu'elle recherche peut-être à l'heure actuelle. Je suis convaincu qu'elle a une idée derrière la tête, et je n'ai pas la patience et l'esprit à découvrir lequel. Au fond, une part de moi me dit que la présence de Leta pourrait dérider un peu l'assemblée et que ça pourrait ne pas être totalement négatif, mais je peine tout de même à observer la situation sous cet angle. Ou sous n'importe quel angle, d'ailleurs, ce n'est pas le moment, tout simplement. Rien ne va, et je n'ai pas besoin d'un imprévu pour s'ajouter à tous les autres "imprévus" que je me vois déjà gérer en silence, parce qu'il n'y a personne à qui je puisse me confier à ce sujet sans devenir totalement dingue. Et d'ailleurs, le piteux état où je suis n'échappe pas à Leta. J'aurais préféré qu'il n'en soit rien, mais je me doute bien ne pas avoir été franchement convaincant.

-C'est de très mauvais goût, tu ne crois pas ? je réplique quand elle me parle de ma "tête de déterré". Au lendemain de l'enterrement de Pearl, je doute fort que ce soit très approprié, mais elle n'a certainement pas choisi ses mots au hasard. Même si je l'ai très peu fréquentée, je la connais assez pour deviner ça. Peut-être qu'elle se doute qu'il y a autre chose ? Oui, et elle aurait raison, car au fond, je suis bien moins miné par la mort de Pearl que par tous les "à côté", à ne considérer comme des "à côté" qu'avec une considération bien minime. Figure-toi que non, je ne vais pas bien, je réplique, rembruni.

Ce qui est de toute façon logique, vu la situation, mais que je ne suis malgré tout pas sûr de bien faire en m'adressant à elle, en lui confiant quoi que ce soit. Je devrais plutôt la convaincre de partir, ce serait beaucoup plus productif.

Si je ne sais pas grand-chose de ma tante, au final (on ne peut pas dire qu'elle soit très bavarde, dans son genre, elle ne l'est même pas du tout, en tout cas pas quand il est question de parler d'elle, de ses pensées ou de ses émotions, comme si tout était un jeu, une sinistre blague pour elle), je sais que la compassion, ce n'est pas son truc, et ce n'est clairement pas à elle que j'ai envie de confier ma peine et mes tourments, même si elle devait insister encore et encore. Son absence totale d'empathie parle pour elle, elle s'en fiche. Elle constate juste que je ne vais pas bien et ça lui va parfaitement. Très bien, à moi, ça ne va pas du tout. Je suis dépassé par tout ce que je vis et subis, j'ai aucune envie de la voir débarquer et en rajouter encore une couche. Sérieusement, sans façon. Mais ce n'est pas non plus comme si elle va vraiment me demander mon avis. Ce serait bien mal lui ressembler, ça aussi, et ce n'est pas comme si je ne le savais pas, en plus. Et elle en rajoute en me disant qu'elle ne me savait pas si attaché à Pearl, qu'elle serait presque jalouse. Comme si elle savait quoi que ce soit de ma vie. Comme si elle en avait vraiment quelque chose à foutre (un indice : elle s'en tape).

-Jalouse de quoi ? je lui réplique avec agacement. En certaines occasions, je peux être patient, mais là, je n'en ai pas la force. Je suis épuisé, fatigué de cette vie qui prend et ne donne jamais rien. Être invisible pour ta famille et leur rappeler que tu existes au moment où ça les arrange le moins, c'est ton truc, aux dernières nouvelles.

C'est aussi ma manière de la blâmer sans la contredire. Car concernant Pearl... Son absence va faire un vide, mais je n'irai pas jusqu'à prétendre que j'y étais attaché. Elle faisait partie de ma vie parce qu'elle faisait partie de celle de Lena, alors ça avait l'air un peu naturel, de cette manière. Son décès, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, mais il n'a pas attendu sa mort pour être plein, trop plein. Et j'en fais quoi, moi, de ce trop-plein ? Rien on dirait...

