En célibataire assumé et digne de ce nom, c'est à dire n'étant pas l'un de ces crétins frustrés (note, ces gens là sont souvent à Serpentard - je dis ça, je dis rien) qui font semblant de ne pas être en couple par choix mais pleurent toutes les larmes de leur corps en constatant leur solitude, j'apprécie la Saint Valentin, malgré ce que cette fête peut avoir de désuète et de niaise, et je n'y trouve rien de honteux ou de répréhensible. Ce que je peux en entendre, des gens qui râlent parce que "ça se bécote de partout", que "l'amour c'est rien que des conneries", parce qu'ils sont bien mieux tout seuls ! Ces gens là sont tout simplement aigris et jaloux, parce qu'ils désirent mais ne possèdent pas, et la Saint Valentin pointe du doigt cette sensation d'isolement, ce misérabilisme. Comme moi, je ne suis pas un frustré imbécile, je  vis parfaitement mes quatorze février, et de manière générale, que je sois en couple ou pas. Franchement, avec toutes ces soirées qui s'organisent de partout, ce n'est jamais qu'une occasion supplémentaire de faire la fête. Avec toutes ces soirées qui s'organisent de partout, ce serait quand même bien dommage de tirer la tronche et de ne pas en profiter, tout simplement. Tenez, par exemple, y'a une super fiesta qui est en train de s'organiser dans notre bonne vieille salle commune de Gryffondor, eh bien n'allez pas croire que j'ai pas l'intention d'en profiter. Au contraire, et plus on veillera tard, mieux je me porterai.

Alors que j'assiste aux préparatifs sans daigner donner le moindre coup de pouce (mettre la main à la pâte ? Et puis quoi encore ?), je m'amuse de cette décor rose, beaucoup trop rose, et kitsch, beaucoup trop kitsch, qui orne nos beaux murs. On a déjà préparé la musique, de quoi boire (et pas que du jus de citrouille, à ce que je constate), et de quoi se rassasier. En face de moi, un petit bol rempli de coeurs en chocolat me tend les bras. Ils auraient pu être en forme d'étoile, de pastèque, ou de dromadaires, ça n'aurait rien changé. Tant qu'il y a du chocolat, moi, je mange, c'est quasi-instinctif. Alors j'y plonge négligemment la main, et j'en gobe trois d'un coup. Je les mâchouille avec l'élégance d'un ostrogoth quand mon regard, comme il aurait pu s'arrêter sur n'importe quel autre, tombe sur Striff, Meredith Striff (ou Ginny Weasley, mais je me fais pas encore à ces histoires de voyageurs temporels), aka la psychopathe, comme je la nomme quand elle a le dos tourné. Sauf que là, tout à coup, elle me paraît diablement attirante. Et celle avec qui je ne me voyais pas finir la soirée, devient celle auprès de laquelle j'ai envie de tenter ma chance. Alors je me lance, j'embarque avec moi le bol de friandise et les lui agite sous le nez.

-Une petite douceur ?

À chacun son entrée en matière. Ok, la mienne ne casse pas des briques, mais sur un malentendu…

Là, vraiment, Gin' n'avait qu'une seule envie : en prendre un, et s'en servir pour cogner tous les autres. Ce n'était pas de leur faute, à ces pauvres types... Ils s'aimaient, ils célébraient leur amour à gerber. C'était la tradition. Mais l'amour et toutes ces conneries, c'était à un milliard d'années lumières de ses considérations. Plutôt crever d'ajouter des soucis de coeur à tous ses autres ennuis... quoique, techniquement, et puisque ses sentiments envers Harry étaient inchangés, des soucis de coeur, elle en avait déjà.... Ces gens là se précipitaient dans les bras les uns des autres, se nourrissaient d'amour et d'eau fraîche... ils étaient... tout bonnement inconscients, ignorants. Voir des gens être heureux, voir des gens s'aimer quand son univers à elle partait en vrille, c'était juste insupportable. Et en plus, il n'y avait absolument aucun moyen de passer outre. Parce que bon, y'avait bien une sortie à Pré-au-lard, mais c'était encore pire là-bas, la grande salle, n'en parlons pas, les couloirs du château étaient bondés de couples en train de se bécoter... et pour ce qui se passait à l'heure actuelle dans son dortoir... Après avoir entendu un lit grincer et des draps s'agiter bizarrement, elle avait préféré ne pas en savoir plus sur ce qui se passait. Elle s'était donc exilée dans la salle commune des rouges et or, en son âme et conscience, et certaine que ce n'était pas une situation d'avenir, en fait. Parce que ça s'agitait pas mal aussi, dans la salle commune. On préparait une soirée à l'occasion de la Saint Valentin. Non mais sans déconner... Des guirlandes roses dégueu au plafond, et des petits coeurs partout... Elle n'allait pas supporter longtemps... Mais pour le moment, elle allait subir un peu. Elle avait choisi enfin de faire ses devoirs, ceux qu'elle aurait dû rendre la veille, et elle s'était posée à une table pour essayer de gribouiller deux-trois notes. Difficile de se concentrer, avec tout ce bouquin. Elle ne le vit pas arriver, quand Johnson lui proposa un chocolat. En forme de coeur.

