Elle avait enfin trouvé une nourrice pour Gabriel, et elle se sentait vraiment soulagée de cela. Elle avait cru qu'elle n'y arriverait jamais. Même si elle savait que son époux gagnait bien sa vie, elle ne voulait pas lui faire payer des mille et des cents pour cela... Et d'un autre côté, il était hors de question qu'elle confie son fils à n'importe qui, bien sûr...

Là, elle pensait avoir trouvé quelqu'un de digne de confiance, et c'était un soulagement pour elle. Ce qui ne l'empêchait pas d'angoisser à chaque fois qu'elle quittait la maison, mais elle espérait que ça lui passerait.

Ses parents l'avaient largement invitée à devenir mère au foyer et de s'occuper vingt-quatre heures sur vingt-quatre de Gabriel, mais elle ne le voulait pas. Elle chérissait chaque seconde passée avec son fils, oui. Mais elle était habituée à travailler, et elle n'était pas faite pour rester chez elle.

Elle avait donc demandé à regagner sa place chez Honeydukes. Une chance pour elle, son patron avait accepté. Elle l'avait rencontré le matin même pour décidé de ses nouveaux horaires, allégés pour lui permettre de garder au mieux la double casquette de maman et de vendeuse. Puisque ça c'était bien passé, et elle avait quitté Pré-au-Lard le coeur léger. Elle devait rentrer en milieu d'après-midi, elle avait annoncé cela à la nurse, pour la simple et bonne raison qu'elle avait décidé de retrouver Christian à Londres pour déjeuner avec lui. Elle grapillait toujours les moments qu'elle réussissait à passer avec lui. L'acharné du travail qu'il était ne comptait pas toujours ses heures, et elle le savait.

Elle l'avait raccompagné à son bureau, et rejoignait à présent l'ascenseur, quand elle croisa un visage connu.

« Bonjour Lindsay. Comment tu vas ? »

Lindsay était convaincue du fait que, à une époque, ils se seraient contenté de s'ignorer, tous les deux, mais ce n'était plus le cas maintenant. Elle avait eu quelques à prioris sur Caspar, mais ce n'était plus le cas aujourd'hui. Il avait été sensible à son histoire et avait pris son parti. Et elle s'était rendu compte qu'il était un homme plus agréable qu'elle ne l'aurait soupçonné en premier lieu.

"Bonjour Caspar, je vais très bien et toi ? Pas trop de travail, j'espère."

Sans doute que si, elle savait qu'il était tout aussi travailleur que Christian, et s'il était là, ça ne devait pas être pour rien.

« Je vais bien aussi. Toujours beaucoup, si. Tu sais ce que c’est sans doute. Je passe bien plus de temps ici qu’auprès de mon épouse. »

Elle n'était pas surprise d'entendre son interlocuteur lui affirmer qu'il avait trop de travail. C'était le lot de quiconque avait une place et des ambitions au sein du ministère de la Magie. C'était une chose que Caspar savait tout aussi bien que Christian, et ce dernier ne le lui avait jamais caché quand leur relation avait commencé.

Quand elle était avec James, elle savait au moins qu'il rentrait à heures fixes, qu'il avait un planning bien concret, il était là tous les soirs et pendant ses jours de repos... elle savait qu'elle ne devait pas en demander autant à son nouveau mari.

Elle était partagée à ce sujet, d'ailleurs. D'une certaine manière, elle aimait ce qu'elle considérait comme un trait de caractère chez lui : son sens des affaires, sa hargne, son ambition. Sur ce point, il était aux antipodes de James.... mais de temps à autre, elle avait peur quand même. Il ne lui avait pas caché ce qu'il avait vécu avec sa précédente compagne, combien il l'avait délaissée... Forcément, elle appréhendait qu'il en fasse de même avec elle.

Mais pour l'heure, elle n'avait pas à s'en plaindre. Il trouvait toujours du temps à lui consacrer, et c'était bien plus simple maintenant qu'ils avaient emménagé ensemble. Et, pour ne rien gâcher, il était aussi exceptionnel avec Gabriel. Alors oui, même s'il rentrait parfois trop tard à son goût du bureau et ne ménageait vraiment pas ses efforts, elle ne trouvait aucune raison de faire la fine bouche ou de se plaindre. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait plus goûté à tant de sérénité dans sa vie, et c'était grâce à Christian si c'était à nouveau possible. alors elle était chanceuse, au final.

"Il faut croire que c'est le lot des personnes ambitieuses", affirma Lindsay dans un fin sourire. "Mais je n'ai certainement pas à me plaindre, Christian est un époux parfait, et un excellent père pour Gabriel." En somme, elle se disait avoir gagné au change. "J'imagine qu'il suffit de savoir faire la part des choses, comme vous."

Mais en vérité, elle n'avait pas la moindre idée de comment les choses se passaient entre Caspar et son épouse.

