Mes pas me mènent lentement jusqu'à un endroit où je ne suis pas allé depuis longtemps. Techniquement les parents n'ont pas l'autorisation de se rendre à Poudlard pour voir leurs enfants, mais après la mort de Morgan Cialmar beaucoup d'adultes sont déjà passés à l'école pour récupérer leurs enfants. Ce n'est pas que je n'ai pas confiance en Dippet ou en l'efficacité des murailles de Poudlard mais je ne suis pas capable de travailler convenablement au ministère en pensant que Jo est toute seule dans ce grand château sans réelle surveillance constante. C'est ma seule enfant, je ne prendrai pas le risque de la perdre. Finalement j'arrive devant la grande porte. J'avais oublié qu'elle était si imposante, surtout quand il y a des nuages. L'obscurité la rend encore plus impressionnante. Peu de temps après, me voici dans le hall d'entrée. Beaucoup d'élèves passent devant moi en me dévisageant. Cela vient sûrement du fait que je suis connu grâce à mon poste au ministère, mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est parce que je n'ai normalement rien à faire ici. Même lorsqu'on m'ouvre la porte de l'intérieur avec confiance, je ne suis ici plus qu'un inconnu, un intrus. Plusieurs jeunes chuchotent des choses que je ne parviens pas à entendre et finalement l'un d'entre eux disparaît dans les escaliers en courant. Je soupire et m'installe sur un banc. Je sais ce que ce gamin est parti faire, alors je n'ai plus qu'à attendre.

Enfin, il revient en compagnie de ma petite Jo. Elle me semble bien pâle et soucieuse. Son regard reste fixé sur le sol. Elle était déjà comme ça à la fin des vacances mais Ellen m'avait demandé de ne pas m'en mêler. Personnellement j'aurai préféré lui proposer de rester à la maison bien avant qu'elle retourne en cours. La mort de Morgan l'a fortement secouée mais je doute que ce soit la seule raison de ce soudain mal-être. Sa fierté l'empêchera sûrement de raconter à son vieux père ce qui la tracasse, mais ce n'est pas une raison pour la laisser souffrir dans le silence. A quoi bon avoir des parents s'il n'apportent aucun refuge ? Je fais un bref sourire à ma fille et lui fait un petit bisou sur le haut du crâne. Je ne peux pas m'abaisser à la serrer dans mes bras en public, même si je la sent triste et désemparée. Calmement, je l'invite à s'installer à côté de moi sur le banc en pierre du hall d'entrée. Je cherche ce que je pourrais lui dire pour la convaincre de repartir avec moi. D'ordinaire, rien ne serait assez fort pour la faire changer d'avis, mais étant donné les circonstances, je pense avoir mes chances.

« Jo, j'ai l'impression que quelque chose te tracasse depuis les vacances. Tu ne veux probablement pas en parler mais je ne me sens pas bien en te sachant toute triste ici. Je suis venu te proposer de rentrer à la maison avec moi jusqu'à ce que tes ennuis se tassent un peu. Tu pourras aisément rattraper tes cours si ça te dérange de prendre du retard. »

Je tord nerveusement mes doigts les uns contre les autres. Je n'ai pas l'habitude d'avoir une conversation longue et affectueuse avec ma fille. C'est un peu honteux de dire ça, mais je ne suis pas très doué question sentiments.

« La mort de ton camarade m'angoisse. Je pense que ça pourrait arriver à n'importe qui et... Je ne prendrai pas de risques te concernant. »

Je soupire et secoue la tête négativement. Décidément, cette gamine n'a pas hérité que du physique de sa mère. Elle possède aussi son attachement aux décisions qu'elle prend. Têtue comme une mule et jolie comme une fleur sauvage. Je n'en attendait pas moins d'elle, même si pour le moment ça ne m'avantage pas. Je pourrais simplement user de mon autorité de père puisqu'elle n'est pas encore majeure, mais je garde une leçon amère de notre dernier conflit à propos de ses fiançailles. La force et les interdictions ne suffisent plus à protéger ma fille. Je dois faire des efforts pour essayer de me mettre à sa place. A son âge, moi aussi j'aurais insisté pour rester au château. Il me reste un dernier espoir, celui qui part du fait que Jo n'ai pas parlé avec une grande conviction. Je peux encore faire vaciller sa décision de rester à Poudlard mais il va falloir jouer fin.

