I

l était clairement difficile de savoir ce qui pouvait bien se trâmer dans l'esprit perturbé de Luna Lovegood. À ma connaissance, personne ne s'y est jamais essayé, et ce n'est sans doute pas pour rien, il ne faut pas être fondamentalement intelligent pour réaliser qu'il s'agissait là d'un combat perdu d'avance, et dont il n'y avait aucune fierté à tirer. Nichées dans l'esprit de la bleue et bronze, il y avait multitude de pensées contradictoires, de fantaisies non admises par les plus grands pragmatiques,  et d'éléments constituant une logique propre, inaccessible à quiconque est un peu sain d'esprit. Difficile, en conséquence, de savoir ce qui pouvait ou non la déranger, l'offusquer, la perturber, la tourmenter. On l'imaginait soit passionnée, soit à l'ouest, soit les deux en même temps, on ne devinait pas sa douleur parce qu'elle la gérait d'une manière différente, et qui pouvait difficilement être comprise. D'autant qu'elle ne demandait pas à qui que ce soit d'y comprendre quoi que ce soit.

Il était tard, il devait être aux environs de deux heures du matin, et allongée dans son lit, elle fixait le plafond depuis ses grands yeux globuleux, sans être capable de trouver le sommeil. Qu'on le croit ou non (et elle avait aisément su ne pas le laisser deviner, sans même chercher à le faire, d'ailleurs, juste parce qu'elle était elle), la demoiselle était inquiète. Cela faisait près de deux semaines que Ginny avait été conduite à l'infirmerie (par Tom Jedusor en personne, histoire de ne pas rendre la situation moins alarmante), et elle n'était toujours pas autorisée à avoir la moindre visite. L'air de rien, ça la travaillait, autant que ses préoccupations récentes, sa crainte, notamment, de ne plus jamais revoir son père, qui s'intensifiait à chaque jour qui passait, et qu'elle tentait de taire sans succès. Finalement, quand elle fut convaincue que Morphée ne l'accueillerait pas aux creux de ses bras cette nuit-là, elle prit la décision de quitter à pas d'ange la salle commune des bleues et bronze, choisissant de se rendre aux cuisines, quitte à se rendre ailleurs, apaiser le creux dans son estomac serait joindre l'utile à l'agréable. Elle alla donc juste aux cuisines, salua les quelques elfes de maison qui s'y trouvaient encore d'un ton extrêmement agréable et poli (elle leur avait toujours parlé comme à des pairs, et même avant qu'Hermione ne se lance dans la création de la SALE). Très naturellement, elle vint s'asseoire en tailleur sur le sol de pierre après avoir attrapé au passage une boîte de chocolats, les mangeant un à un avec parcimonie. Elle n'avait pas remarqué avoir été "suivie", elle ne constata la présence d'Evangeline que lorsque cette dernière s'adressa directement à elle. Luna lui accorda un sourire, tout en posant sur elle ses yeux ronds.

-Je ne sais pas. répondit-elle d'une voix douce, elle qui avait mis pour une fois en veilleuse sa passion pour le pudding. Il y a du chocolat, si tu veux, ajouta-t-elle tout en tendant la boîte de friandises dans sa direction. Un parler anodin, mais qui à la vérité signifiait plus que cela en avait l'air. Somme toute, c'était une invitation à partager avec elle ses heures d'insomnie.

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una ne concevait pas qu'il y ait un instant déterminé constacré au sommeil, et un autre où il serait indécent de s'abandonner aux bras de Morphée, comme s'il fallait irrémédiablement vivre avec un soleil qui faisait pourtant majoritairement défaut à ces cieux grisonnants de Grande-Bretagne. Elle était loin de voir les choses ainsi, elle préférait de loin être à l'écoute de son corps et lui apporter ce qu'il avait besoin au moment où il en avait besoin. Comme elle mangeait lorsqu'elle avait faim, elle dormait quand elle avait sommeil. Elle ne croyait ni dans le couvre-feu, ni dans le réveil matin, et ne devait son absence de retard (quoi qu'il lui arrivait tout de même de l'être) qu'à l'agitation de ses camarades autour d'elle, qui lui faisaient indéniablement ouvrir l'oeil. Ceci dit, sur certains aspects, elle était comme tout le monde (ou presque, on parle de Luna, quand même), elle préférait de loin dormir la nuit et vivre le jour, mais elle ne s'y sentait pas contrainte, et c'est ce qui importait. Là, il y avait un ciel noir d'encre tout dehors, au-delà de ces épais murs de pierre, et elle ne dormait pas. Elle avait rejoint son lit pas tant parce qu'elle avait pensé trouver à un moment ou à un autre le sommeil que parce que songer allongée sur son lit ou assise dans la cuisine, la seule différence au final était le chocolat. La question, aux yeux de Luna, ne devrait pas être "pourquoi ne dors-tu pas ?" mais "pourquoi te trouves-tu ici ?" Et la réponse en était assez évidente, en définitive : elle était préoccupée.

