C

e n'était pas la première fois que Phèdre agissait de la sorte. Sans en avoir fait une spécialité (pas encore), elle devait bien admettre qu'elle l'avait sans doute fait bien plus que cela devrait être permis au cours de toute une vie (en même temps, ça ne devrait jamais être permis, c'est un fait)... Le chantage n'était pas forcément une méthode qu'elle affectionnait, mais elle avait bien dû admettre, à force d'expérience, qu'elle était tout de même très efficace. Suffisamment pour qu'elle réitère. En tant que journaliste, elle avait déjà acheté son silence concernant certaines enquêtes en échange d'une contrepartie financière (avec ce qu'on voulait bien lui accorder de salaire à la gazette en même temps... il fallait bien qu'elle trouve de quoi arrondir ses fins de mois), mais c'était la première fois qu'elle ne comptait pas employer la menace à des fins personnels. Et aussi la première fois qu'elle s'attaquait à quelqu'un d'aussi influents. D'ordinaire, elle misait sur des cibles bien plus... corruptibles... D'un autre côté, ne pas saisir l'occasion qui se présentait à elle tiendrait de l'erreur monumentale à ses yeux. D'autant que l'Hydre avait besoin de moyens supplémentaires. Ce serait l'occasion.

Ça ne faisait aucun doute, Balthazar Morales, même s'il ne serait pas forcément le plus simple à corrompre (du moins le pensait-elle, elle ne savait pas grand chose sur lui), serait une idéale vache à lait (au sens figuré, hein, précisons). Son secret, s'il devait s'ébruiter, n'irait pas seulement compromettre sa réputation et sa carrière, elle pouvait lui donner un billet d'entrée en direct pour l'étage psychiatrique de Sainte-Mangouste. Bref, c'était un coup à tenter. Sans aucune compassion de la part de Phèdre pour ce qu'elle considérait comme un exemple parmi tant d'autres de déviance qu'elle était après tout bien aimable de "protéger" par le chantage.

Elle avait donc trouvé l'adresse de Balthazar Morales, du moins celle de sa résidence secondaire à Londres. Elle fixa un moment la bâtisse avant que d'y frapper. C'est sûr que ça n'avait rien à voir avec son cagibi. Cet homme avait les moyens... Et elle y comptait bien, car dans l'idéal, elle avait la ferme intention de lui extorquer le plus de revenus possibles. Pour l'Hydre, bien sûr. Quoi qu'elle garderait certainement un petit rab pour elle-même.




   

code by Mandy

P

hèdre s'était attendue à tomber nez-à-nez avec l'elfe de maison de l'homme politique (hein ? Un major... quoi ?), mais ce fut Balthazar Morales en personne, en chair et en os, qui vint lui ouvrir. Même si elle ne l'avait jusqu'alors observé que de loin, ça ne faisait pas le moindre doute, c'était bel et bien l'homme qui faisait l'objet de sa filature depuis plusieurs semaines. Allez savoir si les raisons qui le poussaient à l'accueillir ainsi était une absence de moyen temporaire, un souci de personnel, un manque total de défiance ou quelque concours de circonstance que ce soit, mais dans tous les cas, cela ne pouvait qu'arranger la jeune femme qui avait déjà envisagé de multiples scénarios qui avaient tous eu pour but de ne pas rester dehors, de ne pas être mise à la porte, et de pouvoir mettre un pied à l'intérieur de la demeure dans laquelle on la faisait à présent rentrer avec une simplicité des plus enfantine. À se demander pourquoi elle s'était à ce point trituré les méninges. Ça avait été une manifeste perte de temps. Il semblait étonnamment accueillant et accessible pour un homme de son envergure, Phèdre en perdrait presque sa contenance, mais elle sut vite retrouvé l'aplomb qui lui était nécessaire pour accepter derechef la proposition de son interlocuteur et s'engouffrer à l'intérieur.