« Très bien, je comprends. »

Je compte sur le fait qu'elle va être surprise de me voir abandonner aussi vite. Elle va sûrement chercher à comprendre ce qui a changé chez moi et abaisser sa garde. Si l'autorité ne fonctionne pas avec elle, il me reste encore une carte à jouer. Je peux toujours user d'un bon vieux chantage affectif. Elle est trop fragile et trop naïve pour ne pas tomber dans ce genre de filet.

« Tu lui manques beaucoup. En réalité elle s'inquiète encore plus que moi. »

C'est un gros mensonge, puisqu'Ellen m'a même demandé de ne pas aller ennuyer notre fille à l'école, mais je trouverai bien une solution à ce noeud un peu plus tard. Pour le moment, l'essentiel c'est que Jo me suive jusqu'à la maison avec sa valise et la conviction que c'est la meilleure chose à faire.

Je ne peux m'empêcher de soupirer devant l'entêtement certain de ma petite fille. J'ai l'impression de faire face à sa mère, lorsque nous étions jeunes. Maintenant que j'y pense, il n'y a pas que le caractère qui les rapproche. Physiquement, Jo est devenue une jolie jeune femme avec pas mal d’assurance et de noblesse. Je suis assez fier en songeant que c'est en partie grâce à moi qu'elle a si bien grandi. Elle surpasse en beauté la plupart des pimbêches de ce château qui osent s’exhiber sans aucune pudeur. Si elle le souhaitait, ma fille pourrait épouser de jeunes hommes très haut placés dans la hiérarchie. Seulement voilà, j'ai cru comprendre qu'elle est loin de partager cet avis. Fort bien, je peux respecter ce choix, je crois. Elle choisira le garçon qui fera battre son coeur, à condition qu'il sache se tenir et qu'il ai un sang pur. J'ai abandonné l'idée de choisir pour elle, pour l'instant. J'ai d'autres préoccupations plus graves.

« Je t'accorde le droit de garder tes problèmes pour toi si tu ne me crois pas digne de les entendre. En revanche, ne me mens pas. Je vois bien que tout ne va pas bien, ne me prend pas pour le dernier des imbéciles. Je ne suis pas devenu directeur des oubliators pour rien. »

Mon ton est sobre, il ne porte aucune agressivité, mais Jo me connait suffisamment pour savoir que c'est là un reproche. Je n'aime pas qu'elle me mente comme si j'étais un gamin de cette école. Je suis son père et je sais tout ( enfin presque tout ). Après une grande inspiration, mon visage se décrispe. Je ne suis pas venu jusqu'ici pour me disputer avec elle.

« Ma chérie, je veux que tu comprenne que j'agis pour ton bien. J'insiste pour que tu reviennes à la maison au moins une ou deux semaines. J'en parlerai avec le professeur Dippet, mais je suis sûr qu'il n'y verra aucun inconvénient étant donné tes bons résultats. »

peut-être étais-je allé trop loin en voulant la protéger. Le fait est que je n'avais presque aucun autre but dans la vie que celui de m'occuper de ma famille. L'état de santé de ma femme m'avait rendu très méfiant et trop protecteur avec notre fille. Oui, je ne cesserai pas de le répéter : le monde dans lequel nous vivons s'assombrit de jour en jour, j'ignore d'où cela provient, mais j'ai de mauvais pressentiments pour l'avenir. Jo a de l'ambition comme n'importe quel serpentard qui se respecte, mais elle n'a pas la force de caractère qui a tendance à compléter le stéréotype des verts et argent. J'ai confiance en elle et en ses capacités pour aller au bout de ses rêves, c'est juste envers les autres que je n'ai aucune confiance. ils seront tous là, durant toute sa vie, à essayer de la bouffer, de l'écraser pour arriver jusqu'au sommet. Je ne peux pas laisser ce genre de truc arriver, c'est pour àa que je voulais la marier à Arthur. Ce plan a échoué, mais je n'ai pas perdu espoir de trouver une solution durable pour éloigner mon enfant de cette menace qui grandit confortablement dans l'ombre. je soupire et remet délicatement une mèche folle en place sur sa petite tête brune.