Je peux difficilement contredire les propos de ma tante. Elle a effectivement raison, moins Leta se fait remarquer, mieux les Lestrange ont tendance à se porter. Le problème, c'est que quand elle décide de se faire remarquer, elle ne le fait pas à moitié. Leta est une adepte des esclandres, et les esclandres, ce sont des choses que l'on n'aime pas dans nos bonnes vieilles familles de sang pur. Les problèmes, on prétend ne pas les voir, on va de l'avant et on fait comme si de rien n'était. On ferme les yeux quand c'est plus confortable pour prétendre que notre réputation ne faiblit absolument jamais. Je suis né et j'ai grandi dans ce monde d'illusion, je sais à quoi m'attendre, je ne risque pas d'être surpris, quelle qu'en soit la manière. Il n'empêche que je m'interroge toujours. Je ne sais toujours pas ce que Leta vient faire ici, je sais juste que ce n'est pas bon signe et que je n'ai pas la tête à supporter tout ça.

Même si j'ai envie de reprocher à Leta de mal me connaître, elle me connait suffisamment pour sentir que je ne vais pas bien du tout. Est-ce qu'elle est très observatrice ou est-ce que je ne suis tout simplement pas discret ? Je préfère la première option à la seconde, parce que dans le second cas, ça veut dire que je mets mon coeur à nu en présence de personnes en qui je n'ai vraiment aucune confiance, même si je ne devrais pas.

J'adresse un regard attentif à ma tante. Elle serait l'une des dernières personnes à qui j'envisagerais de me confier, mais elle n'a pas tort, même si elle n'est pas digne de confiance elle l'est sans doute de mes confidences. Elle n'a personne à qui le répéter... et moi, j'aurais sûrement grand besoin de parler... et en même temps. C'est si... personnel. Je ne suis pas certain d'être capable de dire quoi que ce soit.

-Depuis quand ma vie t'intéresse ? Que tu le répètes ou pas, j'ai aucune raison de te dire quoi que ce soit.

J'ai hésité. Je ne sais pas si elle l'a remarqué, mais j'ai hésité. Et je ne sais pas trop quoi faire, là...

Au moins, Leta a la décence d'admettre que je n'ai pas vraiment de raison de me confier à elle, mais ça ne l'empêche pas de poursuivre malgré tout. Ce qu'elle ajoute, c'est que ma vie l'intéresse vraiment. J'avoue que j'ai du mal à y croire, mais en même temps, je n'ai jamais réussi à cerner ma tante. Elle n'a jamais été désagréable avec moi, c'est vrai, mais elle pâtit de sa tenace réputation auprès de notre famille, et si l'on me dit de me méfier d'elle, j'en déduis qu'il faut bel et bien que je le fasse. Et donc oui, je ne suis pas prêt à lui accorder ma confiance, même si elle est peut-être armée des meilleures intentions du monde à mon égard. Elle est trop instable de toute manière. Elle peut être très sympathique et agréable, là, maintenant, mais le lendemain, elle finira par faire une crise de nerf qui la conduira tout droit à Sainte-Mangouste, comment se fier précisément à une personne pareille ? Que ma vie l'intéresse ou pas n'y change rien.

Je suis un peu surpris quand Leta ajoute qu'elle m'aime bien... Je n'ai rien fait pour me montrer franchement aimable avec elle, donc j'ai du mal à comprendre. Et puis, je n'ai pas le sentiment de me distinguer de la masse des sangs purs au sein de laquelle j'évolue, j'ai plutôt l'impression de m'y fondre avec brio... Ceci dit, elle a peut-être raison sur un point, je ne m'y sens pas toujours à ma place, et parfois, j'ai l'impression de ne faire que jouer à un jeu, et c'est tout. Je ne comprends pas ce qu'elle veut dire quand elle affirme qu'elle est la seule alentours à ne me vouloir aucun mal, même s'il est vrai que les personnes dont je me sens le plus proche et que j'estimais le plus (Lena, Abraxas...) m'ont fait du mal, m'ont trahi... Je pousse un soupir. Je ne veux pas admettre qu'elle puisse avoir raison. Peut-être que je ne suis juste pas prêt.

-Il faut que j'y retourne, dis-je simplement, ce qui est vrai. Même si c'est peut-être encore une manière pour moi de m'illusionner, je ne dis pas ne pas en avoir conscience. Si j'étais toi, je ne m'accompagnerais pas.

Et sans ajouter un mot de plus, je file. On s'est tout dit. Ou pas assez.