« Il faut savoir se donner les moyens d’obtenir ce qu’on veut. »

Lysandre n'aurait pas forcément pu affirmer qu'elle aurait fait de cette maxime son moto il n'y a pas si longtemps de cela. Non pas qu'elle n'ait jamais été ambitieuse ou n'ait jamais voulu se donner les moyens d'obtenir ce qu'elle désirait (c'était d'ailleurs à ce titre, certainement, que James avait fini par lui céder à l'époque... pour ce que ça lui avait servi), mais récemment, elle avait pris bien plus concrètement conscience du fait qu'il était vraiment nécessaire de se battre pour parvenir à ses fins.

Elle le savait, parce qu'elle avait une conscience parfaite de ce qu'elle souhaitait à ce jour, ce qui n'avait pas toujours été le cas, en réalité. ce qu''elle voulait, c'était que personne ne lui ôte son fils et certainement pas son ex-mari, c'était parvenir à vivre une vie douce et équilibrée, de celles qui peuplaient ses rêves de petite fille et qu'elle avait trop vite considérés comme acquis alors que ce n'était que du vent.

Il fallait savoir se donner les moyens de ce qu'on voulait, c'était pour ça qu'elle se battait bec et ongles pour conserver la garde de son fils et parvenir à le faire adopter par Christian, quitte à se montrer d'une cruauté sans nom avec le père biologique de son enfant... mais elle considérait qu'il avait commencé bien avant elle... Considération immature, qu'elle arrivait quand même à taxer d'attitude adulte et responsable. Devenir mère avait changé beaucoup de choses en elle. Et ne l'avait pas forcément changée en bien au passage.

Elle hocha la tête. Elle ne pouvait pas considérer l'excès d'ambition comme un défaut. Christian en avait à revendre, et si elle pouvait parfois le vouloir présent, elle était heureuse de sa nouvelle vie comme elle ne l'avait pas été depuis longtemps, et le caractère frondeur de son nouvel époux était sans aucun doute pour beaucoup dans son bonheur tout neuf.

« C’est une façon comme une autre de vous offrir le meilleur. »

Charis rétorquerait sans doute que le meilleur était vraiment une question de perspective, à ce stade, mais Lindsay, loin d'être au fait des tourments rencontrés par le couple Croupton se contentait de trouver de la valeur à cette affirmation.

"Et c'est très efficace", répondit-elle dans un sourire. "Et j'imagine que votre épouse serait la dernière à vous le reprocher."

Ou pas.

« Tout à fait. Tout comme vous ne reprochez rien à votre époux. »

Non, en effet. Lindsay avait bien quelques ridicules reproches à faire à Christian, parce que personne n'est parfait, et elle encore moins que n'importe qui d'autre (elle se doutait que de son côté, Christian lui aussi avait certainement pas mal de reproches à lui faire), mais elle aimait ses défauts autant que ses qualités.

Il était un époux incroyable, un père exceptionnel pour Gabriel, il lui avait redonné goût à la vie. On pouvait la tenir pour une garce, une peste sans coeur (et c'était peut-être un peu vrai), mais elle avait le sentiment d'être une meilleure personne.

Ce n'était pas le fait qu'il lui apporte une plus grande indépendance financière, qui lui importait, c'était le fait qu'il la regarde comme elle avait le sentiment que James ne l'avait jamais regardée, parce qu'elle avait le sentiment que sa vie trouvait un véritable sens maintenant.

Alors non, elle n'avait pas de quoi se plaindre, parce que sa relation se fondait sur une histoire d'amour honnête et véritable.

Caspar, avec Charis, ne pouvait pas en dire autant. Elle n'était pas sans ignorer les histoires de mariages arrangés dans les familles de sang pur, mais elle savait fermer les yeux aux moments qui lui paraissaient opportuns, ce qui bien sûr n'avait rien du tout d'une bonne chose.

"Peut-être que nous aurons l'occasion de passer du temps ensemble, tous les quatre", proposa-t-elle alors sous le coup d'une impulsion qu'elle n'avait pas particulièrement calculée. "J'aurais grand plaisir à faire la connaissance de votre épouse."

Caspar et elle ne se connaissaient pas encore si bien que ça, mais les dernières circonstances les avaient rapprochées, et Lindsay avait à coeur d'entretenir ces nouvelles amitiés, qui lui faisaient beaucoup de bien, parce qu'elles lui permettaient de trancher avec son passé.

Et puis, son divorce et la naissance de Gabriel avaient eu tendance à faire le tri dans ses amis de manière naturelle. Changer d'entourage n'était pas simple, mais elle aimait bien l'idée de compter dans son entourage des personnes dignes et droites comme Caspar. En tout cas, c'était l'image que Lindsay avait de lui.

Et c'était vrai aussi qu'elle serait assez curieuse de faire plus ample connaissance avec Charis.