« Je comprend ma chérie, c'est ton choix et je dois me faire à l'idée que tu dois faire ta vie selon tes envies et tes besoins. »

Je passe une main sur mon visage fatigué et joue un peu avec la fine barbe que j'ai laissée pousser sur mon menton. Je ne suis pas très soigné ces derniers temps, à force de m'occuper d'Ellen et de faire des heures supplémentaires au ministère. J'ai l'impression de passer ma vie à rendre service aux autres sans que ce soit vraiment reconnu. Je suis bien plus fatigué que je n'en ai l'air mais je ne tiens pas à inquiéter d'avantage ma petite Jo qui est déjà bien tourmentée. Je m’efforce de sourire et de cacher les cernes qui entourent mes yeux à moitié-clos.

« Je sais que je suis un papa un peu étouffant, mais j'essaye de bien faire, crois moi. »

Quoi que je fasse avec elle, ça finit toujours en désastre. Je m'imaginais qu'un père saurait mieux que quiconque ce qu'il faudrait pour rendre sa fille heureuse. Faut croire que je me trompais aussi à propos de ça. Je suis un raté, incapable de faire quelque chose de bien pour mon propre enfant.

Bon, je dois me faire une raison, Jo ne rentrera pas avec moi à la maison pour échapper à ce qui lui cause tant de tracas. Au fond, même si ça ne me rassure pas, je suis fier de sa décision. Ma petite fille a grandi, elle prend maintenant en main sa vie et elle ne fuit pas dès que les choses ne se passent pas telles qu'elle le souhaite. Je n'ai jamais douté de sa détermination, mais autrefois je devais la pousser à aller de l'avant. Aujourd'hui, l'oiseau quitte le nid et bat de ses propres ailes. Au début c'est un peu angoissant , mais je sais que si je ne la laisse pas assumer ses choix, elle ne saura jamais se débrouiller toute seule. Je dois arrêter de l'étouffer comme je le fais toujours. Si elle ne souhaite pas se marier tout de suite, c'est son problème, elle fera le grand saut lorsqu'elle s'estimera prête à le faire et avec le garçon qu'elle aura elle-même choisi. Je prie simplement pour que ce garçon encore inconnu aura le sang pur qu'elle mérite. Manquerait plus qu'elle décide de souiller notre famille, tiens.

Je souris en entendant son explication. Je suis un peu surpris par ce choix peu ordinaire, mais maintenant que j'y pense, Jo fera sûrement une merveilleuse traductrice de runes anciennes. Il est vrai qu'il existe encore des tas de manuscrits, même au ministère, qui attendent depuis longtemps d'être traduits. J'aurais préféré qu'elle choisisse un travail plus simple ou plus manuel, comme l'élevage d'animaux ou l'astronomie. Une fois encore, je prend sur moi et expire au loin mes pensées négatives. Même si je pense que ça ne marchera pas, je dois la laisser au bout de son projet sans la brider. Après tout, c'est en tombant qu'on apprend à marcher non ? Il est temps pour moi d'arrêter de lui tenir la main. Je hoche la tête, l'air soucieux. Puis je dépose un baiser tendre sur son front.

« Je suis certain que tu seras la meilleure traductrice de runes de l'univers. Et si tu as besoin d'aide, tu pourras toujours demander à ta mère. Si je me souviens bien, elle était très douée avec les runes à l'époque. »

Oui, j'avais un souvenir très précis des soirées passées à réviser ensemble pour les contrôles du lendemain. Elle m'aidait avec les runes et je l'aidait en histoire de la magie. Nous étions déjà fiancés à ce moment-là, mais nous nous comportions plutôt comme des amis. Si à l'époque on m'avait dit qu'il se passerait tant de choses dans mon avenir, j'aurait envoyé ce quelqu'un à St. Mangouste dans la section psychiatrie. Oui, la mère de Jo avait déjà beaucoup de qualités à l'époque. Ellen... Ces moments de joie me manquent beaucoup. Je me montre fort aux yeux de tous, mais au fond, je dois être la personne la plus affligée par ce qui est arrivé à ma femme. J'ose espérer qu'un jour tout redeviendra comme avant.