Elle ne sait pas elle-même à quelle jeu elle joue exactement. Elle a bien conscience que ce n'est pas vraiment très intelligent, ni franchement prudent non plus, que de faire comme elle fait, que de parler comme elle parle. Si le but est d'éveiller les soupçons de son interlocuteur alors là, c'est sûr, elle a tout gagné, car la maladresse et l'absence totale d'ingéniosité dont elle fait preuve, elle est la première à s'en blâmer. L'intention est simple, le procédé est obscur, c'est là que le bas blesse, et c'est là qu'elle se voit contrainte à une improvisation dont elle n'avait rien prémédité. Affirmer que ça ne lui réussit pas, c'est en deçà de la vérité. Cela étant, ce n'est peut-être pas un mal qu'il se doute de quelque chose. À un moment ou à un autre, il faudrait bien qu'il l'apprenne, après tout. Et pour sa part, Minerva préfèrerait ne pas avoir à attendre trop longtemps avant de percer le mystère qui entoure le jeune homme. Avant de voir à travers ce voile obscur les raisons qui poussent son mentor à le considérer comme suffisamment important pour que l'on garde un oeil sur lui, même si elle ne doit pas s'attendre, évidemment, à plus spécifique, comme détail. Finalement, elle est agréablement surprise. Peut-être qu'il prend sur lui, ou qu'il décide de ne pas trop se poser de questions, considérant ce qui est le mieux pour lui et l'opportunité qu'elle lui offre (en même temps, même si sa proposition est un prétexte, elle compte bien tenir son engagement, s'il ne faut que cela pour parvenir à ses fins), il ne l'interroge pas davantage, et il se contente d'accepter, ce qui est loin de déplaire à notre futur professeur de métamorphose.

-C'est tout naturel. prétend-t-elle alors dans un léger hochement de tête, même si ça n'a rien de naturel du tout, au final.

Ce qui est naturel, c'est de faire la conversation une fraction de secondes aux inconnus que l'on croise puis de passer son chemin. Ce qui est naturel, c'est de pistonner ceux dont on sait d'office le potentiel (quoique, quel que soit le cas de figure, Minerva soit en fait loin d'être encline à accorder ce genre de facilités même à ses plus proches amis). Mais voilà plusieurs longues minutes qu'elle fait de toute façon l'inverse de ce qui est naturel, rompant avec une attitude prudente et pragmatique qui lui est pourtant quotidienne et lui aurait été beaucoup plus salutaire en la circonstance. Même un esprit brillant peut parfois se laisser dépasser par l'inattendu d'une situation qui déroge à tout ce qui fait d'ordinaire notre ligne de conduite. C'est ce à quoi elle se voit confrontée. Elle ne voit donc en définitive que faire si ce n'est saisir le moment, tolérer l'opportunité, et donc, sortir de son sac à main une plume et un carré de parchemin qu'elle griffonne rapidement, y inscrivant son nom, son prénom ainsi que son adresse.

-Si jamais tu souhaites me joindre. précise-t-elle alors en tendant le morceau de parchemin au jeune rouge et or.

Minerva n'est vraiment pas certaine d'avoir su s'y prendre. Elle ne serait pas vraiment surprise que le jeune homme se soit contenté de lui tenir compagnie par politesse et rien d'autre. Elle ne s'attend dans tous les cas pas à ce qu'il la contacte dans la minute. Elle espère tout de même qu'il y songera, car elle ne peut se permettre de se rendre si régulièrement à Poudlard. Outre le fait que l'accès est restreint aux visiteurs (Minerva peut aisément le détourner grâce à sa forme animagus, ce n'est guère une raison pour en abuser pour autant. La jeune femme n'a pas l'intention de le faire en tous cas), elle s'imagine mal pouvoir se justifier de ses insistances à venir à l'école de magie, encore et encore. Elle ne voit pas ce qu'elle peut faire de plus de toute manière, elle n'est peut-être pas la moins douée en improvisation, mais il est certain qu'elle manque encore d'entraînement dans ce domaine. L'avantage, disons, c'est qu'à présent qu'elle avait rencontré William Black, qu'elle en savait un peu plus sur lui, il serait plus simple d'envisager une seconde approche. Elle aurait le temps d'y réfléchir, et cela aurait l'air un peu moins maladroit. Il faut l'espérer.

Cette conversation ne peut pas durer beaucoup plus longtemps. Minerva est déjà assez fière d'avoir su l'amorcer et la faire durer, bien que ce fut sous un prétexte bancal, qui n'aura pas forcément convaincu ou tromper le jeune homme. Elle aurait pu mieux s'y prendre, mais ce qui était fait était fait. Elle pourra mieux réfléchir à la suite et mieux s'y prendre la fois suivante. Elle le croit possible, et donc, elle ne commet pas la (nouvelle) maladresse d'insister pour passer encore un peu plus de temps avec le mystérieux rouge et or quand ce dernier remarqua qu'ils avaient fait le tour de ce qu'ils pouvaient visiter (et le terme est bien fort, car Minerva n'a pas le sentiment d'avoir redécouvert quoi que ce soit. Cet endroit lui est encore bien familier, et à le parcourir à nouveau, elle comprend y être définitivement trop attachée, alors qu'on doit bien rapidement faire le deuil de ses années d'école une fois lancés dans l'indispensable vie d'adulte. Une vie dans le cas de Minerva qui ne lui accorde qu'une satisfaction moyenne, qu'elle ne trouve à la hauteur ni de ses rêves et ambitions, ni de ses compétences.

-Bien sûr. approuve-t-elle dans un sourire compréhensif, de ceux jamais trop expressifs qu'elle adresse en toute parcimonie aux interlocuteurs qui lui inspirent une certaine sympathie. Je ne veux pas te retenir plus longtemps. Elle marque une pause. Et j'ai à faire moi aussi. Elle a toujours du travail, dire qu'elle a à faire n'est jamais un mensonge. Ou un mensonge à demi, un mensonge incomplet. J'étais ravie de faire ta connaissance, William.

Elle ne rajoute rien et prend congé du jeune élève, rebroussant chemin. Il est grand temps de rentrer chez elle et de reprendre le cours de cette vie d'adulte, justement.