Allez savoir si la pluie qui menaçait de tomber était la seule à remercier pour la générosité de M. Morales, mais Phèdre louait le ciel (au sens propre, pas au figuré) pour cette future averse, au final providentielle, car elle était à présent où elle avait voulu se trouver... même si elle ne s'était pas attendu à ça... Sans avoir jamais été en Espagne, n'ayant d'avis sur ce pays que ses préjugés, elle en trouvait d'un coup l'atmosphère chaleureuse, comme si elle avait transplané pile dans une villa hispanique. C'était assez plaisant, à vrai dire. Mais Phèdre devait se concentrer, elle n'était pas là pour ça. Il ne tenait qu'à elle, à présent, d'abattre ses cartes avec autant de finesse que possible (et la finesse n'était pas forcément son for). Balthazar lui posa finalement la question qu'elle pensait se voir posée avant même que d'être entrée, et y répondit sincèrement.

-Je m'appelle Phèdre Snowden, je suis journaliste. Elle insista bien sur son métier, quitte à jouer les maîtres-chanteurs, il fallait prouver à sa cible qu'on pouvait l'être dans les grandes largeurs. J'aimerais discuter avec vous d'un sujet qui vous concerne et qui devrait, je pense, vous intéresser.




   

code by Mandy

P

hèdre devait bien reconnaître qu'elle s'était attendue à rencontrer plus de difficultés que cela pour aboutir à ce face-à-face avec son interlocuteur. En tant que journaliste, et dans le cadre plus strict et rigoureux de son travail, elle ne comptait plus le nombre de fois où sa volonté sans failles s'était vue confrontée à des portes closes... quand ce n'était pas tout simplement à des visages fermées. Pour un homme de la carrure de Balthazar Morales, elle avait envisagé que cette première tentative pour le moins aventureuse ne porte aucun fruit. Manifestement, elle avait eu tort, non seulement l'homme l'avait laissée pénétrer chez lui, mais il semblait véritablement disposé à répondre à ses questions, apparemment peu rebuté par le fait qu'elle soit journaliste (ce qui avait pourtant généralement tendance à déplaire au plus grand nombre)... grand mal lui fasse, il aurait tôt fait de le regretter. La diplomatie devait véritablement couler dans les veines de ce type-là... ce qui justifiait certainement le fait que son travail lui aille comme un gant. Ceci dit, un peu plus de défiance ne lui ferait pas de mal. Phèdre ne se souvenait même pas de la dernière fois où elle était parvenue à obtenir un entretien si facilement... Dommage que celui-ci ne doive faire la une de la gazette du Sorcier que dans la mesure où son interlocuteur ne cèderait pas à son (odieux) chantage... et il y avait tout intérêt. Phèdre suivit M. Morales où il la conduisit, et une fois installée, elle revint à la charge.

-À vrai dire, j'aimerais éclaircir avec vous une rumeur qui commence à circuler à votre sujet... ou du moins, qui pourrait atteindre une grande échelle et des proportions regrettables si vous comme moi ne nous appliquions pas à la juguler sur-le-champ.

Elle afficha à l'adresse de son interlocuteur un sourire empreint d'une sympathie qu'elle n'éprouvait guère, comme pour témoigner du fait qu'elle agissait bel et bien pour son seul intérêt... Il aurait tôt fait de comprendre le contraire, mais ce n'était pas ce qui importait. Aux yeux de Phèdre, le fond importait tout autant que la forme. C'était en y mettant les meilleurs atours que l'on pouvait faire avaler à tout un chacun les plus ignobles des couleuvres.

-Sachez que pour ma part, je n'accorde que peu d'intérêt aux ragots, mais je crains fort d'être la seule. Je préfère me saisir de cette histoire avant que d'autres salissent votre nom et votre réputation avec moins de scrupules que j'en aurais moi-même.

Des scrupules, elle n'en avait pourtant aucun, même si son interlocuteur était un homme fort agréable dont on ne pouvait remettre en question ni la politesse, ni la sympathie.