Ginny le considéra du regard avec un léger dédain, pas tant parce qu'elle ne l'appréciait pas personnellement, mais parce que tout le monde l'agaçait. Johnson, elle le connaissait un peu, parce qu'il appartenait à la résistance, déjà, et parce qu'il était le trublion parmi les gryffondors d'autre part. Une chance qu'il apprécie Hagrid et ne puisse pas encadrer Jedusor, ça la rendait un peu plus clémente à son égard. Mais pas au point de se montrer extrêmement agréable.

"Si j'en prends un, de ces chocolats, tu me fous la paix ensuite ?" Et elle attrapa vite fait un chocolat qu'elle mangea sans faim, même si, quelle que soit son humeur, elle reconnaissait qu'il n'y avait pas besoin d'avoir faim pour aimer le chocolat. Ou alors... ajouta-t-elle alors que les effets du philtre commençaient à faire leur effet et que, tout à coup, Johnson lui avait l'air beaucoup plus attirant, et sa présence plus agréable. "Ou alors tu peux t'asseoir à côté de moi et me tenir compagnie ?"

Elle a toujours été farouche, la Ginny, ou en tous cas, elle l'a toujours été depuis que je la connais... Mais elle a des circonstances atténuantes. La pauvre... ça doit être fatigant d'être toujours sur ses gardes. Ça me dérange pas, qu'elle soit pas du genre "facile d'accès", comme fille. Au contraire, elle est comme un défi à relever. Un magnifique défi à relever, tout en chevelure de feu, silhouette ravageuse, et yeux sublimes... Je sais que ça ne va pas être bien simple, mais bon... Je tente. Je ne voudrais pas passer à côté de ma chance. C'est un phénomène, un sentiment tout récent. Et pourtant, j'ai l'impression de l'avoir éprouvé depuis toujours, comme si j'avais toujours eu cette fille dans la peau... Et j'ai l'impression que j'ai une occasion à saisir. Je ne veux pas rester plus longtemps sans dire à cette fille ce que j'ai sur le coeur. Chaque seconde qui passe où je garde les choses pour moi est une seconde gâchée. J'au juste envie de serrer cette fille dans mes bras et de l'embrasser comme si ma vie en dépendait. Mais bon, hein, chaque chose en son temps. Déjà, si elle fait un geste positif, n'importe lequel, ce s'ra déjà bien.

Et elle le fait pardi ! Bon, son argument joue pas forcément en ma faveur, mais au moins, elle accepte le chocolat que je lui offre. C'est un bon début, non ? J'attends son verdict, j'attends qu'elle ajoute quelque chose. Elle peut dire n'importe quoi, du moment qu'elle continue à m'adresser la parole, c'est bien. Mais quand j'entends ce qu'elle me dit, je trouve ça encore mieux ! J'ai peur d'avoir mal entendu tellement c'est inattendu, mais je crois que j'ai bien compris, pourtant. Elle veut vraiment qu'on passe du temps ensemble ? Aucune chance que je me fasse prier. J'ai trop envie de profiter de sa compagnie, de toute façon.

-Avec plaisir ! Je dis, enthousiaste, avant de m'étaler allègrement juste à côté d'elle, m'empoisonnant encore un peu en continuant de me gaver de chocolat. D'humeur aventureuse, je passe un bras derrière ses épaules et lui caresse nonchalamment le bras. Très souvent, ce genre d'attitude me vaut une volée de gifles en pleine tronche. Mais je tente quand même, je me dis que ça peut en valoir la peine. Tu comptes assister à la soirée ?

Si elle n'y tenait pas, j'ai bien l'intention de la faire changer d'avis. Parce que tout à coup, je me dis que ces festivités n'auront aucun intérêt si elle n'est pas là. Je veux passer absolument toute la soirée avec elle. Et si je n'arrive pas à la convaincre de rester, je veux bien aller où elle ira. Je n'ai pas envie de parler à quelqu'un d'autre, je ne veux pas me consacrer à une autre personne qu'à elle dans les prochains temps. Après, je sais bien qu'elle ne voudra peut-être pas passer trop de temps avec moi, mais il me semble voir une ouverture. Et je veux en profiter.

