-Et si je ne finissais pas à serdaigle ?
Les yeux de la petite brillaient d'inquiétude, ils ne la quittait pas des yeux.
-Comment t'appelles-tu, que redoutes-tu ?
Rowena Serdaigle serra sa fille dans ses bras, fille qui tremblait comme une feuille.
-Je ne suis peut-être pas assez intelligente...
-Helena... c'est moi qui décide de qui rejoint ma maison, et toi, tu es tout ce que ma maison représente.
-Mais si les autres pensent que tu m'as favorisé ?
-Alors tu leur prouveras qu'ils ont tort.
-Et s'ils ont raison...
-Un autre qu'un serdaigle ne se poserait pas cette question.

Elle est intelligente, elle est sage, elle est douce. Elle est ce que sa mère était à son âge. Ou en tous cas, c'est ce que tout le monde lui dit. Elle est calme et pondération. Elle angoisse, mais cherche toujours un moyen de relativiser. Elle est gentillesse et empathie. Elle ne supporte pas de voir les autres souffrir ou être malheureux. Elle est curiosité et érudition. Elle se pose beaucoup de questions, et à chaque fois, elle fait de son mieux pour trouver une réponse. Elle est culture et science infuse. Elle a tout apprit de sa mère, elle aime lire, lire jusqu'à l'épuisement, emmagasiner des informations jusqu'à ce que son cerveau crie au supplice. Elle est timidité et manque de confiance en soi. Elle ne cesse d'être comparée à sa mère, c'est normal, sa mère est une des fiertés du monde magique. Elle le supporte très mal. Elle est effacée. Elle voudrait disparaître, parfois. Ou ne plus être la fille de sa mère. Elle est jalouse et envieuse. Elle ne sera jamais comme sa mère.
Elle est une enfant.

Puis elle est morte. Elle vit dans le regret, la honte, la douleur. Elle est transparente physiquement et mentalement. Elle n'est pas fière de ce qu'elle a fait. Elle est anonyme. Peu de gens savent son véritable nom. Elle est la dame grise. Grise d'apparence et de cœur. Elle est tristesse et solitude. Elle est inaccessibilité. Elle est morte.

-Tu es la fille de Rowena Serdaigle, n'est-ce pas ?
-Oui...
-ça se voit, tu lui ressembles.
-Non. Elle est plus belle que moi...

On la compare à sa mère. Toujours. Même à sa naissance, on la compare à sa mère. « Elle a ses yeux ». « Elle a son visage ». Vraiment ? Qu'en sait-on ? À cet âge, on est rien. Changeant comme de la pâte à modeler. Mais c'est vrai qu'elle ressemble à sa mère, physiquement. Quand elle était vivante, j'entends. Ses cheveux noirs et lisses, qui descendaient jusqu'au creux de ses reins, brillaient d'une lueur argenté. Elle les coiffait souvent en nattes, ou y déposait une fleur odorante. Plus maintenant. Ses yeux sont d'un bleu profond et envoûtant. Moins que ceux de sa mère. Les siens étaient d'un tel océan que les hommes s'y noyaient. Elle était fine, toujours élégamment vêtue. Un visage fin, un teint de porcelaine, des traits sans presque aucune imperfection. Ils sont la figuration parfaite de sa douceur. Elle était belle, et séduisait les hommes. Moins que sa mère en son temps, mais elle avait pour elle les attraits de sa jeunesse.

Elle est morte. En robe sublime, c'est déjà ça. Elle a toujours l'air hautaine et distante. C'est pour se protéger des autres. Sa punition envers elle-même, c'est sa solitude. Elle est transparente.

-Regarde, elle sourit.
-Elle a ton sourire, Rowena.
-Je suis sûr qu'elle aura ta sagesse, et ton intelligence.

Être. Être sa fille. N'être que cela. Rowena... Helena... La confusion est simple. Elle est sa fille. Elle n'existe pas indépendamment d'elle. Quand elle se présente, c'est de sa mère qu'on lui parle. Quand on la séduit, c'est sa mère que l'on cherche à attendrir. Et elle ne peut pas lui en vouloir. Elle est la meilleure mère du monde. Attentive, sage, douce... elle l'a éduqué parfaitement. Alors Helena est une petite fille polie et agréable, tranquille et intelligente, éveillée et douce. « La fille de sa mère ».

-En même temps, toi, tu sais dans quelle maison tu vas finir, au moins !

Oui. Elle sait. À Poudlard, elle est plus que jamais la fille de sa mère. Elle porte le nom de sa maison. La pression est grande. Elle ne peut se permettre de faire le moindre faux pas sous peine de salir son propre nom. Alors elle est une élève exemplaire. Et elle s'ennuie. Les autres élèves ne l'apprécient pas beaucoup. Ils la trouvent ennuyeuse et hautaine. Certains se rapprochent d'elle, mais c'est toujours à cause de sa mère. Ils espèrent gagner des points auprès d'elle en traitant bien sa fille. Ses études sont ennuyeuses. Mais brillantes. Elle ne sait pas ce qu'elle va faire de sa vie. Elle veut juste quitter cette ombre qui l'enveloppe, l'ombre de sa mère.

-Rowena... Si on te l'a volé, tu dois nous le dire.
-Je n'ai rien à te répondre, Godric, personne ne m'a rien volé.

Coup de tête, coup de folie. Elle vole le diadème de sa mère et s'enfuit. Jalousie. Dévorante jalousie. Elle n'a pas le temps de comprendre son geste. Elle n'a pas le temps de le regretter. Elle s'enfuit. En Albanie. Loin, là où elle peut se présenter, et où sa mère peut ne pas être connu. Elle ne sait pas ce qu'elle fait, elle ne sait pas où elle va. Elle erre au hasard. Elle gagne son pain comme elle le veut. Parfois, elle a envie de rentrer. Mais elle ne le fait pas. Elle a trop honte, elle ne peut pas soutenir le regard de sa mère. Elle ne veut plus jamais la revoir.

-Depuis combien de temps est-ce que tu me suis ?
-ça fait plusieurs semaines que je suis sur ta trace...
-Je ne veux pas te voir, je ne veux pas te parler. Va t'en, et quelles que soient les raisons pour lesquelles tu es venu, oublie moi.
-C'est ta mère qui m'envoie.
Silence.
-Que me veux-t-elle ?
-Elle se meure... elle veut te revoir avant de mourir.
Tristesse. Douleur. Elle veut la revoir. Elle ne peut pas.
-Dis lui que je ne reviendrais pas. Non, dis lui que tu ne m'as pas retrouvé.
-Je ne peux pas lui dire ça.
-Dis le lui parce que tu m'aimes, baron.
-Je ne te dois rien, puisque tu ne veux pas de moi.
-Veux-tu que je m'oblige à t'aimer ?
-Est-ce si difficile ?

Ils se disputent, le ton monte. Il sort l'épée de son fourreau. Il l'atteint en plein cœur. Souffrance. L'âme s'échappe du corps. On lui offre le choix. Elle décide de rester en cette terre. Elle le voit se donner la mort sous ses yeux.

Elle erre sans raison. Elle apprend que sa mère est morte. Peu de temps après, elle retourne à Poudlard. Honteuse, elle ne parle à personne de ce qui s'est passé. Le baron la suit, elle le fuit. Le diadème est perdu dans la forêt albanaise.

Elle fait en sorte que son nom soit oublié. On l'appelle à présent la dame grise. Dans la mort, enfin, elle n'est plus la fille de sa mère.

Mais elle n'est pas heureuse.