   

code by Mandy

P

hèdre devait avouer apprécier la décontraction et le calme dont savait faire preuve son interlocuteur, en d'autres circonstances, et si la situation exigeait d'elle qu'elle ne revienne pas sur sa décision, elle était convaincue qu'ils auraient très bien pu s'entendre, tous les deux, ou en tout cas trouver plus d'un terrain d'entente, l'un et l'autre. Mais ce n'était pas de cela qu'il était question en cet instant. Il était question d'impressionner le ministre, de le faire passer aux aveux, de le faire céder à l'odieux chantage qu'elle lui avait préparé. Pour l'heure, ce ne semblait pas gagné, mais en vérité, la journaliste restait malgré tout particulièrement confiante. Pour le moment, l'homme semblait avoir l'avantage, il donnait le sentiment d'être un roc inébranlable, qu'aucun chantage d'aucune sorte ne ferait céder, mais la jeune femme voulait croire que c'était surtout parce qu'elle ne savait pas encore de quoi il retournait exactement. Il perdrait sans doute un rien de sa superbe quand il découvrirait ce qu'elle avait appris à son sujet, et dès lors, ce serait une tout autre affaire. Ou non. Elle aviserait quoi qu'il en soit, mais pour l'heure, même si le discours de son interlocuteur lui donnait l'avantage, elle restait convaincue de pouvoir le reprendre à tout instant. Il suffisait pour cela qu'elle daigne enfin parler de ce qu'elle savait.

-Je n'en doute pas un seul instant, répondit-elle dans un fin sourire, ne manquant pas de brosser son interlocuteur dans le sens du poil quand ce dernier lui affirma qu'il faisait son quatre heures des rumeurs à son sujet.

Ce ne devait pas être que pure flagornerie, d'ailleurs. La jeune femme était convaincue qu'il y avait de la vérité dans ce qu'il disait. Dans sa condition, il était plus que certains qu'il était constamment aux prises avec tous les potins possibles. Seulement, certains étaient plus dangereux que d'autres, sans compter qu'il en était quelques uns que les faits ne contredisaient rien. Et ce que Phèdre avait à sa disposiition, était, dans ce genre, une véritable bombe à retardement.

-Celui-là, malheureusement, risque de vous sembler un peu indigeste. Elle planta son regard dans celui de son interlocuteur, et se décida, après un moment calculé de silence de lui parler de ce qu'elle savait. D'abord des faits, ensuite des preuves, si l'affirmation ne suffisait pas. Ce qui serait forcément le cas. Il se murmure que vos goûts... disons sentimentaux, pour ne pas sombrer dans le trivial, seraient pour ainsi dire... déviants.




   

code by Mandy

P

hèdre répondit au sourire sympathique de son interlocuteur par un autre, teinté d'une hypocrisie identique. La journaliste était entièrement sûre des informations dont elle disposait, aussi n'était-elle pas décidé à entendre le moindre des arguments qui allaient lui être opposés, et encore moins à en tenir compte. La jeune femme se trouvait ici pour une raison précise, et elle ne comptait certainement pas s'en aller tant qu'elle n'aurait pas obtenu gain de cause, tant qu'elle n'aurait pas eu très exactement ce qu'elle recherchait. Elle laissa donc son interlocuteur parlait, son fin sourire ne quittant pas ses lèvres, bien déterminée à ne pas déviée de son discours d'origine, quoi que puisse lui répliquer M. Morales, et qu'importe la viabilité de ses arguments. Être loin de chez soi n'avait jamais empêché quiconque de courir à l'aventure, surtout sentimentale, aux yeux de Phèdre, et c'était même un prétexte pour beaucoup à tenter des expériences plus ou moins interdites puisque, après tout, ce qui se passe loin de chez soi garde une aura de non-existence bien pratique. Mais donc, Phèdre ne goûtait pas à cette excuse. Il ajouta ensuite qu'il n'avait tout simplement pas le temps, au vu de son travail... et si la jeune femme ne remettait pas en cause le fait que le travail de son interlocuteur devait être en effet très prenant, elle n'y voyait pas là un argument suffisant. Et pour cause, ce n'était pas comme si elle était venu porter l'une et l'autre accusations sans semblant de preuve. Et au pire... les preuves se créent si simplement, quand on sait à qui s'adresser.