Une partie de moi sait très bien, pourtant qu'il y a quelques jours, et même quelques heures, l'idée de passer du temps en compagnie de Ginny Weasley m'aurait agacé. Pas parce que je la déteste ou que je la trouve désagréable à regarder (shooté au philtre d'amour ou pas, ça ça change pas, je la trouve très jolie), mais si lui adresser des piques auxquelles elle réagit avec agressivité est drôle cinq minutes, je m'en lasse très rapidement. Je ne pensais pas pouvoir m'entendre vraiment avec cette fille, on est trop différents. Faire l'effort de lui parler parce qu'on est tous les deux dans la rébellion, et que c'est quand même important, oui. Passer du temps avec elle juste histoire de faire ami-ami ? Non. Enfin, j'avais toujours cru jusque là que ce serait forcément un "non" tranchant, vif, et catégorique. Mais est-ce que je ne suis pas en train de changer mon fusil d'épaule, comme ça, l'air de rien ? Ben on dirait sacrément ! En tous cas, je peux pas feindre l'indifférence quand je suis en sa présence. Ce n'est pas comme si j'avais sans arrêt envie de l'embrasser, mais en fait si, depuis tout à l'heure, je fixe ses lèvres, et je meurs d'envie d'y déposer un baiser fougueux, comme jamais je n'ai embrassé personne de toute ma vie. Mais c'est pas juste un truc physique. J'ai envie de passer du temps avec elle, de l'écouter parler pendant des heures, et peu importe de quoi elle me parlerait. Je me sens devenir tout sucre tout miel, et là, rien que le fait qu'elle décide de passer toute cette soirée avec moi, ça me rend toute chose. La dernière fois que j'ai éprouvé ça, j'avais douze ans et j'étais con. Là je suis toujours con, mais je suis supposé avoir grandi, quand même, je suis supposé ne pas me laisser kidnapper par les premiers cils qui battent. Mais je persiste et signe. J'aime avoir ma main serrée dans la sienne, mon coeur bat plus fort quand ses doigts serrent les miens. Je me sens enorgueilli, j'ai l'impression que je pourrais soulever des montagnes, d'un coup, et je suis totalement sûr de moi quand je dépose un rapide baiser à la commissure de ses lèvres avant de lui répondre. Très franchement, j'ai envie de plus que ça, mais je ne veux pas brusquer ma rose pleine d'épines. J'ai pas peur de me faire piquer, même pas dans mon orgueil, mais j'ai bien plus peur qu'elle finisse par m'échapper, par contre.

-Je ne bouge pax d'ici.

Ses lèvres ont un goût de chocolat… Je la regarde longuement sans rien dire, et moi qui suis un bavard invétéré n'est pas dérangé par le silence, pour une fois. Je finis par le briser, mais c'est plus pour entendre le son de sa voix que d'écouter celui de la mienne, en fait.

-C'est drôle, tu sais, j'avais toujours eu l'impression que tous les deux, on était pas compatibles. Mais pas du tout. Oui, je mets les pieds dans le plat, tant qu'à faire. En fait.. je crois que je t'ai mal jugé. J'ai l'impression qu'on est liés, quelque part. Qu'on est faits l'un pour l'autre...

C'est dingue comme, en un rien de temps, ses propos arrivent à me réchauffer le coeur, j'aurais pas cru qu'une fille puisse un jour avoir ce genre d'effet sur moi. Mais c'est le cas, et c'était complètement cinglé. J'ai le coeur qui bat à mille à l'heure, et l'envie folle de passer chaque seconde de ma vie avec elle. Si une fille m'avait dit ça avant, une autre fille ça va de soi, j'aurais sûrement été assez désagréable avec elle, en me foutant d'elle, notamment (notamment, ouais), et j'aurais trouvé ça ignoble et niais. Mais je peux pas me moquer d'elle, parce que je serais totalement hypocrite. Je ressens la même chose qu'elle, j'ai vraiment le sentiment qu'on est sur la même longueur d'ondes. J'ai envie de veiller sur elle, de jour comme de nuit, et les autres préoccupations que j'ai pu avoir avant me paraissent complètement stupides. Il n'y a qu'elle qui compte, vraiment qu'elle. Je veux qu'elle n'ait aucun doute là-dessus.