-Je crois qu'il y a une pensée noire qui grisonne les autres autour. dit-elle avec douceur, dans un léger haussement d'épaules avant de se saisir d'un carreau de chocolat avant de le dévorer à pleine bouchée. Ou alors c'est un joncheruine. Ça pouvait bien être un joncheruine. Rentré par une oreille et pas encore ressorti par l'autre. Ce serait bien le genre de ces bestioles-là. Finalement, elle concéda à une seconde interprétation des faits, évidemment la plus plausible. Et même pour elle, pour une fois. Meredith est toujours à l'infirmerie... Elle n'aimait pas l'appeler Meredith. Surtout dans ce genre de moments. Ces moments où elle méritait plus que jamais d'être appelée par son vrai nom. Mais elle n'avait pas vraiment le choix malheureusement. Puis, trêve d'égoïsme, elle lui retourna sa question. Enfin, à sa manière. Et toi, que fais-tu ici ?

Elle aussi, éprouvait une certaine curiosité à l'idée de savoir ce qu'elle pouvait faire ici. Il pouvait être assez commun pour Luna Lovegood que de s'isoler dans les cuisines pour se gaver de chocolat à deux heures du matin, mais la plupart des gens ne faisaient pas ça. Elle avait beau être déconnectée de la réalité, elle était tout de même au courant de cela. Raison pour laquelle ses yeux ronds parlaient pour elle, ne dissimulant rien de la curiosité qu'elle pouvait bien éprouver.

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es pensées qui se bousculent dans votre cerveau, à un rythme si intense et soutenu qu'il vous est impossible de passer outre ou d'y échapper, si bien que le rêve lui-même ne parvient pas à être une issue satisfaisante, Luna connaissait cela en effet, pas au point qu'elle ne sache jamais trouver le sommeil, ça non, mais dernièrement, il était de moins en moins rare que le silence de l'esprit ne s'impose plus que comme une douce illusion, et jamais comme un accessible. On reconnaissait en Luna une demoiselle simple au mode de fonctionnement complexe. Aux joies simples, aux pensées simples (mais néanmoins incompréhensibles) qui justifiait peut-être le sentiment qu'elle communiquait, d'être constamment quiète, comme si rien ne pouvait la troubler, comme une force tranquille. Ce n'était pas toujours le cas, elle pensait peut-être plus que la normale, même si elle ne pensait sans doute pas autant qu'Evangeline... Mais ce tohubohu accompagnait généralement ses rêves sans les empêcher... sauf quand elles étaient comme à présent. Noires, épaisses, comme si on enveloppait ses neurones dans un épais goudron. Au final, cette nuit, il semblait qu'elles se soient bien trouvées, et des instants comme celui là justifiait sans mal une amitié que l'on pouvait autrement avoir du mal à comprendre.

Luna ne fit aucun commentaire, et ce n'était pas nécessaire, puisque son interlocutrice reprenait jamais la parole, visiblement soucieuse de déposer son coeur sur la table comme une besace trop lourde dont elle s'appliquait désormais à déverser le contenu sous le regard à la fois soucieux et sincèrement concerné de la blondinette. Elle en avait assez d'être inutile, elle voulait agir. Agir à quoi ? Elle ne le savait peut-être pas elle-même, mais elle voulait mettre ses compétences au profit de quelque chose qui en vaille la peine... Tout individu, même celui qui s'imaginait le plus médiocre, avait après tout son rôle à jouer dans le grand dessein de l'univers, mais certains esprits brillants ne pouvaient que vouloir s'imposer. C'était logique, quand on connaissait un peu Evangeline, elle n'était pas de la nature des simples observateurs, de cette nature dont elle avait cru posséder elle-même avant que Voldemort ne cherche à reprendre le pouvoir, avant qu'elle intègre l'armée de Dumbledore.

-C'est la passion et la volonté qui poussent les hommes à se dépasser et accomplir de grandes choses. prononça-t-elle de cette voix distraite qui donnait l'impression qu'elle demandait à son interlocutrice l'intitulé de son prochain devoir de métamorphose. Tu sais... elle planta son regard, ses grands yeux, dans ceux de la jeune femme. Je pense qu'on doit tous aller au bout de ses convictions et de... elle haussa les épaules... se battre pour ce qu'on croit important.

Comme elle avait fini par le faire sans complètement le réaliser en rejoignant l'AD, et à présent la résistance. Et comme elle le referait s'il fallait le refaire. Encore plus maintenant, alors que Ginny avait fini à l'infirmerie par la faute de celui qu'ils cherchaient à se stopper.
Evangeline voudrait-elle prendre part à ce genre de combats ?

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