Je retiens à grand peine un soupir exaspéré. Je n'avais vraiment pas eu l'intention de passer mon dimanche après-midi de cette manière (oui, je pensais réviser, et alors? Les ASPIC n'ont jamais été aussi proches!), à récurer une à une les récompenses idiotes qu'ont pu gagner quelques pitoyables élèves de l'école au cours de l'histoire de Poudlard, le tout à l'aide d'une brosse à dent, et d'un produit ménager qui n'a pas l'air de briller par son efficacité. A ce rythme, on y sera encore ce soir, quand bien même nous sommes à deux à nous atteler à la tâche. J'aurais préféré être tout seul, d'ailleurs, à choisir. Je n'éprouve aucun plaisir à l'idée de devoir effectuer cette tâche ingrate en compagnie de quelqu'un que j'abhorre. Cette punition, je l'exécute en effet de concert avec Liam McAvoy, alors dire que je me serai aisément épargné sa compagnie est un doux euphémisme. A l'heure où je dois songer à faire mes adieux à ceux que je ne verrai plus l'an prochain, en voilà bien un qui ne me manquera pas (de même que son ami Basil), ne plus avoir à supporter leur présence sera l'une de mes grandes satisfactions lorsque je quitterai l'école de magie. Mais nous n'y sommes pas encore... et pour l'heure, je suis contraint et forcé de récurer une médaille obtenue par je ne sais quel inconnu qui a un jour gagné un match de bavboules, jeu dont je n'ai jamais franchement saisi les règles et l'intérêt, au demeurant.

Peu enthousiaste, je ne met pas beaucoup de coeur à la tâche. Je sais que cela n'en rendra que la punition plus longue, mais j'ai du mal à feindre la moindre énergie quand il s'agit de l'employer à une tâche aussi vaine. Je sais bien que dès demain, des dizaines de doigts sales se seront posés sur les vitrines, auront manipulé les trophées, et que tout ça n'aura servi à rien. Beresford le sait aussi, d'ailleurs. Je ne doute pas du fait qu'il ait choisi de nous infliger cette punition par le plus grand des sadismes : parce que c'est long, laborieux, et inutile. S'il voulait seulement que tout soit propre, il n'aurait pas échangé nos baguettes maiques, qu'il nous a confisqué, contre des brosses à dent... Dommage que je n'ai pas ma baguette à disposition, d'ailleurs. Quand je suis en présence de Liam, je me dis toujours que c'est la moindre chose que d'avoir une arme potentielle à portée de main. D'un autre côté, il est sûrement préférable pour moi que lui-même n'ait pas la sienne, de baguette. Que voulez vous, on ne s'aime pas. Et quand je dis qu'on ne s'aime pas, je minimise les faits. La faute à l'état d'idiotie avancé dans lequel McAvoy semble prendre grand plaisir à s'enfoncer. Plus il grandit, plus il me semble s'abrutir. Lors de ma deuxième année, j'ai dû subir une de leurs farces idiotes, à lui et à Flaverty, et à présent, ils ne me lâchent plus, je suis devenu l'une de leurs cibles préférées, semble-t-il, grand mal me fasse.

Ce jour-ci n'a pas échappé à la règle, et c'est pour cette raison que je me retrouve ici, avec McAvoy pour seule compagnie (pauvre de moi). Moi, je n'ai rien fait, évidemment. Mais McAvoy a semble-t-il trouvé très amusant de déverser au sol, juste avant mon passage, une espèce de liquide vert et gluant qui m'a fait tomber à même le sol. Témoin du spectacle, Beresford nous avait puni l'un et l'autre sans chercher de responsable. C'est à peine si j'ai eu le temps de débarbouiller mon visage de cette horreur visqueuse avant qu'il ne me prenne ma baguette des main. Ma robe de sorcier en est encore imprégné. D'ailleurs, ça a une drôle d'odeur, cette chose.
Vraiment, j'ai rarement haï autant le bleu et bronze que maintenant.

Je ne lui adresse pas un regard, ni un mot, je veux juste sortir de cet endroit, et me trouver une compagnie plus agréable que celle-ci. Malheureusement, étant donné la masse de travail, mes voeux prendront du temps avant d'être exaucés.

Il y a un dicton que ma grand-mère adore prononcer : C'est quand tu crois avoir touché le fond que tu te rends compte qu'on peut creuser encore plus en profondeur. Alors satisfais-toi de ne pas être encore plus bas que bas." Je n'apprendrai que quelques années plus tard que ma grand-mère fumait de l'opium à longueur de journée dans la cave de mes parents. Ne le sachant pas encore, j'essaye de m'imprégner de la simili sagesse de cette maxime, seule chose à laquelle je puisse me raccrocher, étant donné l'aspect on ne peut plus déplaisant de la situation. Ce pourrait être pire, oui. Je suis certes en train de subir une punition injuste, en compagnie de l'une des personnes les plus déplaisantes de Poudlard, mais au moins Basil, le grand ami de Liam, qui rivalise largement d'imbécilité avec son camarade, n'est pas là pour rendre les choses plus insupportables. Oui, ce pourrait être pire. Pour preuve : voilà un moment que nous sommes dans la même pièce tous les deux, et il ne s'est rien passé de notable. Pas de mots déplaisants échangés, pas de trophées qui seraient venus s'écraser "par une totale inadvertance" sur la tête du bleu et bronze. Si on poursuit à ce rythme, certes lent, mais au moins silencieux, je pourrais me permettre de qualifier la situation de vaguement tolérable... Tant que Liam ne me parle pas, ne me regarde pas, et me fous la paix, c'est un charmant garçon, après tout. Le problème, c'est que compter sur le fait qu'il puisse passer autant de temps sans décider de l'ouvrir est de l'ordre de l'utopie. Je le comprend très vite quand, malheur à moi, il décide de briser ce parfait silence dont je me serais parfaitement contenté.