-Je ne te laisserai plus jamais avoir le moindre ennui, Ginny. Je prononce son prénom à la légère, mais je ne me rend plus du tout compte du danger. Je te promets que je te protègerai et que je veillerai sur toi, il ne t'arrivera plus jamais rien.

Il ne lui arriverait rien, non, parce que je la défendrais et je la protègerai, de tout et de tout le monde. Je les protègerai, elle et son secret, et contre Jedusor. Elle ne craindrait plus jamais rien. C'est la première fois que je ressens si fortement cet instinct protecteur. Il me porte et me transporte. Je ne veux que son bien, et je veux bien être égoïste, oublier mon propre malheur au profit de son bonheur. C'est drôle, comme sensation. Mais c'est très agréable. Doucement, je lui caresse le visage du bout des doigts, avant de m'emparer de ses lèvres de nouveau. Difficile d'y résister après y avoir goûté.

-Une danse, ça te tente ?

La soirée commence, les élèves rient et bavardent, d'autres, encore, s'emballent, le poste radio vient disperser de la musique dans tout l'espace de la salle commune. Je me lève et lui tend la main en espérant qu'elle me suive. Je suis un danseur super mauvais, j'ai la fâcheuse tendance à écraser les pieds de mes cavalières, mais j'ai bien envie de réitérer l'expérience, si c'est avec la jolie rousse. J'avais envie de l'avoir dans mes bras, et de me laisser porter par le rythme de la musique avec elle.

Quand je danse avec elle, quand je la serre contre mes bras, j'ai l'impression d'être un homme meilleur. Ou en tous cas, faute d'en être un, je le veux. Je ne désire rien de plus. J'ai envie d'être à la hauteur. Éprouver qu'elle a des sentiments pour moi me donne envie de me dépasser, de tout faire pour m'en montrer digne. Une fille comme elle, on en rencontre pas tous les jours, j'ai envie d'être à la hauteur de la chance qu'elle m'accorde en acceptant de me consacrer du temps, et en manifestant un intérêt sincère à mon égard. Je ne sais vraiment pas comment j'ai pu passer tout ce temps auprès d'elle sans rien remarquer. Plus d'un an qu'elle gravite autour de moi, qu'elle fait partie de mon paysage. Et au lieu de l'intégrer pour de bon à mon univers, je l'a laissé de côté, je l'ai négligé. J'ai vraiment honte de moi. J'ai l'impression d'avoir vraiment perdu du temps, et un temps précieux. Je veux rattraper la moindre minute, la moindre seconde...

Sauf que les minutes et les secondes, je ne tarderai pas à le réaliser, allait jouer contre nous. Je ne pense à rien, tout d'abord, je ne dis rien non plus. Je me contente de profiter de ce contact, de l'avoir tout contre moi. Je lui vole quelques baisers de temps à autres (mais en même temps, je sens qu'elle n'oppose pas vraiment de résistance. Jamais je n'agirai contre sa volonté ou ferait quoi que ce soit qui puisse la gêner ou la contrarier dans tous les cas), mais je ne parle pas beaucoup. Ça peut sembler surprenant, quand on me connaît, vu, que je suis généralement un moulin à paroles, mais je n'éprouve pas la nécessité de parler. J'ai le sentiment qu'on a vraiment pas besoin de ça pour s'aimer et se comprendre, elle et moi. Dans un regard, j'ai le sentiment que tout est dit. Pourquoi est-ce que je n'éprouvais pas cette complicité avant ? Elle me paraît tellement manifeste et évidente maintenant que j'avoue peiner désormais à comprendre. Pour l'instant.

Les minutes s'écoulent, je ne sais d'abord pas si ce sont des heures ou des secondes, puisque le temps n'a plus l'air d'avoir beaucoup d'importance... On est en dehors de ça, j'ai le sentiment qu'on est en dehors de ça... Puis les minutes se rallongent. Et tout à coup, elles sont plus désagréables, plus effrayantes, plus pesantes. La gêne et le trouble s'installent. Je ne comprends pas tout de suite à quoi c'est dû. Le philtre d'amour s'amenuit, et ses effets s'estompent peu à peu. Le retour à la réalité va être brutal. C'est drôle, comme sensation. Avoir l'impression d'avoir trouvé un sens à sa vie, avoir le sentiment qu'on est complet parce qu'on a trouvé la personne qui nous permettra de progresser dans la vie, penser qu'on a compris ce que c'est d'aimer pour la toute première fois de sa vie, puis se rendre compte, étape par étape, et un peu plus violemment à chaque fois, qu'on s'est leurré, qu'un voile d'illusions est en train de se déchirer, et qu'on s'est fait avoir sur toute la ligne.