-Oh, mais je n'ai aucune intention de m'en aller, répondit-elle très aimablement, mais d'un ton qui laissait tout de même plus que sérieusement entendre qu'elle ne se laisserait pas convaincre du contraire. Même si elle n'était pas ici chez elle et qu'elle n'avait logiquement pas la moindre autorité à demeurer ici quand on l'invitait à mots couverts à s'en aller. Pensez bien que je ne me permettrais pas d'évoquer avec vous de telles suppositions si je n'avais pas eu le loisir d'en avoir la confirmation. Et des preuves pour appuyer mes propos, cela va sans dire. Elle marqua une légère pause. Mais inutile de vous braquer, soyez assuré que je n'ai pas la moindre intention de vous nuire.

Du moins pas de la manière la plus évidente. Phèdre n'avait en soi pas vraiment de raisons de traîner le nom de Balthazar Morales dans la boue, et elle ne le ferait pas à moins qu'il l'y oblige. Ses intentions résidaient ailleurs.




   

code by Mandy

P

hèdre trouvait à la réponse de son interlocuteur un double sens qui, à vrai dire, n'était pas pour lui déplaire, en tout cas pas pour la déstabiliser. Elle appréciait qu'on lui oppose un minimum de résistance, du moment que ce n'était pas non plus exagéré, et en l'occurrence, c'était le genre de résistance qu'elle était parfaitement à même de gérer (en tout cas le pensait-elle). Un fin sourire éclaira son visage tandis qu'elle entendait son interlocuteur lui assura ne pas être sûr de pouvoir la croire. Sur l'un des tableaux, il avait bien raison, car si elle ne lui voulait pas en soi le moindre mal, elle serait capable de lui en faire beaucoup si elle devait en prendre la décision. Sur l'autre, par contre, il avait tout intérêt à la croire, car les preuves existaient bel et bien, et Phèdre avait la ferme intention de s'en servir si son interlocuteur ne devait pas se montrer aussi conciliant qu'elle le souhaitait.

-Et pourtant, je vous assure que nos intérêts peuvent tout à fait se rejoindre. Son sourire s'agrandit légèrement. Son intérêt étant de garder son secret pour lui, et celui de Phèdre de remplir les bourses de l'Hydre, quand bien même Ignatius y allait dors et déjà de ses propres fonds personnels. Si vous faites exactement ce que je vous demande, alors je vous garantis que tout se passera bien.

Et d'une certaine manière, la garantie était bel et bien réelle, car Phèdre, si elle n'était pas quelqu'un de bien, était au moins une femme de parole. Ce n'était pas spécialement ce qui allait arranger les affaires de Balthazar pour le moment, il n'empêche que c'était quand même le cas. Elle tira de son sac les tirages qui avait été pris, compromettants, et qui pourraient aisément mettre son interlocuteur en fâcheuse posture. Elle lui tendit les photos, toujours souriante, fière de son cou. Certes, les clichés n'étaient pas de la meilleure qualité qu'on puisse imaginer, mais Balthazar y était parfaitement reconnaissable. Et il se trouvait dans une posture qui ne laissait pas place à mille interprétations possibles.

-Je ne demande rien que vous ne puissiez m'accorder. Je travaille pour une organisation de grande ampleur, et elle a besoin de se construire une trésorerie. Bref, elle en avait après son or, c'était aussi simple que ça. Vous pouvez garder les photos, ce sont des copies.




   

code by Mandy