-T'en fais une tête ! Allez mec, c'était marrant.

Je m'abstiens de lever les yeux au ciel, mais j'admets que cela m'est difficile. Non seulement ce sinistre abruti s'avère incapable de passer plus de deux secondes sans ouvrir la bouche, mais en plus, il prend la parole dans le seul et unique but de m'adresser des propos dont je n'ai strictement rien à carre. D'une, si j'avais moins de retenue, je lui aurait déjà fait avaler la médaille de Quidditch que je suis en train de récurer pour avoir seulement osé m'appeler "mec", de deux, nous n'avons définitivement pas la même conception de l'humour. Parce que j'en ai une, me demanderez-vous? Bien sûr que oui! Je n'y peux rien, moi, si ce dont je ris est hors de portée de pauvres cerveaux comme celui de McAvoy. Comment se fait-il qu'il se soit retrouvé à Serdaigle? Ces gens là ne sont-ils pas supposés être intelligents?

Liam est un gamin, il a seize ans, mais à mes yeux il a conservé l'âge mental de ses quatre ans... Comment expliquer autrement ces farces idiotes dont il se délecte avec son meilleur ami, tout aussi attardé qu'il ne l'est lui-même. Non, ce n'est pas marrant. Je défie quiconque de trouver cette situation drôle. C'est pitoyable, affligeant, oui. Marrant, certainement pas.

-Tel que tu me vois, je suis hilare. je déclare d'un ton neutre sans lui adresser le moindre regard.

Spoiler:

L'espace d'un instant j'ose penser (très naïvement, j'en conviens) que Liam n'est pas décidé à insister, et va se contenter d'accomplir la misérable tâche qu'on lui avait confié sans m'importuner davantage. Je ressens son manque d'enthousiasme, il est similaire au mien, et se mêle visiblement à une certaine fatigue. Si je n'aurais pas été particulièrement enchanté à l'idée de regarder Liam dormir sous mon nez, négligeant son travail pendant que moi-même je me contenterais d'accomplir bêtement ma punition, je pense que ça aurait quand même été préférable à ce qui va suivre. Parce que tant que Liam dort, il ne parle pas... Enfin j'ose l'espérer. Mais bien sûr, je comprends bien que je n'aurais rien de ce que je souhaite au cours de ces quelques heures de supplice que je dois passer en la pire des compagnies. Croire ne serait-ce que l'espace de quelques secondes que rester si longtemps dans la même pièce que le bleu et bronze pourrait bien se passer est une aberration. Nous sommes de tempéraments bien trop différents. Je suis mâture, responsable, sérieux, raisonné... et lui n'est qu'un gamin inconséquent, bavard et insolent. Il me le fait une fois de plus comprendre en sifflotant je ne sais quel air.

S'il y a bien une chose qui m'insupporte, ce sont bien les sifflements, et ce même lorsqu'ils sont bien faits. Comme en l'occurrence, c'est une véritable cacophonie et que je doute sérieusement que la mélodie que Liam entonne existe (ou alors il exécute très mal sa partition)... non seulement c'est un vrai supplice pour mes oreilles, mais en plus, c'est infiniment répétitif. Il veut vraiment me rendre chèvre, je ne vois pas d'autres explications... Et bien sûr, je sais que j'ai raison (comme toujours, j'ai envie de dire). Je lui lance un nième regard noir. Je ne saurai même pas dire combien je lui en ai déjà adressé depuis que nous sommes cloîtrés tous les deux dans la même pièce. Que voulez-vous, il m'insupporte au plus haut point, et il ne fait rien pour arranger son cas ou attirer ma sympathie, au contraire, il cherche visiblement à m'exaspérer à tous prix. Ce que je voudrais avoir ma baguette à cet instant précis. Je lui aurais lancé un sortilège de mutisme en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

-Arrête ce massacre auditif tout de suite.

Sinon... Sinon, j'en sais rien, et c'est pour ça que j'évite d'ailleurs de prononcer ce mot de mon ton le plus menaçant. Je sens qu'au rythme auquel nous allons, nous ne tarderons pas à en venir aux mains. Autant dire que les combats à main nue ne sont pas mes rayons, mais quand on me cherche, on me trouve.
Je regarde la coupe que je suis en train d'astiquer, aux rebords extrêmement tranchants. L'envie de tester son coupant sur Liam ne fait pas que m'effleurer.